L'art de leurrer

Publié le 21 décembre 2012 par Taupo


On peut tromper une fois mille personnes, on peut tromper 1000 fois 1000 personnes, mais on ne peut pas toujours tromper avec classe. En tout cas, ce n’est pas donné à tout le monde, et certainement pas à un créationniste de l’acabit d’Harun Yahya (aka Adnan Oktar). Je ne m’étendrai pas sur les valeurs morales douteuses de ce négationniste anti-sioniste et anti-maçon qui associe volontiers les attentats du 11 Septembre avec l’acceptation du Darwinisme (?!) mais plutôt sur les foisonnantes illustrations qui agrémentent le somptueux ouvrage qu’il a publié en 2006 et distribué généreusement à travers le monde (mon labo y compris) : le 1er volume de son Atlas de la Création.

 
Cet Atlas est un compendium de plus de 800 pages où se succèdent des images de fossiles, classées selon leur lieu de découverte, et systématiquement associées à des images d’espèces vivantes aujourd’hui. Le raisonnement déployé dans la quasi totalité de l’ouvrage est le suivant: l’espèce fossile est identique à l’espèce vivante ce qui signifie que la théorie de l’évolution est fausse.
En voici un exemple:


Voyez ici un peu le raisonnement: nous avons plusieurs insectes piégés dans de l’ambre recueillie en République Dominicaine et datant d’il y a 25 millions d’années. Parmi eux, on nous dit qu’il y a un mycétophilidé (dont j’avais évoqué une espèce au cul flashy) et un trichoptère (dont les larves à fourreaux m’ont fasciné ici et ici). A côté de cette ambre, on voit deux photos des insectes correspondants. Et en bas de page, on trouve ce texte:
Ces créatures ont survécu depuis des millions d’années jusqu’à nos jours sans le moindre changement dans leurs structures. C’est bien là un signe qu’elles n’ont jamais évolué.
Et pour preuve, observez la ressemblance entre le trichoptère capturé dans l’ambre et ce fantastique spécimen de trichoptère adulte qui déploie ses pattes sur ce rocher. Notez en particulier comment ce trichoptère laisse reposer sur le rocher son fameux appendice abdominal en fer… et en forme d’hameçon…
Ah là là, pauvre Harun Yahya! Il illustre parfaitement l’histoire de l’arroseur arrosé car en tentant de nous leurrer, il n’a pris garde et s’est fait leurrer par un leurre, le larron!
Je m’explique: l’image du trichoptère qu’a utilisé notre créationniste provient en fait de la collection de leurres que confectionne Graham Owen et qui sont destinés à la pêche!


C’est pas du tout un insecte ça Harun, ce sont des bouts de ficelle, des perles, du textile et une quantité incroyable de talent artistique!
Bon du coup, niveau crédibilité, notre Harun en prend un coup: c’est sûr que la rigueur de sa comparaison morphologique entre les segments abdominaux de l’insecte fossilisé et un bout de plastique sont, de fait, discutables. Difficile de croire maintenant en son expertise.
Mais bon, ça peut arriver à tout le monde de se faire leurrer: peut-être qu’il s’agit là d’une simple erreur due à une recherche d’image malencontreuse alors que le reste de l’ouvrage est d’une farouche rigueur scientifique! Alors certes, c’est envisageable quand l’erreur se produit une seule fois dans le volume, mais ça devient carrément improbable quand on trouve au moins 3 différents leurres disséminés dans cet Atlas:


Ici une éphémère (dont on a vu la mue ici) avec sa photo originelle ci-dessous où l’on trouve encore une fois un bel hameçon.


Et voici une superbe araignée en double page:


Et sa photo originelle:


Ce qui est particulièrement drôle avec ce dernier leurre, c’est que Graham Owen a confié qu’il s’agissait de sa première création sans modèle et qu’il ne s’agit donc pas d’une réplique d’une espèce d’araignée existant sur notre planète. Pas étonnant sachant qu’il s’est inspiré de l’abdomen d’une guêpe pour confectionner cette chimère…

Bon en plus, vous vous imaginez bien qu’Harun Yahya n’a jamais demandé la permission d’utiliser ces images pour illustrer son livre… Remarquez, la conversation aurait été assez croustillante:

- Est-ce que je peux utiliser vos images d’insectes pour illustrer mon livre d’une rigueur scientifique indiscutable?

- Euh… vous voulez dire mes photos de leurres?

- Ouais, ouais, les photos, quoi, on s’en fout, ça ressemble non! Infidèle!

Oh et puis ce n’est qu’une preuve de l’incompétence d’Harun Yahya parmi une pléthore d’autres! Mais bon, au lieu de se focaliser sur les méfaits du mauvais larron, concentrons nous plutôt sur l’œuvre du véritable artiste dans l’affaire! Voici un petit aperçu des meilleures productions de Graham Owen:



Réplique d’Araignée Solifuge

Un vrai Solifuge

Une fausse libellule (j’aime bien le choix de la perle pour les yeux à facettes)

Une vraie Libellule (Crocothemis nigrifrons)

Vraie Libellule tentant de se reproduire avec une fausse Libellule

Une vraie Libellule tente de manger une fausse mouche
(C’est pas son jour à cette libellule, hein?)

Fausse Mouche domestique

Fausses Plecoptères adultes

Vraie Plécoptère

Un faux scorpion chasse une fausse abeille, Graham Owen


Faux Vrais Bourdons

Fausses Libellules et mouche domestique

Fausses limaces

Fausse Mouche domestique et faux coléoptère

Faux Phoebis

Faux Morpho bleu

Faux Grands Planeurs

C’est beau hein? Pas étonnant que Graham Owen se réserve certaines de ses étagères pour créer des petites vitrines (presque) naturelles:


Mais Graham Owen ne conçoit pas ses créations uniquement pour pêcher ou pour faire joli: elles sont souvent utilisées pour des films ou documentaires, ou encore des séances photos:


Mais comment réalise-ti-il ces leurres si réalistes? Et bien avec beaucoup de fil de pêche et une infinie patience. Démonstration pour réaliser cette nymphe de Plécoptère:


Dont la version en vraie ressemble à ça:


Ben en fait ça nécessite une quantité incroyable de fil de nylon de différentes couleurs qui sont enroulées autour des différentes structures à façonner:





Ouais je sais, comme ça c’est vite dit, et ça n’a pas l’air simple comme protocole, même avec ce didacticiel…
Allez, un dernier jeu pour finir: Quelle est la photo qui représente un vrai spécimen de criquet?



Moralité: Leurre mal acquis ne profite qu’aux artistes, pas aux créationnistes!

Liens:
Graham Owen