Pili Pili sur un croissant au beurre, Premier album de Gaël Faye

Publié le 04 février 2013 par Notsoblonde @BlogDeLaBlonde

On le connait déjà, Gael Faye, pour l'avoir vu évoluer au sein de "Milk, Coffee and Sugar" (dans la sélection du FAIR 2013, d'ailleurs) et en parallèle, depuis un moment maintenant, il défend un projet solo qui m'avait scotchée déjà, à la sortie de l'EP.

Je t'en avais parlé ici souviens-toi (pour la sortie de l'excellent clip de "Je pars") et puis à l'occasion de son concert à la Maroquinerie aussi (photos et live report ici) (et quelques extraits vidéos de ce moment de pure folie par là, aussi).

Ce premier album de Gaël Faye "Pili pili sur un croissant au beurre" séduit surtout parce qu'il transpire la sincérité.

Authentique, c'est le mot qui me vient quand soudain me prend l'envie de tenter de le résumer.

Authentique parce qu'il se raconte, à mots découverts, sans fard mais toujours avec sa plume soignée qui n'en finit pas de surprendre par une figure bien troussée ou avec une rime qui force l'admiration.

Gaël y raconte ses choix, celui d'épouser la vie d'artiste notamment, avec toutes les incertitudes que cela implique (ce qu'on retrouve dans "QWERTY", histoire d'un changement de carrière désiré et... tenté (hors de question de spoiler le titre, il te faudra l'écouter pour connaitre le récit complet):

"Mon père m'a dit méfie toi du cynisme, l'avenir appartient aux idéalistes, quand je serai grand je voulais être artiste aujourd'hui je suis pianiste sur un clavier QWERTY"  (...)

"6h30 le réveil électronique tout redémarre (...) tous les matins, le même bonjour aux mêmes personnes, au même endroit, la routine, le quotidien, parcours funèbre, chemin de croix"

Plus loin c'est le portrait d'une génération qu'il dresse, la sienne, sur "SlowOperation" :

"Le jour de ma mort sur mon coeur je n'aurai pas de valise, je partirai léger quand certains se sentiront lésés, se sentiront pleins de regrets peut-être de n'avoir pas osé. J'ai jamais trop rêvé d'avoir l'appart et la voiture, chuis à côté de mes pompes, moi j'aime la gratte et les ratures, et l'aventure" (...)

"j'suis un peu paumé et j'ai le coeur à la renverse mais t'inquiète pas je sais qu'la vie est une tempête que l'on traverse. Ce monde il est vulgaire, c'est un tapin dans un motel..."

Cet album raconte sa vie, entre France et Afrique, déchiré mais riche de ses deux cultures, comme il l'évoque sur "Métis" :

"j'ai pas frontière, j'ai pas de race, je suis chez moi partout sans être jamais à ma vraie place, mon seul pays c'est moi, mon seul amour c'est toi, toi l'autre différent mais au fond si proche de moi. Quand 2 fleuves se rencontrent ils n'en forment plus qu'un et par fusion de nos cultures, ils deviennent indistincts"...

 



Car son histoire, c'est un début de vie en Afrique puis l'arrivée en France ("A-France") :

"J'suis solitaire et des fois je sors la plume, j'suis pas rappeur, juste un virevolteur de mots  plein d'amertume. La france est l'asile, l'absence et l'exil, souffrance, par pudeur faut pas qu'j'l'exhibe. J'suis dans mes rêves, mes espoirs, mes espérances, c'est ça qui m'tue d'être écartelé entre Afrique et France".

Il vient de là, d'une improbable rencontre entre une femme d'Afrique (le pili pili -piment africain- du titre de l'album) et un homme français (le croissant au beurre du titre (aussi)), de leur histoire d'amour qui lui a donné naissance.  

"Pili pili" c'est l'histoire de sa vie. Un moment d'émotion franche. 

Outre sa plume trempée dans l'encre de son vécu, ce qui fait l'intérêt de cet album tout frais, c'est que Gaël Faye y défend un hip-hop qui renoue avec la tradition des vrais instruments (et ça, on n'en n'a plus franchement l'habitude).

Il livre un rap qui lui ressemble, loin des tendances de passage, lui qui connait bien l'histoire du mouvement qu'il relate admirablement sur "fils du hip-hop" (merveilleux morceau, soit dit en passant).

Loin du rap bling-bling qui carbure aux images chocs et aux orgies revendiquées, Gael Faye défend une prose dans laquelle il évoque l'amour exclusif et fougueux qu'il porte à sa compagne (à laquelle il consacre un morceau, déclaration d'amour (et de vénération) rageuse  sur "ma femme",  un de mes titres favoris de  cet album) mais aussi la belle histoire qui les a menés à faire un enfant : "Isimbi" (titre sur lequel on a le plaisir de retrouver Ben l'Oncle Soul, tout en délicatesse).

 

De nombreux passages dansants convoquent les rythment de l'Afrique, sa terre d'origine et viennent relever les morceaux pour leur donner une nouvelle saveur, un goût de nouveauté qui fait la différence avec les productions qu'on nous sert habituellement.

Exemples particulièrement parlants sur "Bouge à Buja", récit du quotidien à Bujumbura (Burundi) (qui a tout d'un tube de l'été) ou encore "Charivari"  :

"Ecoutez bien si vous pensez que tout est bien que tout est beau,  votre dette a déteint, j'éteins le ciel et je deviens corbeau. Esclave du paradis, parait qu'c'est beau sous les tropiques, des dominés sans dominants c'est un équilibre estropié. Trop près de mon trépas, quand mon pe-ra devient trépied j'ai décrété que l'opprimé serait sujet que je traiterai, que je prêterai ma voix aux crèves-la-faim et traine-savates et au train où ça va faut les crever tous les porte-cravates parce que ce monde qu'ils nous réservent c'est de l'argent c'est du pouvoir, ils'n'peuvent plus voir et ces messieurs nous emmènent tous vers un trou noir"

Avec "président" c'est un morceau engagé que l'on découvre, titre sur lequel Bonga se joint à Gaël ce qui n'est pas sans ajouter du poids du morceau. Parce que Bonga est un musicien angolais qui a dû fuir son pays très jeune et, en exil, est devenu une figure emblématique du mouvement populaire de libération de son pays. Il a derrière lui 35 ans de carrière et quand il pose sa voix sur "Président" il semble bien difficile d'empêcher les frissons de nous gagner :

"Président il tient les rênes du pays depuis 10 à 40 ans, il est élu à 99%, l'ethnie dont il est issu est qualifiée de pur-sang, son pays est soi-disant démocratique les opposants, les critiques c'est soit la mort soit l'exil politique. Il est en place depuis son putch, son coup d'état, lui s'est enrichi mais son pays s'est endetté. Embêtées sont les puissances occidentales sponsorisées par sa rente d'hydrocarbures et de métal, les connivences mafieuses, militaro-financières, le népotisme, les barbouzes et les mercenaires . Président  à vie et sans mandat quitte le pouvoir par mort naturelle ou par assassinat..."

"Petit Pays" c'est une ode à la terre dont est originaire sa mère, l'occasion d'un retour sur l'histoire récente du Rwanda  :

"Petit bout d'Afrique, perché en altitude, je doute de mes amours tu resteras ma certitude. Réputation recouverte d'un linceul, petit pays pendant 3 mois tout le monde t'a laissé seul, j'avoue j'ai plaidé coupable de vous haïr quand tous les projecteurs étaient tournés vers le Zaïre, il fallait reconstruire mon p'tit pays sur des ossements et puis des fosses communes et des cauchemars incessants" 

Le style de Gaël Faye c'est du rap avec de vrais instruments, des arrangements riches, un flow qui sidère (démonstration impeccable sur Blend, en duo avec Tumi (de Tumi and The Volume)) et des mots qui touchent. Des textes dans lesquels on perçoit toute l'humilité et la passion qui animent l'artiste et le rendent si attachant.

Depuis quelques semaines maintenant, l'artiste a lancé la publication de vidéos "sur la route du pili pili" qui racontent l'élaboration de l'album et j'ai suivi chacun des épisodes avec une attention toute particulère. Si tu les as manqués, c'est à retrouver par ici...et permets moi de te dire que ça mérite le détour. Mais VRAIMENT.

Pour finir voici un EPK drôlement bien réalisé, qui me semble à l'image de l'artiste et qui permet d'en apprendre un peu plus sur le travail qui a mené Gaël Faye à sortir "pili pili sur un croissant au beurre". Parfait à visionner après une première écoute de l'album (c'était mon petit conseil de dégustation). Enjoy.


Voilà lecteur, ma présentation d'un album qui me tient particulièrement à coeur. Alors je n'ai rien à ajouter si ce n'est que je t'invite à te le procurer ici parce que je sais déjà qu'il fera partie de mon top ten de l'année...