La nuit: Une écriture de la révolte

Publié le 10 avril 2008 par Shalinee

Il y a des livres que vous lisez uniquement pour connaître l'auteur; d'autres par contraintes professionnelles ou scolaires, ou encore des livres lus avec nonchalance et oubliés aussitôt la lecture achevée. Puis il y a ces livres que vous lisez par curiosité et qui finissent par vous marquer à vie, comme c'est le cas pour La Nuit d'Elie Wiesel. Monument incontestable de la littérature de la Shoah, aux côtés du (Le) journal d’Anne Frank ou encore Un sac de billes de Joseph Joffo, La Nuit est un texte historique qui porte sur le génocide juif pendant la seconde guerre mondiale. Oeuvre entièrement autobiographique, l’auteur nous entraîne dans ses expériences concentrationnaires en 1945 lorsqu’il fut déporté avec toute sa famille d’un ghetto Hongrois à Auschwitz, là  il verra pour la dernière fois sa mère et sa petite soeur, puis à Buchenwald il finira par perdre son père.  Eléments innovants dans ce livre, la narration est axée en grande partie autour d’une longue description du travail forcé des déportés dans le camp de concentration et également "la terrible marche de la mort", un voyage de dix jours et de dix nuits dans le froid hivernal, pendant lequel la neige était la seule alimentation des déportés.

L’écriture est crue, brut, chargée d’émotions et il est impossible de rester insensible au récit et de ne pas éprouver comme le narrateur une indignation contre Dieu, l’éternel absent, mais également une révolte contre l’indifférence de l’humanité à ce massacre. Mention est faite lors de l’épisode des ouvriers allemands lancent des morceaux de pain aux prisonniers affamés dans leurs wagons uniquement pour observer avec une fascination malsaine les luttes bestiales qui s'ensuivent. Aveuglé par la faim, un fils finira par tuer son père avant d'être massacré à son tour par les autres. De la même façon, pendant la marche de la mort, un autre homme avait délibérément abandonné son père ou encore dans le camp d’Auschwitz un enfant tabassait sans pitié son propre père. L’auteur s’insurge contre cette humanité aliénée, lâche, bestiale qui perd ses valeurs, et qui se laisse emporter par ses instincts les plus vils et bas et dont lui-même n’a pu en échapper. En effet, La nuit est avant tout un cri de révolte contre soi, cri de culpabilité de l’auteur d’avoir survécu en sacrifiant son père à Buchenwald :

Je me revois pendant cette nuit-là, l’une des plus accablantes de ma vie :

« Leizer (...), mon fils, viens...Je veux te dire quelque chose... A toi seul... Viens, ne me laisse pas seul... Leizer »

J’ai entendu sa voix, saisi le sens de ses paroles et compris la dimension tragique de l’instant, mais je suis resté à ma place.

C’était son dernier voeu – m’avoir auprès de lui au moment de l’agonie, lorsque l'âme allait s’arracher à son corps meurtri – mais je ne l’ai pas exaucé.

J’avais peur.

Peur des coups.

Voilà pourquoi je suis resté sourd à ses pleurs.

(...)

J’ai laissé mon vieux père seul agoniser. Pire : j’étais fâché contre lui parce qu’il faisait du bruit, pleurait, provoquait les coups (...)

Je ne me le pardonnerai jamais. Jamais je ne pardonnerai au monde de m’y avoir acculé, d’avoir fait de moi un autre homme, d’avoir réveillé en moi le diable, l’esprit le plus bas, l’instinct le plus sauvage (...)

Sa dernière parole fut mon nom. Un appel. Et je n’ai pas répondu.

Ainsi, l’auteur écrit pour se faire pardonner, « pour ne pas devenir fou ou au contraire, pour le devenir et ainsi mieux comprendre la folie » et il dédie de ce fait ce livre à son père, mais également à sa mère et sa petite soeur disparues aussitôt leur arrivée à Auschwitz. La Nuit doit se lire comme un témoignage historique sur la seconde guerre mondiale, qui nous éclaire un peu plus sur la folie de ces hommes prêts à tout pour assouvir leur idéaux. Mais le livre nous plonge principalement dans l'intériorité de l’Homme, et nous démontre ses peurs et ses faiblesses qui se transforment peu à peu en lâcheté, afin de permettre au lecteur de le comprendre ou alors de le condamner.