RGPP : sous les apparences de la réforme manque encore l’essentiel ?

Publié le 06 avril 2008 par Denis_castel

Je me suis astreint ce week-end à parcourir le rapport qui a servi de base aux annonces de Nicolas Sarkozy sur la réforme de l’Etat à l’occasion du second Comité de Modernisation des Politiques Publiques (CMPP) qui s’est tenu à Bercy vendredi.

Avertissement

Avant d’entrer dans le vif du sujet, l’honnêteté m’oblige à faire deux avertissements qui seront autant de bonnes raisons d’arrêter là votre lecture :

- le rapport compte 176 pages et traite de sujets plutôt arides. Ce billet est donc nécessairement un peu long et pourra lui aussi apparaître comme rébarbatif.

- si, du fait du remarquable travail de désinformation, de conditionnement et de manipulation mené depuis des années par une partie de nos dirigeants politiques et des médias, vous croyez encore que l’ampleur de nos déficits publics n’est pour rien, bien au contraire, dans le chômage de masse et la dégradation du pouvoir d’achat (*), passez votre chemin. Ce qui suit ne pourra être pour vous qu’une source d’agacement, et il vaut mieux que vous en restiez à écouter la bonne parole de François Hollande (tout à ses ambitions personnelles, celui-ci sacrifie la vision de l’intérêt général à la politique politicienne et se montre par sa réaction d’une irresponsabilité coupable) pour rester dans le confort ouaté de l’illusion de la souveraineté financière éternelle et intangible de l’Etat.

(*) En paraphrasant la célèbre citation du chancelier allemand Helmut Schmidt ("Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain"), on pourrait aussi écrire que les déficits publics d’aujourd’hui sont les impôts et prélèvements de demain et les licenciements et délocalisations d'après-demain. Je suis bien conscient que la majorité de mes concitoyens est consciencieusement maintenue par une partie de nos élites bien-pensantes dans l’ignorance de ce lien de cause à effet entre excès de prélèvements obligatoires pour cause de déficits grandissants, destructions d’emploi et faible progression des revenus salariaux. Ce qui explique que François Hollande puisse agiter en toute impunité le spectre de la rigueur sans que personne puisse lui opposer que les déficits publics sont l’ennemi de la feuille de paie des salariés du secteur public comme privé.

Rappels préalables

La réforme et la modernisation de l’Etat ont déjà fait l’objet d’un certain nombre d’annonces depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, avec deux dates à avoir en tête :

- le discours prononcé à Nantes le 19 septembre 2007 lors d’une visite à l’Institut Régional d’Administration, qui avait vu l’annonce des mesures visant à moderniser la fonction publique (mobilité des agents, individualisation des rémunérations, choix du statut à l’embauche, indemnité de départ volontaire),

- le premier CMPP, qui s’est tenu le 12 décembre 2007, et lors duquel avaient été annoncées les grandes lignes de la réforme de l’Etat, notamment la mise en place d’un management public digne de ce nom avec l’affirmation de l’autorité des préfets sur les services de l’Etat au niveau départemental.

Les annonces du 4 avril 2008

Pour hétéroclites qu’elles soient, les mesures annoncées vendredi participent toutes de la même volonté de rationaliser et de réorganiser le fonctionnement de l’Etat pour en améliorer l’efficacité tout en diminuant le coût. Il faut là en donner acte à Nicolas Sarkozy et surtout il convient de lui laisser un peu de temps. On le voit bien à l’aune des mesures déjà annoncées les 19 septembre et 12 décembre derniers :

- sur la modernisation de la fonction publique, et même si je reste sceptique quant aux résultats des mesures envisagées (combien de fonctionnaires échangeront la sécurité de l’emploi contre une indemnité de départ volontaire ? combien de nouveaux recrutés choisiront un CDI plutôt que le statut de fonctionnaire ?), un projet de loi et plusieurs décrets sont annoncés pour ce mois. A suivre donc.

- en ce qui concerne l’autorité des préfets sur l’ensemble des services de l’Etat au niveau local, seule la fusion des directions départementales de l’équipement (DDE) avec les directions départementales de l’agriculture et de la forêt (DDAF) a été engagée et le plus gros reste à faire sur le sujet, ce que ne cache d’ailleurs pas le rapport présenté vendredi en décrivant les étapes suivantes ("Une mission interministérielle, associant des représentants de tous les ministères autour d’un directeur de projet placé auprès du Premier ministre, est constituée : elle est chargée de veiller à la cohérence interministérielle et à la conformité avec les orientations générales de la révision des politiques publiques des mesures concernant l’administration territoriale mises en oeuvre par les ministères. Ceux-ci sont tenus de l’informer en continu des dispositions qu’ils projettent et engagent. Dans l’immédiat, elle est chargée, en relation étroite avec le ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales, de proposer les décisions et les textes à prendre sur les sujets suivants :
- les contours et la dénomination des directions régionales ;
- l’organisation départementale sur le schéma défini le 12 décembre ;
- l’organisation de la mutualisation en matière de gestion des ressources humaines ;
- les outils de mutualisation à la disposition des préfets et des services déconcentrés.
").

Les autres mesures, si elles relèvent d’un inventaire à la Prévert (il semble difficile qu’il en soit autrement) et si elles manquent de précisions, relèvent elles aussi de la volonté au moins affichée (il reste à voir les résultats, Cf. infra) de rationaliser l’Etat en faisant jouer les synergies, en supprimant les doublons et en s’assurant de l’utilité de chaque euro dépensé. En voici quelques-unes à titre d’exemple :

"- Transformation d'une trentaine d'ambassades en postes de présence diplomatique simple à format allégé et simplifié
[…]
- Réexamen de l'ensemble des dispositifs d'exonérations spécifiques de charges sociales en vue de plafonner systématiquement le niveau de salaire en bénéficiant et de les limiter dans le temps pour les soumettre à une évaluation régulière de leur rapport coût-bénéfice
[…]
- Recentrage des aides à l'investissement locatif sur les besoins prioritaires
[…]
- Réexamen d'éléments particuliers de la fonction publique d'outre-mer (congés bonifiés par exemple) et de certaines indemnités spécifiques de retraite
[…]
- Extinction progressive du dispositif de sur-pensions versées aux fonctionnaires allant s'installer outre-mer pour leur retraite sans y avoir travaillé une durée minimale
[…]
- Allégement des échelons intermédiaires existants dans chaque armée
[…]
- Suppression de l'Inspection générale du tourisme
[…]
- Augmenter les activités qui génèrent des ressources complémentaires pour les universités (formation professionnelle continue et sessions d’été par exemple) en ouvrant les universités toute l’année civile
"

Au-delà des demi-aveux de gabegie (les Hauts Conseils et autres Comités d’enquête inutiles, les sur-pensions de retraite injustifiées…), on relève bien quelques incohérences (affirmation de l’autorité hiérarchique des préfets de région sur les préfets de département, mais à l’exclusion du "champ des politiques de sécurité, ou ayant trait à la présence et à la permanence de l’État" - cela limite un peu – ou encore l’annonce de la suppression du Haut conseil de la coopération économique et quelques pages plus loin, au détour d’un graphique, la mention de la "suppression du Haut Conseil de la coopération internationale, remplacé par un conseil stratégique sur l’aide publique au développement"… - de quoi faire douter de la disparition réelle et définitive de toutes ces instances à l’utilité douteuse mais aux coûts de fonctionnement avérés), mais le plus chagrinant est ailleurs.

L’essentiel a-t-il été oublié ?

"Ces réformes, auxquelles s’ajouteront celles du prochain Conseil de modernisation, permettront d’atteindre l’objectif de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux entre 2009 et 2011, en améliorant dans le même temps la qualité du service public. Elles représentent environ 7 milliards d’euros d’économies à l’horizon 2011, dont une partie sera redistribuée aux fonctionnaires, conformément à l’engagement du président de la République de redistribuer la moitié des économies liées à la réduction des effectifs."

Un des principaux leviers d’économies (et il y a besoin d’en faire si l’économie française veut espérer sortir de la croissance molle, du chômage de masse et de la paupérisation rampante) et de réduction des déficits publics (vous vous rappelez, les déficits publics d’aujourd’hui sont etc …) réside évidemment dans la réduction des frais de personnel (pas que dans la fonction publique d’Etat d’ailleurs, il suffit de regarder les offres d’emplois des collectivités locales à la fin de chaque numéro de Télérama pour s’interroger sur la gestion des deniers publics dans la fonction publique territoriales). Et c’est là que le bât blesse.

D’abord parce qu’on retrouve ce principe de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Principe complètement débile parce que ne tenant aucun compte des besoins de recrutement pour certaines missions et des sureffectifs avérés sur d’autres. Je prends deux exemples volontairement caricaturaux : si, par un incroyable hasard ne partaient à la retraite en 2008 que des fonctionnaires du Ministère des Anciens Combattants et des enseignants en latin et grec ancien, y-aurait-il besoin d’en remplacer un sur deux ou seulement un sur dix ? Et si ne partaient en 2008 que des policiers en poste dans des missions opérationnelles, faudrait-il en remplacer seulement un sur deux ou neuf sur dix, la totalité ou voire même en recruter plus qu’il n’en part ?

Ensuite, parce que je reste très sceptique sur la mobilité des fonctionnaires malgré les mesures incitatives envisagées (Cf. supra) et sur les possibilités de redéploiement des effectifs en provenance d’organismes supprimés ou fusionnés et donc sur les économies réelles à attendre. Dans le cas de l’Inspection Générale du Tourisme, cela devrait être possible de trouver un point de chute aux personnels concernés, qui sont en nombre réduit et basés à Paris. Mais comment cela se passera-t-il pour les milliers de postes amenés à être supprimés dans des villes de province dans le cadre de l’unification des réseaux de la direction générale des impôts et de la direction générale de la comptabilité publique ? Pour avoir vécu une fusion dont l’un des protagonistes était un établissement ayant passé 150 ans dans le secteur public avec un statut calqué sur celui de la Banque de France, j’ai pu constater la difficulté à faire bouger des personnels sous un quasi-statut de secteur public sur d’autres postes, surtout depuis des activités de back-office vers des missions de front-office. Commentaire lapidaire du chef de mission du cabinet de consultant ayant participé aux travaux de rapprochement : « C’est la première fusion que je vois où on crée des postes... ». Et encore y avait-il eu une vague de démissions chez nous au moment de l’annonce du rachat…

Le rapport présenté vendredi par Eric Woerth se réclame explicitement des réformes menées en Suède et au Canada ("Ce constat n’est pas original : le Canada, la Suède l’ont fait avant nous."). Non sans raison puisque la Suède vient d’annoncer presque simultanément un excédent budgétaire record et une prévision de croissance bien supérieure à celle qui peut être espérée pour l’économie française.

Encore faudrait-il être bien conscient que, en Suède comme au Canada, la réforme s’est effectivement aussi faite par fusions, rapprochements et réorganisations de structures administratives mais s’est accompagnée d’une révision du statut des fonctionnaires. Sans révision concomitante du statut général des fonctionnaires datant de 1946, la RGPP risque fort de rester un coup d’épée dans l’eau.

NB : L’utilisation de la fonction "Prévisualiser" des commentaires est toujours à éviter.