Sein royal

Publié le 08 avril 2008 par Savatier

On ne pardonne pas souvent sa beauté à une jolie femme, surtout si la destinée la place sur un trône dans une période troublée. Les Galeries Nationales du Grand Palais abritent jusqu’au 20 juin une exposition qui tente de réhabiliter Marie-Antoinette, victime, encore aujourd’hui, d’une image assez négative. Reine frivole, hautaine, femme capricieuse et dépensière, voire mère incestueuse pour ceux qui ont la naïveté de croire aux pamphlets qui se vendaient à l’époque sous les galeries du Palais-Royal, voilà un florilège des principales idées reçues… Il faut toujours se méfier des images d’Epinal qui colportent davantage de légendes destinées à frapper les esprits qu’elles n’attestent de vérités historiques. De la barbe fleurie de Charlemagne au cheval blanc d’Henri IV en passant par la Pucelle d’Orléans, les manuels d’histoire ont multiplié les clichés que les historiens ont toutes les peines du monde à rectifier.

Les 300 pièces montrées au public dans le cadre de l’exposition (portraits, manuscrits, etc.) retracent la vie d’une femme qui aimait les arts – notamment décoratifs – et les plaisirs, goûts qui se traduisirent par un véritable mécénat dont bénéficièrent les grands artisans de son temps. De sa jeunesse autrichienne rigide aux fantaisies d’une France croquée par le pinceau gourmand de Fragonard, on peut suivre son parcours qui s’acheva sur l’échafaud.

Son iconographie, dominée par le portrait dit « à la rose » d’Elisabeth Vigée-Lebrun, n’indique pas une frivolité excessive. Légère ? Sans doute le fut-elle, surtout pour les nostalgiques de la rigueur puritaine de Mme de Maintenon, une femme qui n’aurait, par exemple, jamais fait réaliser ces superbes bols, aussi connus sous le nom de « jattes tétons ». Dessinées par Jean-Jacques Lagrenée et fabriquées par la manufacture de Sèvres, ces porcelaines étaient destinées à la laiterie que Louis XVI offrit à la reine en 1787, pour son domaine de Rambouillet. La légende veut que le galbe des jattes fut obtenu par moulage du sein royal… C’est peu probable, mais l’image est assez belle et s’inscrit dans le personnage de reine rebelle rêvé par Sofia Coppola dans son film. Le service, destiné à la dégustation du lait, fut probablement dispersé durant la Révolution. La petite histoire retiendra que deux femmes ayant joué un rôle dans le monde littéraire du siècle suivant possédèrent chacune un de ces bols : la princesse Mathilde et Madame Sabatier, la Présidente.

Comme beaucoup d’objets à connotation érotique, ils furent conservés jalousement. Cependant, Edmond de Goncourt, grand amateur de curiosités, en fit inclure une reproduction dans la réédition de L’Histoire de Marie-Antoinette de 1878, chez Charpentier. Treize planches hors texte illustrent le volume, la quatorzième, qui manque à la plupart des exemplaires qui nous sont parvenus, nous montre un bol-sein que sa rareté même consacre symbole.

Les collectionneurs d’aujourd’hui, que les trousses et autres torchons monogrammés « Marie-Antoinette » n’intéressent pas, pourront toutefois se réjouir puisque l’ancienne manufacture royale Bernardaud vient d’éditer fort opportunément une réplique plutôt réussie de ce service (à 633 € la jatte et son trépied, il s’agit forcément d’un cadeau… royal).

Illustrations Marie-Antoinette, gravure. Bol-sein, photo J. Larent (Bernardaud)