Le code rural et l’assurance prédation dans le rapport Bracque de 1999

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

En 1998, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche et la ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement ont confié à M. Pierre BRACQUE, Inspecteur Général de l’Agriculture, une mission interministérielle sur la coexistence de l’élevage pastoral et la présence du loup européen.

Le code rural, qui date quand même du 7 octobre 1886, et surtout son article L113-1 8) est régulièrement invoqué par les éleveurs, les associations "de sauvegarde du patrimoine" et autres "acteurs ruraux"  pour exiger l’éradication du loup. Que dit-il ?

« Par leur contribution à la production, à l'emploi, à l'entretien des sols, à la protection des paysages, à la gestion et au développement de la biodiversité, l'agriculture, le pastoralisme et la forêt de montagne sont reconnus d'intérêt général comme activités de base de la vie montagnarde et comme gestionnaires centraux de l'espace montagnard.
« En conformité avec les dispositions des traités instituant la Communauté économique européenne, le Gouvernement, reconnaissant ces rôles fondamentaux de l'agriculture, du pastoralisme et de la forêt de montagne, s'attache à : (...) 8° « Assurer la pérennité des exploitations agricoles et le maintien du pastoralisme, en particulier en protégeant les troupeaux des attaques du loup et de l'ours dans les territoires exposés à ce risque ».

L’assurance contre les dégâts des prédateurs était déjà abordée dans le rapport Bracque de 1999, il y aura bientôt 15 ans. En 2013, elle n’a toujours pas été mise en place.

La Buvette des Alpages revient sur ce que dit le rapport Bracque à propos du code rural et du projet d’assurance prédateurs.

A propos du code rural

Rapport de mission interministérielle sur la cohabitation entre l'élevage et le loup. Rapport à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Pierre Bracque - Février 1999 « La France s’est conformée à ses obligations internationales et européennes.
L’article L 211-1 du code rural pose le principe de la protection des espèces animales non domestiques, dont la conservation est justifiée par la nécessité de préserver notre patrimoine biologique. Un arrêté interministériel du 10 octobre 1996 inclut le loup dans la liste de ces espèces.
Cette protection comporte des exceptions qui reprennent les dispositions internationales et communautaires : articles L 211-1, L 211-2, L 221-5 et R 211-1 à R 211-11 du code rural. D’autres textes en vigueur vont cependant plus loin, réduisant fortement la portée de cette protection :
  • L’article L 227-9 du code rural autorise tout propriétaire ou fermier à repousser ou détruire même avec des armes à feu, mais à l’exclusion du collet et de la fosse, les bêtes fauves qui porteraient dommage à leur propriété.
  • L’article L 227-6 du code rural autorise toujours le préfet, chaque fois qu’il est nécessaire et après avis du directeur départemental de l’agriculture et de la forêt, à ordonner des battues ou des chasses générales ou particulières aux loups, renards, blaireaux et autres animaux nuisibles.
  • En vertu de ses pouvoirs de police, le maire d’une commune peut, au titre de l’article L 122-19-9 du code des communes, prendre toutes mesures utiles à la destruction des animaux nuisibles ainsi que des loups et sangliers remis sur le territoire. Sous le contrôle du conseil municipal et du Préfet, il peut donc organiser des battues.

Cette dernière possibilité a été récemment employée par les autorités municipales d’une commune des Alpes-Maritimes, quoique invalidée par le juge administratif.
Il conviendrait donc d’abroger les dispositions précitées du code rural et du code des communes qui sont en contradiction avec la stricte protection accordée au loup.

Le régime de la responsabilité sans faute du fait des lois

Aujourd’hui, l’indemnisation des dommages imputables aux loups relève d’un « régime de fait ». Les dégâts dont sont victimes les troupeaux d’ovins sont, certes, pris en charge financièrement, pour moitié chacun, par l’Union européenne et l’Etat français, dans le cadre du programme life. Mais cette indemnisation n’a pas de fondement juridique.
En effet, le législateur français n’est pas encore intervenu sur la question des dégâts générés aux activités agricoles par des espèces protégées. Et la jurisprudence demeure hésitante à engager la responsabilité de l’Etat à ce niveau.

Si le tribunal administratif de Montpellier condamnait l’Etat à indemniser les victimes de dégâts causés par les mouettes (jugement du 31 mars 1980), la cour d’appel de Lyon refusait d’engager cette responsabilité pour le préjudice causé par des castors (jugement du 16 février 1989).
Un tout récent arrêt du Conseil d’Etat (Ministère de l’Environnement contre Michel Plan, 21 janvier 1998), réaffirme (le Conseil d’Etat avait déjà pris cette position dans l’arrêt Pouillon du 14 décembre 1984) le principe de l’absence de responsabilité de l’Etat au regard des conséquences dommageables que peut comporter le loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et la préservation des espèces animales.
Cette situation de « vide juridique », voire d’illégitimité, inquiète les éleveurs et les organisations professionnelles agricoles. Reposant sur le seul « bon vouloir » de l’Etat, cette indemnisation est, en effet, fragile et n’inscrit pas dans la durée l’équilibre souhaitable entre la nécessaire protection du loup et la juste préservation des intérêts des éleveurs.
L’apaisement des craintes des éleveurs, nécessaire pour assurer l’installation du loup sur nos territoires, nécessite donc de réfléchir aux moyens de pérenniser la compensation des dommages qu’ils pourraient subir. Un système juridique de responsabilité sans faute du fait des lois parait difficilement envisageable, au regard de ses implications financières considérables puisqu’il concernerait l’ensemble des espèces protégées.

Un système d’assurance

En revanche, la mise en oeuvre d’un système d’assurance couvrant le risque naturel « grands prédateurs » pourrait constituer une solution viable. Les primes devraient être prises en charge, pour partie, par l’Etat selon les modalités définies dans le passé pour le risque « grêle ».
Ce système d’assurance s’accompagne nécessairement du développement des mesures de prévention, financées soit dans le cadre du programme Life (dont les crédits destinés à l’indemnisation pourraient être consacrés à la prévention), soit sur des crédits spécifiques de l’Etat.
La détermination des mesures de protection devrait s’appuyer sur les diagnostics pastoraux afin de ne pas laisser aux seuls assureurs la définition d’un cahier des charges impossible à respecter dans certains endroits. (...)

L’absence d’indices

Par ailleurs, se pose le problème des dérochements dont les origines peuvent être multiples (brouillard, panique de troupeaux provoqués par l’orage, les chiens errants ou les loups) et sont souvent difficiles à déterminer. Ainsi, des incidents survenus en août et septembre 1998 sur le massif des Monges dans les Alpes de Haute-Provence où 700 brebis ont été victimes de dérochements.
Il est reconnu que les chiens errants sont à l’origine d’un certain nombre d’incidents. A tel point que, dans quelques départements, les préfets ont pris des arrêtés de destruction de ces animaux. Cela a d’ailleurs conduit un certain nombre de leur propriétaire à être plus vigilants, car le chien errant est souvent le chien du village, le chien du voisin ou encore celui du touriste (MARSAN, Etude sur les chiens errants et ensauvagés en Italie, 1994.)
Or, dans des zones concernées par le retour du loup et en l’absence d’indices pouvant donner lieu à expertise génétique, la tendance sera de lui imputer systématiquement la responsabilité de ce type d’incidents. Dès lors, l’enveloppe d’indemnisation risque fort d’exploser.
Aujourd’hui, certains éleveurs sont assurés pour le risque « chiens errants ». Les remboursements se font sur la base de la valeur réelle du troupeau, après application d’une franchise qui incite d’ailleurs l’éleveur à retrouver le propriétaire du chien.
Un groupe d’assurances qui offre ce type de prestations réfléchit actuellement à la mise en place d’un contrat incluant le risque « loup ».
Une réflexion commune pourrait être envisagée avec les entreprises d’assurances pour généraliser la couverture de ce type de « risques naturels », l’Etat prenant en charge une partie du coût de la prime d’assurances, comme cela s’est fait dans le passé pour le risque « grêle ». Une telle mesure, qui se substituerait au système actuel d’indemnisation des dégâts dus aux loups permettrait d’axer totalement le programme Life sur le suivi du loup et les mesures de prévention. »

Propositions

Plus loin, dans le même rapport, l’Inspecteur Général de l’Agriculture émettait quelques propositions dont :

  • Mise en place d’une assurance pour le risque naturel « grands prédateurs ».
  • Réorientation des crédits affectés à l’indemnisation vers la prévention (dans le contexte de la mise en place d’une assurance « grands prédateurs »).

Peut-être serait-il d’en tenir compte, quatorze ans après !
Source : Rapport de mission interministérielle sur la cohabitation entre l'élevage et le loup. Rapport à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Pierre Bracque - Février 1999, (page 49 et suivantes).

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