Pierre Reverdy – Encore l’amour (1929)

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Je ne veux plus partir vers ces grands bols du soir
Serrer les mains glacées des ombres les plus proches
Je ne veux plus quitter ces airs de désespoir
Ni gagner les grands ronds qui m’attendent au large
C’est pourtant vers ces visages sans forme que je vais
Vers ces lignes mouvantes qui toujours m’emprisonnent
Ces lignes que mes yeux tracent dans l’incertain
Ces paysages confus ces jours mystérieux
Sous le couvert du temps grisé quand l’amour passe
Un amour sans objet qui brûle nuit et jour
Et qui use sa lampe ma poitrine si lasse
D’attacher les soupirs qui meurent dans leur tour
Les lointains bleus les pays chauds les sables blancs
La grève où roule l’or où germe la paresse
Le môle tiède où le marin s’endort
L’eau perfide qui vient flatter la pierre dure
Sous le soleil gourmand qui broute la verdure
La pensée assoupie lourde clignant des yeux
Les souvenirs légers en boucle sur le front
Les repos sans réveil dans un lit trop profond
La pente des efforts remis au lendemain
Le sourire du ciel qui glisse dans la main
Mais surtout les regrets de cette solitude
Ô coeur fermé ô coeur pesant ô coeur profond
Jamais de la douleur prendras-tu l’habitude

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Pierre Reverdy (1889–1960)Sources du vent (1929)