Mémoires

Par Christian Tortel

Une mémoire saignée à blanc : 148 tombes musulmanes du cimetière militaire de Notre-Dame-de-Lorette, à Ablain-Saint-Nazaire près d’Arras, dans le Pas-de-Calais, ont été de nouveau profanées, dans la nuit du samedi 5 au dimanche 6 avril.

Les inscriptions injurieuses, découvertes dimanche matin dans l’un des plus importants cimetières militaires de France avec 22 970 corps de jeunes inconnus de la Première Guerre mondiale, ” visent directement l’islam et elles insultent gravement Mme Rachida Dati, garde des Sceaux. Une tête de porc a même été pendue à l’une des tombes “, a précisé le procureur de la République d’Arras, Jean-Pierre Valensi. Les réactions d’indignation sont unanimes.

La mémoire musulmane est blessée comme la mémoire nationale, celle qui s’est retrouvée dans le souvenir du dernier poilu lors de sa mort le 12 mars dernier.

Des mémoires en dialogue : A Paris, l’Amitité judéo-noire organisait ce même dimanche un colloque autour de l’œuvre d’André (disparu en 2006) et Simone Schwarz-Bart, ” précurseurs des memoires juives et antillaises “. La période récente s’est vu atteinte d’un curieux malaise, celui de la ” concurrence mémorielle “, celle de la Shoah étant ancrée dans la société française, la mémoire de la Traite et de l’esclavage ne l’atant pas encore assez selon certains, malgré la loi Taubira, en 2001. L’Amitié Judéo-Noire, précise dans sa profession de foi, souhaite faire en sorte qu’entre peuple juif et peuples noirs, africains et antillais, la connaissance, la compréhension, le respect et l’amitié se substituent aux malentendus et aux manifestations d’hostilité. “

Une rencontre de bon aloi qui jalonne un dialogue difficile comme en ont témoigné tels ou tels propos prononcés par des personnalités influentes des deux communautés depuis 2005…

Un dialogue nécessaire, même si l’unanimté ne règne pas. Ainsi dans la communauté antillaise, tous ne sont pas d’accord pour commémorer le souvenir des victimes de la traite et de l’esclavage, le 10 mai, date officielle, proposée par le Comité pour la Mémoire de l’esclavage. D’autres, comme l’association CM98 (Comité Marche du 23 mai 1998), associée à Amitié judéo-noire pour ce colloque du jour, s’apprête à célébrer le 10e anniversaire d’une marche de la reconnaissance, en mai… mais le 23 mai (” Le CM98 se fixe comme objectifs de défendre la mémoire des victimes de l’esclavage colonial “, précise son site).

Dans la communauté juive, tous ne sont pas d’accord avec la ” compassion ” envers son prochain, vertu souvent invoquée lors du colloque. Pour certains cette compassion s’applique aux Juifs seulement. Le président du CRIF , présent lors de ce colloque, a rappelé que l’un des objets du judaïsme était la rencontre avec l’Autre. Puis il est parti commémorer au Mémorial de la Shoah le 65e anniversaire de la révolte du ghetto de Varsovie.

Enfin, la Conférence mondiale contre le racisme, organisée à Durban en 2001, a laissé des traces, dominées par les questions du conflit israëlo-palestinien comme des réparations consécutives à l’esclavage. D’ores et déjà, le Canada et les Etats-Unis ont annoncé leur absence de ” Durban “, pour cause ” d’antisémitisme et de sentiment anti-israëlien “.

Mémoires profanées, mémoires en dialogue, il faudra bien s’accomoder à ce que l’Histoire ne prenne en charge seule l’héritage des grands traumatismes collectifs. Mais, pour l’heure, les mémoires ne sont pas unanimes.