L'engouement pour le sauvage

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Dans un commentaire laissé à la Buvette, Guillaume Lebaudy écrit "Je renvoie aussi au dernier livre de l'anthropologue Sergio Dalla Bernardina, "Le retour du prédateur. Mise en scène du sauvage dans la société post-rurale" pour une bonne analyse de ces enjeux."

Je reviens sur ce livre déjà présenté à la Buvette :

Ce qu’il faut retenir de la propagation des valeurs barbares dans la culture européenne, par rapport à notre problématique, c’est qu’elles fixent des codes d’excellence qui vont durer très longtemps: la chasse devient un privilège, la consommation de gibier un luxe, le port de la fourrure une marque de noblesse, la présence de trophées à la maison, un signe certain d’appartenance aux couches supérieures de la population, le contact avec le monde sauvage (lorsqu’il est voulu et non pas subi, lorsqu’il ne correspond pas à un métier mais à un loisir), une source de prestige et un signe de distinction. Cet aspect est important parce qu’il nous aide à comprendre le regain d’intérêt auquel nous assistons (ou peut-être la permanence d’une fascination qui ne dit pas son nom) pour le monde sauvage et pour les objets « éthiquement peu corrects» (peaux tannées, têtes empaillées, crânes polis…) qui le représentent.” (Sergio Dalla Bernardina)
"Un signe certain d’appartenance aux couches supérieures de la population"
ou juste un mauvais goût ?


Dans "Le retour du prédateur, mises en scène du sauvage dans la société post-rurale", Sergio Dalla Bernardina est à côté de la plaque. Il explique la “mode” du sauvage avec une hypothèse pour le moins hasardeuse. S’il croit que les “écolos-bobos” sont favorables aux prédateurs (ou au sauvage en général) parce que cela représenterait un luxe pour privilégiés ou un art de vivre qui apporterait noblesse et prestige, il se trompe dans les grandes largeurs.

Les seuls qui s’intéressent encore aux trophées et qui mettent en avant leur “loisir” présenté comme un “art de vivre” sont les chasseurs. Les éleveurs présentent eux l'éradication des nuisibles et malfaisants comme une tradition au même titre que la transhumance (immémoriale, comme l'AOC Barèges-Gavarnie).

Sergio Dalla Bernardina  écrit “Le sauvage est partout, il fréquente nos maisons sous forme de trophées (très à la mode en dépit de l’écologisme ambiant), de nourriture (l’alimentation à base de gibier a doublé en quelques années), de vêtements (après une courte éclipse, la fourrure est revenue).”

Mais où sort-il ? Où va-t-il faire son marché ? Avec quoi décore-t-il son salon ? Peut-être les goûts pervers de Berlusconi influencent-ils la mode en Italie, mais je ne pense pas – mais je peux me tromper (réagissez) – que les membres des associations de défense des prédateurs (ADET, FERUS par exemple, que je classe globalement dans le mouvement écocentrique, bien que ce ne soit pas si simple pour tous les membres) collectionnent ce genre de fascination pour trophées et fourrures.

Et s’il y a du gibier sur les étals, c’est peut-être aussi à cause de la surpopulation d’ongulés qui permet aux "viandards" d’innonder le marché de civets et autres ragouts à la période des fêtes pour payer leurs munitions. Non, Sergio Dalla Bernardina ajoute "sur le ton de la plaisanterie" : "Puisque on n’arrivera pas à lui arracher ce genre de confessions, on pourrait prêter au « néo-mangeur » de produits  de la chasse (le « vieux mangeur» n’ayant pas à se justifier) des motivations moins présentables : 

« Si mon régime alimentaire prévoit du gibier c’est que les qualités symboliques de la bête sauvage, son énergie, sa vitalité, vont de pair avec les miennes. C’est que cela fait système avec mon 4/4, ma maison secondaire style “ranch” et  les célébrités auxquelles je m’identifie (celles-là mêmes dont on parle dans Gala, Point de vue et Images du monde). C’est que dans la mesure où, à la difféence de Bertoldo, cette figure médiévale du paysan parvenu, la position que j’occupe est bien méritée, mon penchant pour la venaison est tout à fait pertinent. Et puisque les chefs de cuisine les plus réputés, d’Alain Ducasse, avec son dos de biche frotté aux poivres, à Paul Bocuse, avec son chevreuil rôti, ont remis au goût du jour ces viandes princières, je ne vois pas pourquoi je devrais m’en priver. C’est que le pouvoir ostentatoire du cynégétique, avec ses dépenses improductives, ses luxes et privilèges, ses réserves en Sologne et ses safaris chic sur les pas de Karen Blixen et d’Ernest Hemingway, est loin d’être épuisé. »


Et faute d’avoir obtenu pareil témoignage d’un beauf écolo-citadin, SDB légende : “J’improvise, les informateurs se laissant aller à ce type de confidences sont en fait rarissimes.” Mais existent-ils ? Un bien maigre témoignage pour soutenir sa théorie.
Pour l’autre branche de l’écologie, le mouvement biocentrique, la vie et le respect de l'animal est sacré. Le biocentrisme a bien évidement une sainte horreur de la fourure, des alignement de trophées de chasse ou autres peaux d’ours devant la cheminée ou en descente de lit. Au contraire, pour eux, ce sont des signes ringuards d’anthropocentrisme décadent, des traditions complètement dépassées, seulement à la mode chez des ruraux d’un autre temps, qu’ils soient agriculteurs, chasseurs ou aficionados.
Sergio Dalla Bernardina prétend que sa théorie fournit “des modèles de comportement” et que le sauvage “se prête aux identifications les plus hétérogènes : sous le signe du prédateur, on voit cohabiter des écolos pacifistes, des biologistes engagés, des néo-chamanes romantiques et des néo-nazis enragés." Certes on trouve cà et là quelques allumés prêt à vivre avec les loups, une association qui a créé un logo ressemblant furieusement à ceux des divisions de la Waffen SS, mais ce ne sont là que des épi-phénomènes.

Il y a aussi chez les éleveurs, d'ex-citadins, post-soixante-huitards attardés, qui ont tout abandonnés pour élever des chèvres sur le plateau du Larzac, sans abandonner leur habitude de fumer un joint. Faut-il pour autant en tirer des théories "néo-shamaniques" ou "ovinosophiques" ? Non. Mais Sergio Dalla Bernardina ne s’en prive pas. Pour lui, l’engouement pour le sauvage est une mode, un simple effet de marché.

En bon anthropocentrique, comme la majorité des hommes, il rejette la prise de conscience environnementaliste et considère les écolos bobos comme des indécrotables pessimistes décroissants et lanceurs d'alertes bidons.

La science nous sauvera au pied du mur, continuons donc à produire, à exploiter, à consommer, à polluer, à détruire, à foncer... Les anciens le faisaient bien, il doit y avoir une (bonne) raison, non ?

Et s'ils veulent des ours, yaka en lâcher dans le bois de Boulogne ! Un bon loup est un loup intelligent (mort), qui a pris conscience qu'attaquer un mouton était dangereux. Et pour celà, une seule méthode : la lupotechnie!