Jarnac : terminus. Tout le monde descend !

Par Sergeuleski

 

  

   Paris–Montparnasse. Nous sommes jeudi. Il est 7h. Départ dans un TGV, direction Angoulême puis un TER vétuste et bruyant, et quatre heures plus tard...

   Bienvenue à Jarnac ! Ville d'origine contrôlée, côtés Cognac et Pineau, 5000 âmes à peine, et une Histoire comme toutes les autres communes de la région, et de beaucoup d'autres régions encore, de la pré-histoire à aujourd'hui.

   Un petit couac néanmoins : Jarnac rime avec arnaque ; quant à la truffe des Charentes… la truffe, les truffes !!!..................

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   Laissant la gare derrière moi, je remonte à pied l'avenue Carnot, puis tout droit après le pont de la Charente, fleuve calme et docile qui prend sa source là où on lui dit et, comme tout bon fleuve qui se respecte, termine sa course dans la mer : l’Atlantique pour ne pas la nommer. J'ai réservé une chambre à l’hôtel Ligaro ; un hôtel de caractère situé dans une vieille maison charentaise à deux pas de la mairie. Je suis descendu seul, aussi je ne me refuse rien : pension complète à 300 Euros ; les repas seront servis au Restaurant du château, non loin de là, à 200m.

Un détail néanmoins. Oh ! Trois fois rien ! De ce côté-ci de la ville, à mon arrivée, les rues étaient désertes : pas une âme qui vive !

Avant d’aller là où je comptais me rendre comme tant d’autres avant moi, et comme tant d'autres après moi, plus nombreux encore, j’avais prévu un petit détour par le quai de l’Orangerie, au numéro 10 plus précisément. Un musée faisant face à la Charente m’y attendait. Plus connu sous le nom d’Espace Culturel consacré à qui vous savez, personne à l’entrée n’était là pour m’accueillir et tout semblait abandonné : porte éventrée, volets fermés, pas d’électricité et pas de lumière mais une odeur. Oui ! Une odeur...

A peine entré, j'en suis très vite sorti, déçu et très intrigué.

D’un pas décidé, j’ai emprunté la rue du Chail, avant de me retrouver face à la maison natale de celui que l’on ne peut plus nommer sans éprouver une colère à peine maîtrisable, pour ne rien dire de la rage qui peut nous emporter tous autant que nous sommes à tout moment. Levant la tête, je me suis très vite rendu compte que le toit de la maison en question avait été soufflé, les volets arrachés, les vitres brisées... et cette odeur, la même odeur, une odeur… mais comment dire ?

Inquiet maintenant, faisant demi-tour avant d'emprunter la 2e à droite en direction du cimetière des Grands-Maisons situé dans le quartier du même nom, là où se trouve la sépulture de celui qui s’est fait un jour élire Président de la République française, c'était en Mai 1981, qu’elle n’a pas été ma surprise alors que je m'en rapprochais : une longue file d’attente obstruait les trottoirs et la rue qui mènent au cimetière ainsi que son entrée ; des centaines ils étaient !

Sortant de ma poche une fausse carte de presse, accompagné de la gardienne des lieux, j’ai pu me frayer un passage jusqu’à la sépulture tant convoitée ; et toujours cette odeur, la même, maintenant insupportable. Et devinez quoi ? Dans un défilé ininterrompu, jeunes, vieux, hommes, femmes, blancs, noirs, bruns, jaunes (rouges et verts !), chacun y allait de son crachat ! Oui ! Au passage, devant l’entrée du caveau, tous crachaient d’un crachat épais et lourd, du fond de la gorge, bien profond, après un raclement rhino-pharyngé de tous les diables. Et tous attendaient leur tour patiemment, anonymes, silencieux, mais déterminés. 

Des milliers de crachats depuis le début de la matinée m’a fait remarquer la gardienne ! « Sans doute, des millions de crachats en cumul depuis son décès », ai-je ajouté. 

Coloré, aqueux, gluant et muqueux, nez, gorge… tous mettaient un point d’honneur à le faire descendre ce crachat comme pour mieux le faire remonter ! Poumons, bronches, de leurs crachats à tous, translucides ou opaques, seuls importaient le poids, la cible, la puissance d’expulsion et la force de projection !

« Le glaire… contre le glaive de la finance, du profit sans retenue et de l’humiliation » m’a susurré à l’oreille un homme bien mis qui attendait calmement son tour.

La gardienne du cimetière censée pourtant surveiller les lieux et veiller au respect du règlement me l'a confirmé : les crachats n'ont jamais cessé depuis des années, et ce dès les premiers jours ; les médias en ont parlé un moment, puis plus rien sur instruction de l'Etat et d'un commun accord afin d'éviter une trop grande publicité et puis... connivence oblige ! La SNCF a refusé de fournir les trains supplémentaires qui étaient demandés (une fois n'est pas coutume !) ; et la police elle-même a très vite renoncé à intervenir (no comment !).

C’est donc dans l’indifférence la plus totale que des centaines de milliers, d’hommes et de femmes - voire des millions -, faisaient ce voyage à Jarnac en train, en voiture, en autocar, à pied, en auto-stop, à moto, à vélo ! Ils venaient de toute la France, certains d'Afrique noire, d'autres du Maghreb, avant de quitter le cimetière et la commune discrètement sans demander leur reste car, si tous avaient soutenu l’entartage des années 80 et 90 destiné aux facétieux et aux tartuffes de la conscience humaine, tous étaient maintenant partisans d'une approche plus radicale encore.

« Un crachat sur la tombe de celui qui a démissionné devant les puissances de l’argent et de la guerre, et ce faisant… a abandonné l’idée que l’on se faisait de la Gauche ? » me suis-je aventuré à suggérer à l’un d’entre eux…

D'un simple regard, le jeune homme acquiesça comme résigné.

« Cent crachats sur 60 ans d'une vie politique au cours de laquelle on s'épuisera à chercher ne serait-ce qu'un seul acte courageux ? »

Et puis encore...

"Mille crachats sur la sépulture de celui  qui a fait d’une gauche dite de gouvernement  qui ne se résume plus aujourd'hui qu'au PS et à quelques écolos égarés dans la poursuite d'une carrière sans honneur, un beau tas de lâchetés munichoises ? Vraiment, on ne peut pas cacher d'où l'on vient : après la Francisque !...» ai-je surenchéri…

On me fit "oui" de la tête ; une jeune femme, jeune et bien mise.

 « Des millions de crachats pour nous avoir tous livrés, traité après traité, à une Europe qui n'a jamais fait qu'un seul choix depuis Maastricht : celui d'un moins-disant social, culturel, intellectuel et morale ? »

Pareillement, cette suggestion recueillit la même approbation mais d’un vieillard cette fois-ci ; un vieillard encore vigoureux de cœur et d’esprit.

   Pour mon information, dans un souci d’exhaustivité qui l’honore, la gardienne a tenu à mentionner la présence d’un crachat dit « rectal » : assurément, on fait le mur la nuit ; et au petit matin, on trouve les lieux souillés par des excréments ; l'urine aussi semble y avoir trouvé toute sa place auprès de ce caveau.

Vous voyez, l’odeur ! Encore et toujours cette odeur !

Inutile de préciser que pour cette gardienne de cimetière reconvertie malgré elle en Madame-pipi, la coupe était vraiment pleine. « Ce n'est plus une sépulture mais une porcherie ! Et quelle porcherie ! Même les chiens y viennent ! Et cette odeur ! Ah ! Cette odeur, mon Dieu ! » car il faut le savoir : si d'aucuns meurent d'une mort qui les illuminent (Hugo, Jaurès), d'autres crèvent d'une mort qui n’a rien à envier à celle des rats quand ils descendent le fil de l'eau, le ventre gonflé, accompagnés d’une odeur qui ne trompe maintenant plus personne : « C’est bien là l'odeur d'une ordure trépassée qui passe ! »

Terrassés d’effroi, un seul recours alors pour les croyants : se signer au plus vite. Pour les autres...

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   En quittant les lieux, sur le chemin du retour, crachant tout du long (ne voulant pas être en reste, et puis... juste pour être sûr !), comme je rentrais à mon hôtel, une certitude est venue et ne m’a plus quitté : après Saint-Jacques-de-Compostelle, Lourdes - d'autres mentionneront la Mecque -, désormais, ce sont bien avec le pèlerinage de Jarnac et avec tous ces crachats-là qu’il faudra compter ! 

  Oui ! Chers frères et chères soeurs ! Notre salut à tous viendra de lui, et de lui seul ! De ce crachat car c’est toute notre dignité d'hommes et de femmes de gauche que l’on retrouvera alors à Jarnac, pour y être allés, et plus important encore, pour y avoir craché tout notre mépris et notre colère, et puis aussi... la gorge en feu, la gorge desséchée, pour en être revenus assoiffés de justice, le coude bien haut !