Les mots jamais écrits

Publié le 21 décembre 2012 par Les Lettres Françaises

Les mots jamais écrits

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Une étrange histoire d’amour de Luigi Guarnieri

Le sentiment angoisse après les funérailles de la femme aimée est insoutenable. Johannes Brahms décide de vaincre son propre désespoir en rédigeant une longue confession épistolaire qui a pour destinataire la défunte, Clara Wieck, l’épouse de Schumann.

Le 30 décembre 1853, Brahms, qui a vingt ans, connaît la famille Schumann, comprenant le musicien Robert et sa femme Clara, une pianiste célèbre. Les Schumann offrent aussitôt une aide précieuse au talent de Brahms. Mais ce dernier, bien qu‘étant à la recherche de solides points d’ancrage, se détache de la réalité, idéalisant des situations qui le bouleversent. Le contact avec ses deux protecteurs le pousse à traquer les vices cachés dans les relations humaines : ses analyses se succèdent rapidement et de manière obsessionnelle. Le rapport entre Robert et Clara lui échappe sans cesse et rien ne vient à son secours pour les éclairer. Quelques mois plus tard, Schumann est interné dans un asile de fous et Johannes croit avoir le devoir de le remplacer auprès de sa femme. Leur entente est parfaite lors d’un bref séjour aux Pays-Bas en 1855. Brahms reste enivré de la joie qu’il a éprouvée pendant ces belles journées, au point même de douter qu’elles aient pu avoir lieu. Sa sensibilité exacerbée est vaincue sans appel par deux événements imprévus : l’indifférence avec la quelle Clara l’accueille quand ils se revoient après ces moments idylliques vécus en Hollande et la mort de Robert. Ces épreuves marquent profondément le compositeur.  Il se met à donner une consistance aux vaines convictions de sa jeune vie : l’échec de la relation amoureuse avec Clara Schumann est la démonstration précise pour lui de l’impossibilité d’atteindre le bonheur ; la folie de Robert incarne la condition de l’homme qui recherche l’absolu.

Brahms poursuit son existence sans renoncer à de nombreuses aventures sentimentales et sans mépriser le succès professionnel. Pourtant, son état d’âme ne cesse d’être attristée par le destin de la famille Schumann. Johannes Brahms s’efforce encore et  toujours de ne pas dépasser les bornes fixées par le souvenir de Clara et par la folie de son mari, en associant la conscience du risque permanent de tomber dans le piège de la désespérance et de construire des idéaux impossible à réaliser, qui enchaînent l’homme dans une condition d’insatisfaction constante. Ce lucidité n’est chez lui qu’une apparence ; le compositeur se révèle l’esclave de croyances discutables de sa jeunesse, qui ne lui ont pas laisser la possibilitétraduit de l’italien par  de conduire en toute liberté sa propre vie.

Ce beau et saisissant  roman, Une étrange histoire d’amour, a été composé par Luigi Guarnieri (né en 1962). Il repose sur un grand nombre de données biographiques sérieuses, même si ce dernier s’évade volontairement de ce que ce genre littéraire devrait imposer. Le récit est remarquable grâce à sa capacité d’exprimer les courts-circuits mentaux qui caractérisent le flux ininterrompu des pensées et des réflexions produit par la psyché de Brahms.

 Une étrange histoire d’amour, Luigi Guarnieri, traduit de l’italien par Eve Duca & Marguerite Pozzoli, Actes Sud, 224 p., 21 €.

Léonardo Arrighi