[Dossier] Arnold Schwarzenegger : Itinéraire d’un chêne affamé

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Il est grand, autrichien, a une grande gueule, des muscles impressionnants et un égo démesuré. Il est orgueilleux, borné, fonceur, frondeur, intelligent, bourrin, un poil insensible et carrément ambitieux. Arnold Schwarzenegger incarne à la perfection le fameux rêve américain. Celui dont on nous parle pour nous vanter les mérites du pays de l’Oncle Sam. Arnold Schwarzenegger est aussi l’incarnation quasi définitive du mot star. Tout ce qu’il a fait, il l’a fait à fond. Quand il se lance en politique, il devient gouverneur de l’état le plus puissant des États-Unis. Quand il se met à la musculation, il cumule les titres. Au cinéma, il devient l’acteur le mieux payé au monde et travaille avec les plus grands. Même lorsqu’il trompe son épouse avec la femme de ménage, Arnold ne fait pas les choses à moitié et lui colle un gosse dans le buffet.
Il ne dort pas plus de 6 heures par nuit, croit dur comme fer en lui-même et ne se laisse jamais détourner de son objectif. Arnold, c’est le Terminator fait homme. Une espèce de machine venue d’Autriche dans le seul but de se hisser à la force d’une volonté surnaturelle au sommet de la gloire. Dans une multitude de domaines, sans jamais se laisser freiner par qui, ou quoi que ce soit. Schwarzenegger, plus encore que la choucroute, est devenu le représentant d’un pays surtout connu pour ses grands compositeurs et ses tenues traditionnelles, même si aujourd’hui (et ce depuis bien longtemps), il est devenu plus américain que certains américains eux-mêmes. Schwarzenegger est un cas unique dans l’histoire du cinéma, de la politique, du sport et des affaires. Un cas unique. Dans le genre, personne n’a jamais fait mieux. « Ce qui m’a toujours fasciné, ce sont les hommes dont on se souvient pendant des siècles » dit-il fièrement, comme un leitmotiv qui lui a servi de moteur dès qu’il fut en âge de piger le fonctionnement d’un monde qu’il souhaite regarder de haut. Il n’y a qu’un Arnold Schwarzenegger. Pourquoi ? Tentative de réponse en cinq points primordiaux.

Arnold le culturiste : de Graz à Los Angeles

Arnold Schwarzenegger est né le 30 juillet 1947 à Graz en Autriche. Son père est un ancien officier de l’armée. À Graz, Arnold grandit dans un environnement très rural. À la dure, parmi les vaches, dans le froid et la rigueur propre à l’Europe de l’Est, surtout si on considère le contexte d’après-guerre dans lequel le pays tente d’évoluer. Anciennement membre du parti nazi, mais vierge de tout crime de guerre (plusieurs enquêtes ont été menées afin de prouver la non implication du père d’Arnold dans les agissements des nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale), son père est un homme très strict.
L’argent ne coule pas à flot chez les Schwarzenegger qui cultivent un mode de vie austère. L’éducation que reçoivent Arnold et son frangin Meinhard est très dure et pousse Arnold a envisager très tôt une porte de sortie vers un avenir plus ensoleillé (dans tous les sens du terme).
Fasciné par Johnny « Tarzan » Weissmuller, Arnold se met très tôt à la musculation en se passionnant également pour le parcours du culturiste Reg Park, qui devient pour lui la référence absolue.
Défiant les espoirs que ses parents ont placé en lui, le futur Conan pousse de la fonte sans relâche dès l’age de 13 ans. Il le sait, là est sa porte de sortie. Les culturistes ne sont pas encore des stars, mais Arnold remarque qu’ils attirent l’attention et tout spécialement celle des belles nanas qui gravitent autour de ces muscles huileux et saillants. Avec sa taille avantageuse et son ossature prédestinées à soutenir une masse musculaire importante, Schwarzenegger semble désigné d’office pour exploser tous les records.
Très tôt, il croit en lui et ne doute pas que bientôt, les États-Unis lui ouvreront les bras en grand, ne pouvant pas résister longtemps à son charisme indéniable. Même si il ne parle pas un traitre mot d’anglais.
Bref, quelques séries de développé couché plus tard (pour résumer), Arnold est un monstre d’1m88 de d’approximativement 107 kilos. Accompagné de son pote, le culturiste Franco Columbu, Arnold est un char d’assaut. Il déménage rapidement à Munich où il bosse avec Franco dans une salle de musculation qu’il rachètera par la suite. Les titres s’accumulent dans sa besace. Il devient à 20 ans le plus jeune Mr. Univers de l’histoire. En 1968, il en profite pour remporter le Stone Lifting Contest (un concours d’hommes forts), prouvant au passage que ses muscles sont bel et bien synonymes de force brute.
En tout est pour tout, Schwarzenegger a remporté un titre de Mr. Europe Junior, un titre de Mr. Europe et de Best Built Man in Europe, 5 titres de Mr. Univers et 7 de Mr. Olympia, soit la plus haute distinction de la discipline. C’est un record. Depuis, seuls deux hommes (Lee Haney et Ronnie Coleman) ont dépassé cette fatidique barre, avec 8 titres de Mr. Olympia.
Durant tout ce temps, même si il considère le culturisme comme le moyen d’accéder à la prochaine étape de son « évolution » à savoir les États-Unis et Hollywood, Arnold œuvre avec une hargne incroyable pour la reconnaissance et l’essor de son sport de prédilection. À Munich, il va même jusqu’à se balader en slip dans les rues pour faire la promo de son club, alors que la température avoisine zéro degré. Il déclare aussi que la musculation est supérieure au sexe. Pour attirer l’attention. Depuis le jour où il a touché pour la première fois une barre de fonte, Arnold a déjà imposé son nom dans le monde entier, contribué à faire connaître le culturisme donc, battu toutes ses idoles (dont Sergio Olivia et Reg Park), et copiné avec Joe Weider, le pape du culturisme et parrain d’Arnold à son arrivée aux États-Unis. Sommité du milieu, Schwarzenegger est déjà une star, même si à l’époque, le culturisme ne paye pas spécialement les factures. D’où son projet, alors qu’il est en pleine ascension culturiste, de faire ses valises pour le pays de John Wayne et de passer à l’autre étape de son plan.

De gauche à droite : Franco Columbu, Arnold, un type, Lou Ferrigno.

Arnold l’entrepreneur : Million Dollar Man

Dans son autobiographie intitulée très modestement Total Recall : L’incroyable et véridique histoire de ma vie, sortie fin 2012, Arnold explique qu’à son arrivée aux États-Unis, l’un de ses buts premiers fut de gagner son premier million de dollars. C’est ainsi, lorsqu’il déboule aux États-Unis, chez Joe Weider, qu’Arnold apprend simultanément à parler anglais et à affiner son sens inné des affaires. Avec son pote, le bodybuilder Franco Columbu, Arnold monte une entreprise de maçonnerie : « Il s’y connaissait en maçonnerie, et moi, en affaires (…). On a passé une annonce dans le journal qui disait : « Maçons européens. Spécialistes du marbre et de la pierre ». On a tout de suite décroché notre premier contrat : construire un mur pour un type dont la maison avait appartenu à l’acteur de cinéma muet Rudolph Valentino ». Quand la Californie est secouée par un violent tremblement de terre en 1971, Arnold et Franco décrochent le jackpot. Avec tout ce fric, Arnold se paye des cours à la fac et investi avec son ami dans un terrain destiné à devenir un aéroport notamment et dans des immeubles. Il étudie la finance, les bons placements, s’entoure judicieusement et continuer à pousser de la fonte, quand il ne monte pas des blocs de pierre sur les chantiers. Très vite, Arnold devient millionnaire. Son nom lui, n’est connu que des amateurs de musculation, mais pas plus. La célébrité viendra avec le cinéma.

Arnold et son plus vieil ami, le culturiste Franco Columbu du temps de leur ascension dans le monde des affaires, aux USA.

Arnold l’acteur superstar : The King of Hollywood

Patron incontesté du culturisme avec ses records à la pelle, Arnold déboule à Hollywood armé d’une arrogance incroyable. Le premier à en faire les frais est le producteur de légende Dino de Laurentiis, à qui Schwarzenegger manque de respect lors de leur première rencontre. Ce qui conduit de Laurentiis à s’opposer à ce que Schwarzie tienne le rôle principal de Conan Le Barbare, le qualifiant auprès du réalisateur John Milius de nazi. L’ambiance est bonne.
Le truc, c’est que lorsqu’il se met franchement dans la tête de réussir dans le cinéma, Arnold n’y va pas quatre chemins. C’est un conquérant, venu d’Europe pour mettre Hollywood à ses pieds. Il se fait des relations, côtoie les grosses stars de l’époque comme Jack Nicholson, avant même de tourner quoi que ce soit de notable, et fait en sorte que son nom soit connu du plus grand nombre, quitte à ce que ces derniers, n’arrivent pas à le prononcer. Et ça paye. Assez rapidement qui plus est.

Quand on jette un regard d’ensemble sur la filmographie d’Arnold Schwarzenegger, on remarque très rapidement que le bougre a plutôt vachement bien géré sa carrière. Au point d’affirmer sans se tromper que c’est lui, et de loin, qui cumule les collaborations les plus prestigieuses de tous les acteurs du club des gros bras, emmené par -pour ne citer qu’eux- Sylvester Stallone, Jean-Claude Van Damme ou encore Steven Seagal. Arnold a tourné avec James Cameron, plusieurs fois, avec John McTiernan, là encore plusieurs fois, avec John Milius, avec Ivan Reitman, à plusieurs reprises également, avec Walter Hill, ou encore avec Paul Verhoeven. Il a même été dirigé, au tout début de sa carrière, par Bob Rafelson, le réalisateur fétiche de Jack Nicholson. Le film, Stay Hungry, où Schwarzie incarne un culturiste, lui a même valu un Golden Globe. Le trophée qui reste d’ailleurs la seule récompense de prestige remportée dans le milieu du cinéma par le Chêne Autrichien.
Contrairement à Stallone, qui déplorait il n’y a pas si longtemps en interview le peu de collaborations de prestige que sa carrière comptait, Schwarzenegger a bénéficié du talent des meilleurs, à de nombreuses occasions. Y-compris quand il décide de toucher à la comédie et atterrit sous la houlette d’Ivan Reitman.

Arnold et le réalisateur John Milius, sur le tournage de Conan Le Barbare.

Stallone a créé, avec Rocky et Rambo, dont il a écrit les scénarii et/ou construit les personnages, son propre tremplin vers la gloire et la reconnaissance et par ce biais là son image d’acteur. Schwarzenegger lui, n’a jamais écrit de scénarii. Il a écouté, observé, s’est imposé dans les milieux autorisés et tapé à des portes, quitte à les enfoncer comme une mule. Très malin, il a entrevu sa conquête de l’Amérique par étapes, en rongeant son frein quand la chance lui tournait le dos. Comme quand, après avoir tourné dans le navet Hercule à New York (où il est doublé, en version originale, vu son piètre niveau d’anglais et son accent), rien ne se passe d’important niveau cinéma pendant plus de 6 ans. Même une fois lancé, lorsque sort dans les salles le chef-d’œuvre baroque et wagnerien de Milius, Conan Le Barbare, Arnold doit attendre car les rôles se font rares. Le modèle qu’il vient de créer, provoque un émoi à Hollywood, qui doit quasiment inventer un genre pour utiliser à bon escient un tel comédien. Car il ne faut pas oublier qu’à l’époque, Stallone est encore considéré comme un acteur, avec un grand A. Certes, Bruce Lee est passé par là, avec ses longs-métrages centrés sur l’action inhérente aux chorégraphies martiales, mais le cas Schwarzenegger est différent. Il faut laisser le temps aux producteurs de forger un moule adéquat à la figure de style que personnifie Arnold. Et ce genre de truc, ça prend du temps.

Schwarzenegger ne semble jamais avoir vraiment cherché la crédibilité pure d’acteur. Pas au sens shakespearien du terme en tout cas. Il n’a jamais foulé les planches d’un prestigieux théâtre et s’est surtout concentré sur une chose : assouvir son appétit insatiable. Ce qui consistait à se faire connaître, à être le plus crédible possible dans ses rôles et à ramasser de la thune très rapidement. Conscient tout de même de l’importance du côté technique du jeu d’acteur, Arnold se forme, mais reste réaliste. C’est son physique qui lui vaut toute l’attention, son charisme également. Même lorsqu’il cherche à percer dans la comédie, ses muscles ont un rôle à jouer. Du moins la plupart du temps.
Sa stratégie fonctionne et donne des résultats assez rapidement. Une évolution visible par le biais de l’augmentation progressive de ses salaires, qui atteignent des sommets, en plafonnant un moment à 20 millions de dollars, dès L’Effaceur, puis en atteignant la somme record de 30 millions pour Terminator 3. Arnold Schwarzenegger est l’acteur le mieux payé de son époque, talonné par Stallone, au temps où le cinéma d’action (au sens large) squattait très largement le box office.

C’est ainsi, dès Conan Le Barbare, qu’Arnie casse la baraque. Quel autre rôle aurait pu mieux mettre en valeur le charisme brut de décoffrage du Chêne Autrichien que celui de ce guerrier sauvage et bourrin, prêt à tout pour venger la mort de ses parents. Il n’en sera pas de même pour la suite qui souffre des concessions faite par les producteurs (Conan Le Destructeur) pour transformer la boucherie en parc d’attraction pour toute la famille. Arnold est le premier à le déplorer, mais se voit plus ou moins contraint de tourner Kalidor, l’ultime tentative de surfer sur la vague de l’heroïc-fantasy au cinéma, avant que celle-ci ne viennent s’échouer sur le rivage des illusions hollywoodiennes perdues. Le tournage de Kalidor, l’un des grands navets d’Arnold sera néanmoins l’occasion pour ce dernier de se payer du bon temps avec la future ex Madame Stallone, Brigitte Nielsen, alors même qu’il est déjà engagé avec Maria Shriver. Une anecdote relayée par Arnold dans son bouquin.

L’explosion définitive, celle qui propulsera Schwarzenegger dans la stratosphère des acteurs millionnaires et plébiscités par le public, se fera entendre à la sortie de Terminator. Alors débutant, mais déjà remarquable de par son son imagination débordante et de par sa faculté à mettre en œuvre ses idées les plus folles, James Cameron fait confiance à Arnold. Une amitié est née, en même temps qu’un chef-d’œuvre inoxydable. Parfait en bad guy indestructible face au pugnace Michael Beihn, Arnold en profite une nouvelle fois pour jouer un personnage que son physique rend plus crédible, remplaçant au pied levé O.J. Simpson.

Commando suit, en 1985. Réalisé par Mark L. Lester, le responsable du bourrin Class of 1984, Commando ne semble pas avoir une importance primordiale pour Arnold, qui y fait à peine référence dans ses mémoires. Pourtant, il s’agit ni plus ni moins que de l’un des plus grands films d’action du cinéma américain. Œuvre totalitaire, farcie d’erreurs de montage et de répliques cultes, Commando est un pur produit de son époque. La quintessence d’un certain cinéma, en connexion directe avec les attentes de son public. Encore aujourd’hui largement multi-diffusé sur la TNT, Commando fait les beaux jours des fans d’action, conscients qu’il s’agit là d’un must absolu, aussi jubilatoire que décomplexé. Suit Le Contrat, film là aussi considéré par Arnold comme mineur, tourné sous la contrainte d’un engagement avec Dino De Laurentiis.

Commando, de Mark L. Lester.

Arrive ensuite Predator, tourné par John McTiernan, alors qu’Arnold se prépare à passer la bague au doigt de Maria Shriver. Nouveau chef-d’œuvre ! Survival badass, réalisé de main de maitre par Mc T, Predator finit de confirmer l’image de l’acteur, qui côtoie un temps sur le tournage un Jean-Claude Van Damme débutant, alors embauché pour porter le costume du monstre. Rien à signaler. Van Damme se démarque par son caractère difficile (aux dires de Schwarzie), il est remplacé et Arnold rafle la mise. Avec son escadron de gros bras, composé entre autres de Bill Duke (le béret vert de Commando), de Jesse Ventura (un ancien catcheur qui sera également dans Running Man) ou encore de Carl « Appolo Creed » Weather, le long-métrage est un gros uppercut et du même coup s’impose comme une référence définitive. Alors plutôt débutant lui aussi, John McTiernan assoit une patte unique, qui colle à merveille avec la présence et le jeu d’un Schwarzenegger plus que jamais déterminé.

Arnold Schwarzenegger fait ensuite la connaissance de Paul Michael Glaser, le légendaire Starsky, de la fameuse série télé policière, dépêché d’urgence sur le tournage de Running Man, pour emballer le film. Arnold considère Running Man comme un échec alors que finalement, pris comme un film d’action basique, aux punchlines qui tuent, le long-métrage n’est pas si mauvais que cela (par contre, si on considère qu’il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de Stephen King, ça craint).
Arnold tourne dans Double Détente, où il joue un flic russe qui doit faire équipe avec l’américain typique incarné par John Belushi, sous la direction de Walter Hill, puis enchaîne avec Jumeaux, la comédie d’Ivan Reitman.
Pensant qu’il peut tout se permettre car de toute façon, son public le suivra, Arnold réalise l’un de ses grands fantasmes d’acteur : faire rire. Et même si Jumeaux n’est pas non plus un monument de la gaudriole, on peut le considérer comme une victoire. Victoire aussi imputable à Danny DeVito qui, grâce à son physique complètement opposé à celui d’Arnold, permet de faire marcher à plein régime le principal ressort comique du film. Deux ans plus tard, Schwarzie retrouve Reitman pour le très bon film familial, Un Flic à la Maternelle où il s’oppose à Richard Tyson tout en faisant la classe à des gamins. Là encore, Arnold joue sur le choc des contrastes et pour l’instant, ça fonctionne.
Aux dires de ses proches et de ceux qui ont pu le côtoyer, Schwarzenegger est un type très drôle. Avec son humour rentre-dedans, il choque certains et amuse les autres, notamment aux États-Unis, où son accent à couper au couteau fait merveille. Là est d’ailleurs tout le secret de l’humour de Schwarzenegger. Dans le décalage. Qu’il soit physique ou culturel. Arnie a très vite pigé qu’il ne servait à rien de se conformer à un moule. Tout chez lui est disproportionné et en jouer était sa seule option viable. Sa carrière et la place qu’il a su acquérir ont en effet confirmé à quel point il avait raison.

Total Recall confirme quant à lui a quel point Schwarzie est en odeur de sainteté aux États-Unis, où son nom est presque d’office associé aux gros projets qui font la part belle à l’action et à un humour plus ou moins décalé. Le film de Paul Verhoeven, inspiré d’une nouvelle de Philip K. Dick, exploite à fond cette nonchalance savante et ce sens de la répartie physique et verbale, qui font d’Arnold un acteur résolument à part. Réussite indéniable, Total Recall précède un autre film primordial de la carrière de l’ex-bodybuilder, à savoir le monumental Terminator 2.
Cette fois-ci du côté des gentils, avec un rôle de Terminator bienveillant, Arnold enfile à nouveau le cuir et incarne la star ultime de films d’action, dans un long-métrage « bigger than life », à tous les niveaux. James Cameron a cette fois-ci les moyens financiers et technologiques d’illustrer avec grandiloquence sa vision. Son scénario fait la part belle au spectaculaire mais pas seulement. Enchaînant les morceaux de bravoure, Terminator 2 est l’occasion pour Schwarzenegger de livrer une performance magnétique et au passage d’encaisser un salaire proportionnel à son tour de poitrine.

Arnold et James Cameron sur le tournage de Terminator 2 : le Jugement Dernier.

Son film suivant, Last Action Hero, réalisé à nouveau par John McTiernan, est aussi l’un de ses plus réussis. Par contre, c’est un four au box office. L’insubmersible Schwarzie accuse le coup, même si au final, il ne s’arrête pas aux scores décevants de cette pourtant formidable parodie d’action. Fidèle à lui-même, il ne regarde jamais dans le rétro, à part pour admirer le travail accompli et fonce, toujours vers l’avant. Il retrouve James Cameron, pour ce qui reste à ce jour leur dernier film ensemble, True Lies. Le film propulse à nouveau Arnold vers les sommets et s’impose comme une œuvre définitive d’un genre cinématographique -le film d’action- porté ici à son paroxysme. Remake de La Totale de Claude Zidi, True Lies correspond particulièrement bien à Arnold, car il multiplie par 10 tout ce qui avait été fait auparavant. Dans True Lies, tous les compteurs sont au taquet et Arnold s’en donne à cœur joie, faisant à merveille cohabiter son désormais légendaire humour et sa présence physique toujours impressionnante. Sans le savoir, Arnold vient de tourner son dernier très grand film. La suite, bien que loin d’être déshonorante ne sera qu’une lente descente.

Les temps deviennent difficile pour les action stars des années 80, qui viennent, au début des années 90, de vivre une période particulièrement faste. Une observation qui vaut pour tout le monde, que l’on parle de Van Damme, de Seagal, de Stallone ou de Chuck Norris, qui de toute façon est aux fraises depuis déjà un bail.
Schwarzenegger lui, multiplie les activités et tourne encore et toujours. Il tombe enceint chez Ivan Reitman et côtoie Emma Thompson et Danny De Vito (dans Junior donc). Sous la direction du Chuck Russell, connu pour avoir signé The Mask, il apparaît dans le très bon et efficace L’Effaceur, aux côtés de James Caan. Puis dans La Course au jouet, une comédie familiale de Noël au capital sympathie important, mais non dénuée d’une aura nanardesque indéniable. Vient ensuite le coup de grâce, avec Batman & Robin, certainement le pire film et la pire performance de la carrière de l’autrichien. Un long-métrage disco/squizo dans lequel Arnold incarne le méchant Mr. Freeze. Tout le monde est totalement à l’ouest, Arnold y-compris. Toutes ses interventions surpassent en ridicule la précédente. C’est aussi le cas pour Clooney ou Uma Thurman, mais Schwarzie lui, à l’air de s’en moquer. Encore aujourd’hui, il ne semble pas spécialement choqué par la nullité abyssale de Batman & Robin. Peut-être parce que pour lui, cette époque marque le début d’un cheminement intérieur qui le mènera jusqu’à Sacramento, sur le fauteuil de Gouverneur de Californie.
Ne pouvant plus compter sur les grands noms qui ont fait de lui cet acteur imposant à tous points de vue, comme Cameron, Mc Tiernan, Verhoeven, Milius ou Reitman, Schwarzenegger doit se contenter de tourner sous la direction de l’artisan néanmoins tout à fait compétent John Hyams, dans le convenable La Fin des Temps. Un film qui surfe allègrement sur la peur du bug de l’an 2000 en mettant en scène un ex-flic alcoolo opposé à ses démons et au diable lui-même. Pas franchement génial, La Fin des Temps est quand même beaucoup plus fréquentable que le film suivant d’Arnold, le très poussif et bancal À l’aube du sixième jour. Un semi-navet qui laisse la place au tiédasse Dommage Collatéral, qui, quant à lui, sort après avoir été repoussé pour cause de 11 septembre. Le film traite du terrorisme et se plante en beauté au box office. Arnold semble voir dans cette succession d’échecs commerciaux, l’appel du destin, en ce qui concerne ses ambitions politiques. Terminator 3, suite très convenable mais bien sûr en deçà de son prédécesseur, réalisé par Jonathan Mostow, sera alors la porte de sortie rêvée pour un acteur démissionnaire et désormais tourné vers des considérations beaucoup plus sérieuses.

Si on excepte son apparition guignolesque dans Le Tour du Monde en 80 Jours, c’est avec Expendables que celui qui se fait appeler le Governator, montre les premiers signes d’une envie de revenir au cinéma. Son apparition, aux côtés de Stallone et de Bruce Willis, déçoit. Arnold a vieilli, son jeu est rouillé et sa joute verbale avec ses vieux potes du Planet Hollywood de ressembler davantage à un sketch un peu bidon, qu’à l’illustration tant attendue par les fans, de retrouvailles longtemps fantasmées. Heureusement, deux ans plus tard, alors qu’il n’est plus gouverneur, Arnold revient chez Sly et rattrape le coup, apparaissant dans plus de scènes et prouvant que cette fois-ci, il est bel et bien de retour.

À lui de prouver, avec Le Dernier Rempart, The Tomb (où il retrouve Sly) et Ten, que ce retour tant attendu n’est pas juste un pétard mouillé. À lui de prouver à ses fans que malgré ses 65 ans, il reste le héros qu’il a longtemps personnifié à l’écran. Sa collaboration avec le cinéaste Kim Jee-woon, figure majeure du cinéma coréen, va dans ce sens. L’annonce d’un nouveau Conan aussi. Schwarzenegger affirme de son côté, que le retour aux plateaux ne fut pas aisé, mais rassure par des propos toujours galvanisants quant à la direction qu’il souhaite donner à sa carrière (en gros, ça va péter dans tous les sens). Les réflexes ont mis un moment à refaire surface, mais on ne s’inquiète pas trop. Si il gère bien, en prenant en ligne de compte son âge et son statut toujours particulier, Arnold peut encore faire des étincelles. Son charisme est intact et on rêve de le voir incarner des personnages badass aux accents « Eatwoodiens ». L’avenir nous le dira, mais tous les espoirs sont permis pour celui qui avait annoncé « I’ll be back » et qui a bel et bien tenu sa promesse.

Arnold sur le tournage de Ten, le prochain film du réalisateur David Ayer.

Arnold l’homme politique : Yes he can !

Lorsqu’il annonce son intention de briguer le poste de Gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger créé l’évènement, même si au fond, tout le monde s’en doutait. Républicain modéré, mais décidé dès son arrivée aux États-Unis, à jouer un rôle plus important que celui du simple action man musculeux, Arnie n’a jamais caché son ambition. Et finalement, si on le retrouve aujourd’hui, après deux mandats de gouverneur, devant les caméras, c’est uniquement parce que la Constitution américaine lui interdit de se présenter au poste suprême.
Proche de la famille Kennedy, dès qu’il commence à flirter avec Maria Shriver, la nièce de JFK, qu’il épouse en 1986, Schwarzenegger affirme pourtant très vite son attachement à des valeurs plus conservatrices, chères au Parti Républicain.
Avant d’embrasser son autre grande vocation, Arnold s’implique dans l’organisation et la promotion des Jeux Paralympiques, cause défendue ardemment par ses beaux-parents, Eunice et Sargent Shriver. Il est aussi nommé dès 1990 par George Bush, Président du Conseil du Président sur le conditionnement physique et les sports. Ce qui le conduit, entre les tournages, à opérer de grandes tournées à travers les États-Unis et le Monde, où il fait la promotion du sport, qu’il considère indispensable.
Proche du clan Kennedy, tout particulièrement du frère de JFK, Ted Kennedy, mais attaché à défendre les idées phares des Républicains, Schwarzenegger considère que l’Amérique qui a permis à un immigré sans le sous comme lui de faire fortune et de connaître la gloire, est bien celle des Républicain. Celle de Nixon notamment qu’il a toujours admiré.
Cette dualité ne gène pas Arnold quand il décide de tenter de devenir Gouverneur de Californie. Opposé notamment à Gary Coleman (le Arnold d’Arnold et Willy) et à plusieurs candidats fantasques dont une star du porno, Arnold gagne en réunissant 48.6% des voix.
Très à cheval sur le sport, l’éducation, le progrès et l’environnement, le Governator est plein d’entrain, même si il n’a pas vraiment d’expérience. Son élection n’étant que le fruit d’un système électoral qui permet à une star de cinéma d’accéder aux plus hautes fonctions de l’état, Arnold doit s’entourer et créé par cela la polémique. Son cabinet est constitué de démocrates et de républicains et il continue à aller chercher conseil auprès du frère de JFK. Forcement, les républicains les plus conservateurs font la tronche, mais Arnold, comme à son habitude, fonce comme un bourrin et n’en fait qu’à sa tête. Il se permet de plaisanter lors de ses discours, place des métaphores maladroites visant à rapprocher son statut d’acteur et ses nouvelles fonctions et déconcerte.
Malgré tout (un bilan en demi teinte), il est réélu en 2006. Victoire qu’il doit à sa maturité, visible dans des mesures toujours ambitieuses, mais beaucoup plus terres à terres, dans un contexte menacé par la crise économique qui fait déjà sentir son étreinte.

The Governator

Cela dit, le but n’est pas ici de juger les actes du gouverneur Schwarzenegger, ni même de s’appesantir dessus trop longtemps. La chose à retenir est que les années où il a siégé à ce poste, Schwarzenegger à prouvé à quel point sa détermination était sans limite. Se donnant toujours les moyens de mener à bien ses projets, Arnold a toujours agit seul. Il a certes consulté sa femme et ses amis, mais la décision finale lui a toujours appartenue, essayant la plupart du temps d’influencer les bonnes personnes pour arriver à un résultat qui lui serait favorable.
Dans son autobiographie, Arnold fait le bilan de ses années en tant que Gouverneur et semble satisfait. Il reconnaît ses erreurs (toujours), mais ne change pas son fusil d’épaule, affirmant une stratégie qui reste la même depuis son départ d’Autriche.

Arnold le magnifique : Stay Hungry !

Éternel optimiste qui ne se laisse jamais freiner par les erreurs du passé (même lorsque récemment son adultère est rendu public et fait scandale, Arnold n’a pas tardé à remonter en selle, tout en cherchant à reconquérir sa femme, ce qui, vu le préjudice causé, est un sacré défi), Schwarzenegger est un char d’assaut. Un cas unique dans l’histoire du cinéma, de la politique et de la musculation.

C’est lui qui a contribué à faire du Hummer, une voiture accessible aux civils et paradoxalement, c’est certainement l’homme politique d’envergure qui s’est le plus consacré à l’environnement.
Il le dit d’ailleurs lui-même : « Ma vie est traversée de contradictions et de courants opposés (…). Je suis un européen devenu dirigeant politique américain ; un républicain qui aime les démocrates ; un homme d’affaire qui gagne sa vie en jouant les action heroes, un type ultra performant qui n’a pas toujours montré la discipline qu’il fallait, un spécialiste de la forme physique qui adore les cigares, un écologiste dingue de son Hummer, un amoureux de la rigolade à l’enthousiasme d’un gosse surtout connu pour zigouiller les gens. »
Toute sa vie, Arnold a cherché à prendre la place des personnes qu’il admirait. Une fois au sommet, il a cherché à devenir un exemple. Il n’a pas honte de le dire et brille par un amour-propre bien supérieur à la circonférence de ses cuisses.
Un passage du (formidable) film Pumping Iron illustre à merveille le caractère excessif et ultra confiant de Schwarzenegger. Arnold et ses copains bodybuilders sont sur la plage, profitant d’un moment de détente, à quelques semaines du concours de Monsieur Olympia, qui doit se dérouler en Afrique du Sud. Un concours où Arnold et Lou Ferrigno sont les deux favoris.
La scène en question voit un type réveiller d’Arnold, alors qu’il pique un roupillon sur la plage.

« - Le Type : Arnold, je voulais te dire que je vais rejoindre Ferrigno (Lou, bodybuilder populaire pour avoir interprété Hulk à la télévision). On va s’entrainer pendant 2 ou 3 semaines. Et tout ce qu’on s’est piqué mutuellement, toi et moi, je vais le lui apprendre. Ce sera une combinaison dure à battre tu sais. Très dure.
- Arnold : Je te verrai à ton retour.
- Le Type : Non, écoute Arnold, qu’est ce que je dois dire à Lou quand je le verrai à New York ? J’tai dit que je vais m’entraîner avec lui pendant quelques jours.
- Arnold : Dis à Lou que j’ai dit salut, dis à son père que j’ai dit salut et que je suis impatient de le voir en Afrique du Sud, ok ?
- Le Type : Autrement dit, tu veux que je sois gentil.
- Arnold : Il faut être très gentil avec lui, parce qu’il en a besoin (avec un ton paternaliste très condescendant).
- Le Type : Bon après tout, du sommet de la montagne, le Roi ne peux que descendre.
- Arnold : C’est vrai.
- Le Type : Le Roi quand il est en haut, il ne peut que descendre.
- Arnold : Ou rester là-haut.
- Le Type : Oui, ou rester là-haut. C’est une autre possibilité, seulement, le loup au sommet a moins faim que le loup qui est en train de grimper.
- Arnold : C’est vrai. Il a moins faim, mais… de toute façon, c’est lui qui a la bouffe. »

On voit bien ici, l’extraordinaire motivation d’un type prêt à rabaisser ses adversaires pour saper leur moral. Arnold, c’est le genre de type qui appelle sa mère pour lui notifier sa victoire, alors que le concours ne s’est même pas encore déroulé. C’est le genre de type qui réussit à convaincre un concurrent que manger des coques de noix concassées est très bon pour les muscles, alors qu’il n’en est rien. Juste comme ça, pour se marrer et pour affirmer un peu plus sa domination. C’est le genre de type qui profite de la naïveté et de la gentillesse d’un gars (Lou Ferrigno en l’occurrence) pour prendre l’aval psychologique sur lui.

Dans son livre, Total Recall, Arnold surprend néanmoins. Par son honnêteté surtout. Il dit tout. Ses torts et ses regrets notamment qui, s’ils ne l’ont jamais freiné, l’ont affecté. Quand il aborde son aventure avec la femme de ménage, il confesse humblement ses torts, avec une franchise qui force le respect (idem quand il s’agit de l’échec de certains de ses films, ou encore du fiasco du Planet Hollywood). Arnold Schwarzenegger est sûr de lui et certainement orgueilleux, mais il ne se prétend pas parfait. Loin de là. Depuis qu’il est sur Twitter et sur Facebook, il a pris l’habitude de communiquer régulièrement avec ses fans. Généreux, Arnold apparaît comme étonnamment abordable avec eux. Il reste reconnaissant, conscient que si sa volonté d’acier l’a mené au sommet, ce sont ses fans qui ont contribué à lui permettre de conserver sa couronne.
Arnold est un loup, c’est certain. Un loup qui a plein de bouffe comme il le dit lui même, mais qui a toujours très faim. Une faim impossible à calmer. Stay Hungry clame-t-il haut et fort. Rester affamé pour toujours faire preuve de puissance, de détermination et de volonté. C’est d’ailleurs par cette leçon qu’il achève ses mémoires : Stay Hungry !

@ Gilles Rolland