Lire saint Thomas d’Aquin aujourd’hui : une mission existentiale

Publié le 28 janvier 2013 par Tchekfou @Vivien_hoch

Rédigé pour la saint Thomas d’Aquin, le 28 Janvier 2013

Thomas d’Aquin se propose « de suivre par la voie de la raison ce que la raison humaine peut découvrir [de Dieu] »[1] : un effort inductif qui consiste à partir de ce qu’il-y a déjà-là (soi-même et le monde) pour remonter à ce qui n’est pas encore à notre portée (Béatitude céleste, Dieu,…). Le but d’une lecture contemporaine de Thomas d’Aquin est de renouer avec son effort intellectuel afin pour retourner au lieu originaire de son inspiration, au lieu même où saint Thomas questionne directement la consistance du monde en la rapportant à Dieu. Là où saint Thomas «questionne » la réalité, il la « lit » aussi dans un sens herméneutique par l’interprétation de son propre vécu d’homme – et d’homme chrétien, sans que le « et » soit exclusif.

Relire ce vécu thomasien à travers ses textes, comme l’apposition d’une nouvelle couche de signification de lui à nous et de nous à lui, c’est déjà faire une alliance entre les temps entre ce qui est commun au Thomas médiéval et au Thomas qui questionne la contemporanéité. Il ne suffit donc pas de simplement déployer un donné dans sa pure objectivité pour exposer sa vérité, tels que le font les théologiens ou les philosophes de la religion[2] ? L’unique réquisit d’une « pratique phénoménologique »[3] de la philosophie médiévale est celle du retour à l’expérience ; Max Scheler en a donné une indication : « La méthode descriptive consiste à ramener n’importe quel système métaphysique et religieux à leurs contenus d’expérience originels, c’est-à-dire à ré intuitionner pour ainsi dire son sens originel en le reconstruisant et, par le fait même, à le rendre à nouveau vivant dans toute sa force intuitive »[4].

Ces « contenus d’expérience originels » signifient ce « lieu originaire » qui inspire les constructions intellectuelles. Saint Thomas d’Aquin n’en affirme pas moins lorsqu’il dit que « la vie contemplative meut et dirige la vie active »[5]. Sa vie contemplative, comme expérience originelle de la charité, qui est la perfection de la vie chrétienne[6], instruit et nourrit donc sa vie active, qui consiste dans l’enseignement et la prédication[7]. Il ne faut pas voir ici une volonté de confondre mystique et spéculations théologico-philosophiques dans notre champ d’étude, mais de re-visiter ce mouvement qui passe de l’un à l’autre  qui a été immortalisé par le Docteur Angélique :

« Sicut enim majus est illuminare quam lucere solum. Mauis est contemplata aliis tradere quam solum contemplari – Il est plus beau d’éclairer que de briller seulement ; de même il est plus beau de transmettre aux autres ce que l’on a contemplé que de contempler seulement »[8].

Transmettre ce que lon a vécu, voilà une mission phénoménologique et existentiale. La vérité – théorique et pratique, n’est plus seulement adaequatio intellectus rei -adéquation entre l’intellect et la chose (Thomas d’Aquin), mais également adaequatio mentis et vitae - adéquation entre l’esprit et la vie (Maurice Blondel[9]), selon cette alliance théorie/pratique si étrangère à notre contemporanéité, que Dominique Dubarle ressaissit chez Thomas d’Aquin à partir de Hegel en utilisant le concept d’ « anthropologie spéculative »[10].


[1] Thomas d’Aquin, Contra Gentiles, I, IX

[2] Emmanuel Falque, Dieu, la chair et l’autre, PUF, Épiméthée, Paris, 2008, p. 30

[3] Emmanuel Falque dans Dieu, la chair, et l’autre, p. 27

[4] Max Scheler, (GW. t. V), cité et traduit par J. Greisch, Le buisson ardent et les lumières de la raison, t. II, p.367 ; que nous reprenons nous même d’Emmanuel Falque, Dieu, la chair, et l’autre, p. 27, dans l’optique qui est plus proche de la notre

[5] Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 182, art. 4, resp.

[6] Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 184, art. 2 : « Peut-on être parfait en cette vie ? », début du respondeo : « La perfection de la vie chrétienne réside dans la charité »

[7] Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, qu. 181, art. 3, respondeo

[8] Thomas d’Aquin, ST. IIa, IIae, qu. 188, art. 6, resp.

[9] Maurice Blondel, « Le point de départ de la recherche philosophique », dans Œuvres complètes, t. II : 1888-1913. La philosophie de l’action et la crise modreniste, Paris, PUF, 1997, p. 556. Via Emmanuel Tourpe, Donation et consentement, Lessius, 2000, p. 170

[10] Domnique Dubarle, L’ontologie de Thomas d’Aquin, Paris, Cerf, 1996, p. 39