"Justice! - Pour l'honneur d'un prêtre" de François Lefort

Publié le 20 janvier 2013 par Francisrichard @francisrichard

François Lefort des Ylouzes est prêtre et médecin. Pendant des années il a beaucoup fait pour les enfants des rues à travers le monde et il a contribué à faire tomber le réseau international de pédophilie Spartacus.

Ironie du sort, il est condamné le 24 juin 2005 à 8 ans de réclusion criminelle par la Cour d'Assises de Nanterre pour viol, agressions sexuelles et corruptions envers des mineurs et de jeunes adultes (peine curieusement faible pour de tels faits...). Il bénéficiera d'une libération conditionnelle le 7 mars 2009.

En février 2009 j'ai écrit un article sur un bien triste sire, Christian Terras, avec lequel je répugne de partager l'étiquette de catholique.

En août 2009 j'ai reçu un commentaire de l'Abbé Lefort relatif à cet article. A sa demande, et pour ne pas lui faire de tort, je n'ai pas publié ce commentaire, que j'ai détruit après l'avoir lu.

Sur le site de Droit à la justice, j'ai appris ce qui lui était arrivé, mais n'ai pas voulu trop en parler, toujours pour ne pas lui faire de tort. Il m'a invité à le rencontrer au Puy-en-Velay, ce que je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de faire au cours de ces quelque trois dernières années, pris par mon travail ou par des déplacements trop éloignés de cette ville. Ce que je regrette.

Pour mieux le connaître j'ai donc d'abord lu son livre Une sandale dans le désert, puis son avant-dernier livre, Seigneur, ça suffit!, dont je n'ai pas rendu compte - je ne rends pas compte de tous les livres que je lis, sinon je n'aurais même plus le temps de lire...-, mais que je reprends de temps à autre, parce que je suis édifié par sa Foi manifeste, qui lui permet de tenir (avec le soutien également de ses nombreux amis et de sa famille):
"Accuser quelqu'un de pédophilie est, très certainement de nos jours, le meilleur moyen de le tuer socialement."

A la fin de Seigneur ça suffit!, l'Abbé Lefort dit, s'adressant au Seigneur, qu'il n'est pas parfait comme Lui et que c'est encore trop tôt pour lui pour pardonner à ceux qui lui ont fait du mal. Car ses ennemis savent très bien ce qu'ils ont fait quand ils l'ont accusé de crimes qu'il n'a pas commis et qu'il n'a même pas pu matériellement commettre:

"Je sais que si j'éprouve de la haine, ils s'en moquent. Ce n'est pas eux qui sont détruits par cette haine, c'est moi. A la limite, pour l'instant, je peux essayer de les faire sortir de mon esprit, je dis bien: essayer. Mais ne m'en demande pas plus."

Pourtant il lui a bien fallu ne pas complètement les faire sortir de son esprit. Sinon, comment aurait-il pu écrire ce dernier livre, Justice!, où il raconte le processus par lequel, innocent, indéniablement, il a pu être condamné coupable par la justice française? Ce qui est une honte.

Sa vie s'est arrêtée le 5 décembre 1995. Ce jour-là il a été embarqué à 6 heures 30 du matin par la police et mis en garde à vue pendant trois jours, sans qu'on ne lui dise le pourquoi de cette arrestation. Il ne l'a appris qu'indirectement...

Les faits qui lui sont reprochés ont fait l'objet d'une instruction qui a duré dix ans, pendant lesquels il a vécu "comme dans une salle d'attente", le temps que se terminent des investigations mal menées et qui l'ont, volontairement ou non, desservi.

Quels sont ces faits?

- une agression sexuelle sur un mineur, située au Sénégal, qu'il n'a pas pu commettre, puisqu'il se trouvait en Mauritanie à cette date-là, le 6 septembre 1994...

- une agression sexuelle décrite dans un rapport daté de 1994 et qui n'aurait pu pourtant se produire qu'en 1995...

- une agression sexuelle commise dans une voiture sur la route de Thiès le 25 mars 1995, alors que la victime faisait ce jour-là une fugue à Dakar...

- une agression sexuelle sur un mineur qui ne l'est pas - né le 14.08.1978 il a alors 15 ans et non pas 12 ans: son extrait de naissance falsifié porte la date du 12.12.1982...

etc.
Tout est à l'avenant. Le nombre des soi-disant victimes est variable. Certaines de ces victimes même ne reconnaissent pas être des victimes et le paieront de leur vie en étant rejetées à la rue (c'est à elles d'ailleurs que l'auteur dédie ce livre). Une autre ne se souvient même plus s'il lui a été administré une fellation ou une sodomie... Ce qui aurait dû discréditer ses accusations. Même pas. 
Les victimes ne se sont pas manifestées d'elles-mêmes. Elles ont été sollicitées, manipulées:
"Choisir de m'accuser ou pas, d'être complice des mensonges de Moussa Sow [son principal accusateur dont il avait ébréché le prestige et le petit pouvoir local] ou pas, n'était pas qu'une question de fidélité ou de traîtrise, c'était avant tout une question de survie. Pour cela, certains être humains sont prêts à tout."
C'est pourquoi François Lefort aurait préféré être jugé au Sénégal, où les magistrats connaissent le contexte (il n'aurait certainement jamais été condamné non plus en Angleterre ou aux Etats-Unis).

Tout ce qui est à charge est retenu contre lui, mais il n'est pas tenu compte de ce qui est à décharge. Lors du procès les témoins de la défense sont maltraités, tournés en dérision, considérés comme des malfaiteurs, alors qu'il s'agit, tous, de personnes d'exception. Comme les rapports des experts sont favorables à l'accusé, on leur dénie toute valeur...  
François Lefort a la gueule du coupable. Il est prêtre - et les scandales à répétition de prêtres pédophiles battent son plein. Il est médecin. Il est diplômé. Il est originaire de Neuilly. Il porte une particule à son nom. Il fait partie des puissants - sa soeur est Secrétaire d'Etat. Il a reçu la Légion d'Honneur. Il a un ego démesuré. Il se défend comme "un manche". Il s'occupe de jeunes. Face à lui, il y a justement de pauvres petits africains, enfants des rues, des proies toutes trouvées... pour ce prédateur infâme.

Il a été la coqueluche des médias. C'est fini:

"La presse est terrorisée à l'idée de ne pas être en phase avec ses lecteurs ou ses auditeurs." 
Le livre L'illusionniste, de Mehdi Bâ, écrit sous la dictée de Christian Terras, publié avant le procès sera décisif pour sa condamnation. Tissu de mensonges, il sera conforme au vrai principe en vigueur dans la justice française, de l'instruction jusqu'au juge d'application des peines, selon lequel "plus le crime est horrible, moins les preuves sont nécessaires".
Au-delà du cas personnel de l'Abbé Lefort, il y a, en réalité, de quoi se poser des questions sur le fonctionnement de la justice française, d'un bout à l'autre de la chaîne, qui essaie de "faire croire qu'elle ne se trompe jamais":
"L'innocent doit demander à la justice de reconnaître que la justice s'est lourdement trompée, que les juges, à tous les niveaux, ont mal travaillé. Aucun juge, même un conseiller à la Cour de Cassation, ne pourra jamais admettre cela autrement que contraint et forcé."
C'est pourquoi François Lefort n'avait aucune chance, malgré la production de faits nouveaux, d'obtenir la révision de son procès par la Cour de Cassation, qui a rejeté le 7 mars 2011 sa demande déposée le 26 mars 2010. Il va continuer à se battre et a demandé à son avocat de se tourner vers la Cour européenne...
Fort de son expérience, à la fin de son livre (en annexe il publie les principales pièces de son dossier), "pour que tout cela n'ait pas été qu'un abominable gâchis", François Lefort fait des propositions concrètes concernant l'instruction, le déroulement des audiences, la révision des procès, la détention, l'Ordre des Magistrats.
Le législateur, qui s'occupe de bien des choses qui ne devraient pas être de sa compétence, ferait bien de s'inspirer de ces propositions dans un domaine, qui relève de l'Etat, pour redonner aux justiciables français confiance dans la justice de leur pays, que j'ai perdue depuis longtemps pour ma part...

Francis Richard

Justice! - Pour l'honneur d'un prêtre, François Lefort, 306 pages, Editions Chemins de tr@verse