Douce France et Far-South Marseillais

Publié le 04 février 2013 par H16

Par la magie d’un peuple goguenard pour qui le sens de la rigolade aura été élevé au rang d’art, ce samedi aura été l’occasion d’une nouvelle démonstration de bonne humeur blagueuse et de joie de vivre communicative de la part d’un de ces frétillants groupes de jeunes artistes des cités marseillaises. Afin de sortir un peu de leur somnolence quelques dizaines de passagers tranquillement endormis dans le TGV Marseille-Paris, ils ont organisé une petite reconstitution historique …

L’idée, aussi généreuse qu’amusante, a consisté à reproduire une attaque de train par des Indiens en attendant que les cow-boys ou la cavalerie arrivent pour délivrer les passagers, le tout dans l’esprit 1870, mais avec les technologies de 2013.

Parti de la gare Saint-Charles à Marseille, le TGV venait de repartir peu après 14 heures quand son conducteur a été contraint à l’arrêt par des torches, à flamme rouge, placées sur la voie dans le quartier de La Pomme, en direction d’Aubagne. Normalement, ces torches sont utilisées ordinairement pour signaler un gros problème sur les voies et le conducteur a pour instruction de s’arrêter, ce qu’il a fait. Une fois le convoi arrêté, la bande de joyeux drilles des cités est donc intervenue pour un petit spectacle improvisé sur le thème de l’attaque festive.

Les portes du train étaient verrouillées et les jeunes n’eurent pas eu l’occasion de rentrer dans les wagons, pendant que les passagers, parfaitement calmes et tout à fait synchrones avec l’esprit enjoué de cet arrêt inattendu, se chargeaient d’appeler la police qui pouvait ainsi arriver, comme bien souvent, pour marquer les cadavres et remplir les demandes d’autopsies après la bataille.

À l’arrivée des forces de l’ordre, le spectacle a rapidement tourné court et la plupart des artistes de rue se seront égaillés dans la nature. Quelques uns (neuf, tous originaires de la même cité), moins souples, moins rapides ou plus bêtes (cumul possible) se sont tout de même fait prendre et gentiment placer en garde à vue en attendant le résultat du jury artistique pour leur performance générale.

Comme toujours dans ces genres de cas, on sait déjà qu’il y aura relaxe et applaudissement du public. Bien sûr, l’enquête débute, mais les petits débordements d’une jeunesse (qui finira bien par se passer, mon brave monsieur) seront vite oubliés. D’ailleurs, toute la presse est unanime : tout ceci se solde tout au plus par « deux heures de retard et une grosse frayeur ».

Pour le moment, des questions restent en suspend et taraudent les policiers. Ainsi, David-Olivier Reverdy, secrétaire zonal adjoint du syndicat de policiers Alliance, s’interroge sur les motivations des jeunes :

« En attendant de comprendre les motivations de ces voyous d’une cité plus que sensible, nous nous félicitons de l’action rapide de nos collègues qui ont agi pour préserver la sécurité des passagers »

Eh oui : il faut essayer de comprendre ce qui peut bien pousser des jeunes à arrêter un train ! Il faut trouver pourquoi diable ces individus ont décidé de stopper un convoi et ce qui les a poussé à vouloir voir à l’intérieur, et le tout, sans payer leur billet, les petits rigolos ! Oh ! Était-ce une envie – bien compréhensible lorsqu’on vit dans une si triste cité – de découvrir la capitale, sans pouvoir acquitter le prix exorbitant d’un aller-retour ?

Rassurez-vous, l’explication officielle est déjà en cours d’élaboration, les rédactions ont travaillé toute la nuit de samedi à dimanche pour la trouver récupérer d’une source proche de l’enquête :

« On continue les confrontations et auditions. Il en ressort que leur objectif était de faire du ‘buzz’ sur Internet, pas de voler le train »

Eh oui mes petits amis, le but était de faire un gentil buzz sur internet, tout au plus, hein, pas de voler le train. Il ne s’agissait pas d’un arrêt calculé, avec une volonté plus malsaine (et ô combien inavouable) de dépouiller les passagers de leurs portefeuilles, téléphones, ordinateurs, ou plus si affinités. Que nenni ! C’était évidemment un simple jeu, une gentille galéjade bien marseillaise, de la petite blague, pas du tout une funeste répétition d’un détroussement fructueux déjà opéré, en 2011, sur un train de marchandises et qui avait permis d’évaluer le rapport risque/bénéfice d’une telle opération. Ce n’était pas comme en janvier 2006, où un train Nice-Lyon avait été rançonné. Ce n’était pas le Melun-Paris de janvier 2006, le Fréjus-Cannes de Septembre 2009, le RER D de mars 2010…

Et rassurez-vous : comme d’habitude dans ce genre de cas, la demi-douzaine de jeunes interpellés sera présentée devant un juge qui, compréhensif, tiendra compte du faible nombre de dossiers déjà ouverts pour eux et de la modestie des peines de sursis qu’ils ont déjà engrangées, pour leur signifier un juste (mais ferme !) rappel à la loi. À la suite de quoi, quelques accolades viriles, une paire de blagounettes détendues et l’un ou l’autre commentaires météorologiques seront échangés, et nos troubadours des rails marseillais seront relâchés pour retourner à leurs occupations quotidiennes (aider les vieilles dames à traverser, favoriser le petit commerce local, dynamiser la cité par des activités artistiques).

Une fois les pignouferies de presse débarrassées de leur gangue compacte de minimisation, une fois ôtée la calinothérapie mièvre qui permet de donner à l’ensemble de l’affaire un côté un peu surréaliste et délicieusement détaché de la panique, bien compréhensible, palpable et réelle, qui a dû s’emparer des passagers en contact direct avec cette France alternative qui fait si rarement les gros titres, on se retrouve devant un événement si peu banal que les rédactions ont été, cette fois-ci, obligées d’en parler (ce fut plus discret pour le train de marchandises : les palettes de produits n’avaient de smartphones pour enregistrer les méfaits, et les témoignages des passagers ne peuvent plus, avec internet, être complètement oubliés).

Quant à l’analyse, on est réduit aux conjectures navrantes de journalistes benêts et de policiers faussement ingénus : c’était pour le buzz. C’est difficilement compréhensible. Patati quelles motivations ? Patata bande de jeunes sans armes à feu.

Pas un pour susurrer une évidence : ceci n’a rien d’exceptionnel. La crise touche tout le monde, partout. D’une façon évidente, les deux canaux financiers principaux des cités sont en train de se tarir : d’un côté, ceux, institutionnels et républicains, qui avaient jadis les moyens de payer pour acheter le calme des « zones de sécurité prioritaires » sont en train de se heurter aux délicates questions budgétaires et à la faillite maintenant évidente de tout le système de redistribution de l’argent des autres. D’un autre côté, ceux qui achetaient les biens et services de ces cités deviennent plus rares, notamment parce que leurs finances aussi se tendent à mesure que les plans sociaux s’accumulent. Fini, le petit joint hebdomadaire ou quotidien. Quand on lutte pour les nouilles, on fait un choix : maigrir ou planer.

Et par ricochet, la misère qui était jusqu’alors contenue à grands renforts d’emprunts et autres tours de passe-passe budgétaire s’étend inexorablement dans ces endroits où aucune solution, aussi sordide, ridicule, arriérée, dépravée ou impensable ne sera écartée. Attaquer un train, c’est très 19ème siècle, mais quand il s’agit d’assurer un niveau de vie qu’on voit s’effriter, et qu’on n’a, absolument, aucune limite, aucune barrière, et beaucoup d’imagination, ça devient tout à fait praticable. C’est une solution parmi d’autres, expérimentées tous les jours et dont à peu près seule la presse locale fait mention.

De la même façon que les attaques de « diligences » (fourgons blindés, car-jacking, …) redoublent, les attaques de train vont se développer. Et logiquement, attendez-vous à voir Valls et Taubira nous parler beaucoup de la Corse, de l’homophobie et des assistantes maternelles illégales.

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