Les mémoires de son père

Publié le 08 février 2013 par Fmariet

Zysla Belliat-Morgensztern, La Photographie. Pithiviers 1941. La mémoire de mon père, Paris, L'Harmattan, 137 p. 14,5 €
Zysla est une figure du travail publicitaire en France. Clients annonceurs, chercheurs, collègues connaissent sa présence courtoise et cordiale aux avant-postes du marché. Matheuse incorrigible, elle voudrait que toute action publicitaire s'appuie sur une "science rigoureuse".
Armand. Tout le monde connaît Armand. Figure tutélaire du médiaplanning en France, on lui doit le fameux bêta de mémorisation, qui porte son nom. Pédagogue lumineux, décourageant de simplicité, nous sommes nombreux à lui avoir demandé de l'aide pour un problème difficile dont il se saisit alors avec une gourmandise espiègle.
Dans ce livre inattendu en forme de biographie, Zysla évoque l'enfance d'Armand, son père. C'est aussi un essai sur la mémoire, sur l'oubli, sur la perception des événements du monde par les enfants, sur la difficulté de rendre compte.
Le point de départ du livre est une photo, et une photo dans la photo. A partir de là, commence l'histoire de quelques années d'une enfance mutilée par l'absence omniprésente des parents, déportés, assassinés. Biographie, roman, mosaïque de faits, de dates et d'émotions. Une histoire d'enfants, de quignons de pain, de clandestinité, de copains, de peurs, de Justes aussi.
Cette histoire singulière raconte l'Histoire universelle vécue par un enfant. Il y est question de gestes qui n'ont l'air de rien ; la petite bureaucratie tranquille de l'inhumanité s'active, bien dressée : arrestation, fichage, rafle, déportation, tout cela a tellement l'air acceptable. Acceptabilité redoutablement efficace. Des gestes s'enchaînent qui, sans en avoir l'air, funestement trompeurs, conduisent des gens, des enfants, du camp de Drancy aux crêmatoires d'Auschwitz, "camp d'extermination" : la police "française" obéit comme obéissent les soldats allemands de l'armée d'occupation... La désobéissance de quelques uns a sauvé Armand, l'acceptation leur avait paru inacceptable. N'obéissez jamais ! 
Par delà beaucoup de tendresse retenue, le livre de Zysla Belliat-Morgensztern énonce simplement, raconte sans exclamations et se garde bien d'être édifiante ("Qu'aurais-je fait..."). Pas de manichéisme. Justesse et justice, son ouvrage tisse les mots de son père qu'elle rapporte méticuleusement, et sa propre expérience d'enfant. Ce "récit à deux voix" sonne toujours juste et retentit longtemps encore après la lecture.