Game of Thrones - Saison 2 (HBO)

Par Mrwak @payetonwak
"Cleaner ways don't win wars"

En adaptant la série de livres Le Trône de Fer sous le format d'une série télé, HBO s'est clairement distingué de la concurrence tout en attirant à elle les réfractaires au format imposant une certaine attention (de 10 à 12 épisodes pour une saison sur les chaînes câblées). Ce n'est pas la première fois que la chaîne se lance dans des productions "d'époque" aussi ambitieuses, parfois rendues frustrantes par les annulations conséquentes à un budget trop élevé et à des audiences en baisse (Rome et l'extraordinaire série Carnivàle en sont deux exemples). L’œuvre de R. R. Martin sur laquelle est basée la série est monumentale, et en choisissant d'adapter sa saga toujours en cours de publication (15 tomes au compteur en VF), la chaîne se lance dans un travail de longue haleine réclamant déférence au matériau d'origine, patience et fidélité (l'écrivain est par ailleurs producteur de la série) et une rigueur infaillible pour correctement retranscrire l'histoire de ces 7 familles se battant pour la régence du royaume de Westeros (on retrouve même des conseillers dans les équipes, de la même façon que Fran Walsh a supervisé et supervise encore l’œuvre de Tolkien, adaptée par Peter Jackson).
Après une première saison réussie qui a encore rehaussé les standards de la série TV, et avec l'arrivée imminente de la saison 3, retour sur la saison 2, pierre angulaire du conflit en cours.
Suite aux évènements de la saison 1, la famille Stark est brisée et en fuite alors que Joffrey Lannister a pris possession du Trône de Fer, et règne avec fébrilité sur King's Landing et le reste du royaume. Bientôt, les Stark, Baratheon et leurs alliés marchent sur les armées des Lannisters pour se venger et reprendre leur place : le jeu peut continuer.

Cersei Lannister, mère régente manipulatrice


Il faut noter de prime abord que l'histoire ici contée et ses multiples ramifications s'apprécient sur la durée, à l'échelle d'une saison entière de 10 heures de tortures et de tourments, de marches dans les bois, de champs de batailles fumant, j'en passe et des meilleures : les trois premiers épisodes, bavards et aux lourds tempos, forment une sorte d'introduction à la saison se clôturant dans une redistribution des cartes assez passionnante. Les premiers instants des retrouvailles sont déstabilisants et peu engageants pour les derniers arrivants, tant l'introduction de nouveaux personnages et de leurs storylines respectives impose une densité soutenue des narrations : il arrive parfois qu'on se perde entre les filiations, les alliances et les trahisons. Mais loin de se laisser démonter par le travail à abattre, la série file vers des sommets de narration où il est toujours possible de raccorder les wagons plus tard (et parfois, avec l'aide en parallèle d'un petit wiki bien utile).
Naviguant par la suite avec une rare décontraction, le fil de l'intrigue passe de familles en clans avec une aisance déconcertante, intimant malgré tout une rigueur absolue quant aux forces en présence (il n'est pas aisé de s'y remettre après la longue pause d'une année), les décisions prises, et leurs conséquences. C'est aussi le signe de l'audacieux pari que prend la chaîne et ses showrunners : proposer une fresque à tendance historique sur un royaume fictif dans lequel les luttes de pouvoir n'ont rien à envier à la barbarie moyenâgeuse la plus inspirée. Dans cet ensemble choral où tout le monde se tire la bourre, chacun à sa voix, du plus haut dignitaire au (supposément) plus infime des personnages, et l'on passe d'un point à l'autre du royaume en un plan dont la carte, déployée dans le générique, paraît infinie. Westeros, ton royaume impitoyable…

Arya Stark, enfant en fuite dont la liste de gens à abattre s'étend rapidement...


Malgré les passionnantes intrigues de cour qui la peuple, cette saison 2 manque  d'un peu de cœur, de poignantes envolées dont les personnages complexes, pourtant immensément riches, pourraient être les acteurs. La jeune Arya et sa fuite éperdue sont pour l'instant la seule garante d'un cheminement réellement total, entre apprentissage à la dure et fable de survie à l'échelle d'un enfant, pour une fois passionnante. La voir ainsi déchue, frayer dans les bas-fonds et apprendre sur le tas ne la rend que plus vivante et tangible : elle remporte toute notre sympathie grâce à son naturel frondeur.
Daenerys Targaryen, offre aussi de son côté une partition intéressante, certes loin d'être sophistiquée, mais en accord avec son rôle de débutante : laissée seule en charge de son peuple, elle navigue entre les embruns, stratégiquement et prudemment, grâce à son conseiller Jorah. Les arcanes du pouvoir où elle espère encore pouvoir parvenir pour lever une armée sont encore loin, mais l'apprentie régente est on ne peut plus remontée. L'actrice Emilia Clarke bataille dur pour faire exister son personnage, le plus en marge graphiquement (avec une photographie beaucoup moins nuancée) et géographiquement. Malgré son absence d'interactions avec les autres personnages majeurs, son ombre plane sur les autres royaumes et il faudra sérieusement compter sur la Khaleesi pour la suite ; un avertissement fait au nain Tyrion par un espion verra ce premier répondre : "One game at a time, my friend".

Sansa Stark, otage des Lannister promise à Joffrey


La saison 2 ne ménage pas ses efforts : déclaration de guerre entre familles, multiplication des intrigues parallèles, et avec, des personnages - entre autres -  féminins : Shea, dame de compagnie introduite par Tyrion, Ygritte des contrées sauvages, Talisa Maegyr, aide soignante chez Robb Stark, la prêtresse Melisandre (incarnée par Carice van Houten), Brienne la guerrière sans oublier Margaery Tyrell, aspirante à la couronne… les seconds couteaux féminins regorgent, et enrichissent certaines facettes d'autres personnages qu'elles côtoient : un moyen d'apaiser la tension entre seigneurs de guerre, soldats et hommes de main tirant la couverture à eux. Catelyn Stark se voit aussi offrir un rôle de premier plan, remplaçant dans les cœurs feu son mari Ned Stark (Sean Bean, condamné, sous forme de running-gag macabre, à mourir dans chacun de ses rôles). Du côté des hommes, on ne s'ennuie pas non plus avec le festival de la diversité dans la cité de Qarth, un mystérieux chevalier parlant de lui à la troisième personne, des hommes de mains et des bourreaux serviles et pervers, bref, suffisamment de choix quant à savoir qui sera le prochain à perdre la tête (littéralement).
Car si les intrigues de palais et les luttes de pouvoir occupent la majeure partie des épisodes, quelques accès de violence rompent la douce monotonie de la narration, pour rappeler que personne n'est à l'abri d'une sentence expéditive. Surgissant parfois pour argumenter une discussion de façon plus convaincante, ou marquer un cliffhanger de fin d'épisodes (ici le procédé n'est pas vain tant les mises à mort sont légions), la violence inhérente au temps de guerre reste spectaculairement cruelle au regard des motifs invoqués. Il faut voir comme les scénaristes nous baladent pour que même le destin d'un personnage fondamentalement mauvais nous fasse autant d'effet. Aux oubliettes le manichéisme, les nuances de gris prédominent chez chacun.

Tyrion Lannister, personnage central de la saison


Si l'ensemble reste d'ailleurs ultra-sombre, c'est pour mieux nous transporter et nous garder prisonnier d'un monde dont on croyait avoir les clefs. Tel Bilbo, nous sommes nous aussi bien loin de la Contée et de ses charmants habitants : il ne faut pas longtemps pour tomber d'un personnage odieux à un autre, d'un homme de main grotesque à son lord dépravé. A ce propos, Charles Dance est parfait en maître de guerre de la famille Lannister, son flegme inquiétant capturant la pellicule en permanence. Les Lannisters ne sont d'ailleurs pas en reste, grâce à la mère régente Cersei (Lena Headey, spécialisée dans les rôles de têtes couronnées) et son frère Tyrion (Peter Dinklage, parfait), nain manipulateur et fin stratège dont la saison reflète en grande partie son point de vue. Quant à Joffrey, enfant-roi sadique et cruel, on attend avec impatience la punition qu'il n'aura pas volé.
Dans cet univers, le show ne faisait pas tant d'effets de ses éléments surnaturels lors de ses débuts, cachant son folklore derrière les complots et les intrigues  - et ce, malgré son prologue de saison 1 on ne peut plus clair. Cette seconde saison corrige le tir en introduisant de plus en plus d'éléments fantastiques, intégrés à sa mythologie, affirmant son statut de dark fantasy hérité de la série de romans, dans un royaume perdu où les hommes auraient aussi des comptes à rendre à des divinités, des esprits, des créatures de légende. Néanmoins, le traitement archi-rigoureux et très sérieux du tout ne distancie jamais son spectateur de son propos, aussi incroyable soit-il (et je vous mets au défi de ne pas vous ranger du côté de Daenerys au gré des épreuves qu'elle traverse).

L'arrivée à Qarth, parenthèse babylonienne


La série de David Benioff et D.B. Weiss (premier haut-fait pour les deux) est aujourd'hui plus consciente de son identité qu'à ses débuts, et le show en met plein la vue en permanence, dans ses décors grandioses, la variété de ses lieux et ses extérieurs léchés (déserts, forêts, montagnes, bords de mer). Ainsi qu'on s'en doutait, HBO met les petits plats dans les grands jusqu'à une bataille rangée, clou de la saison, scénarisée par l'écrivain R.R. Martin, réalisée par Neil Marshall (The Descent, Doomsday) et avec un inédit de The National en guise de générique de fin. Les limites du budget se sentent malgré la rallonge accordée (plans serrés, recherche houleuse de l'épique) et le caractère elliptique de certaines situations prédominent dans les deux derniers épisodes, rappelant à tous qu'en se lançant dans la série TV, on risque de perdre beaucoup de la saveur initiale du roman.
*Dernière remarque : à se gaver ainsi du show de HBO en version originale, on finit par se faire référence à la série en en employant ses termes et noms propres anglais (personnages et lieux). Pour ceux qui souhaiteraient prendre le train en cours en découvrant les livres, la lecture en français semble un peu plus compliquée, avec ses noms traduits ou modifiés. Enfin un bon prétexte pour se mettre à lire dans la langue de Shakespeare ?

Les fantasmes vont bon train dans la salle du trône


La saison 3 adaptera la première moitié du troisième livre, A Storm of Swords, et  sera diffusée à partir du 31 mars prochain. Les épisodes seront d'une durée légèrement plus longue qu'habituellement, et il se murmure en coulisses que l'épisode final devrait faire plus d'une heure ; à l'échelle d'une saison, les personnages gagneront ainsi une heure supplémentaire pour comploter.  At the game of thrones, you win or you die. Et nous, de mourir d'impatience.