Comment réussir l'harmonisation budgétaire et fiscale européenne

Publié le 20 février 2013 par Copeau @Contrepoints

L’UE finira sans doute par harmoniser les fiscalités de ses États membres, une harmonisation qui pourrait nous apporter bien des surprises.
Par Natasa Jevtovic.

Traité de Maastricht, instituant l'Union politique et monétaire européenne, 1992.

Il y a vingt ans, fasciné par le modèle européen de justice sociale, l’économiste américain Lester Thurow écrivait son ouvrage « La maison Europe » [1] dans lequel il expliquait que l’union économique européenne allait forcément entraîner l’union monétaire, et cette dernière entraînera forcément l’union fiscale et budgétaire. Cet ouvrage intéressant, publié au lendemain de la signature du traité de Maastricht, montre bien que l’Europe se construit le mieux pendant les temps de crise.

Tout d’abord, après la deuxième guerre mondiale qui a emporté cinquante millions de vie humaines, les dirigeants européens ont eu l’idée de mettre en commun la production du charbon et de l’acier pour rendre interdépendantes les productions européennes d’armes de guerre.

Le 9 mai 1950, dans le Salon de l’Horloge du Quai d’Orsay à Paris, le ministre français des Affaires Étrangères Robert Schuman prononce sa Déclaration fondatrice de l’Union européenne. Il disait, « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait. […] L’établissement de cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à fournir à tous les pays qu’elle rassemblera les éléments fondamentaux de la production industrielle aux mêmes conditions, jettera les fondements réels de leur unification économique. […] Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d’intérêts indispensable à l’établissement d’une communauté économique et introduit le ferment d’une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes. »

Salon de l'Horloge du Quai d'Orsay à Paris où Robert Schuman a prononcé son discours sur l'UE.

On reconnaît dans ce discours les principes fondateurs du libéralisme : l’harmonie des intérêts d’Adam Smith, l’idée de Montesquieu selon qui le commerce adoucit les mœurs et l’idée de Kant selon laquelle cette communauté des intérêts mène à la paix perpétuelle [2]. Les pères fondateurs de l’Union européenne considéraient à juste titre que la mutualisation des moyens de production du charbon et d’acier, à l’époque indispensables pour mener la guerre, allait fusionner les intérêts d’anciens ennemis européens et rendre toute nouvelle guerre impossible. Nous ne pouvons que constater qu’ils ont réussi et que le Prix Nobel de la paix, attribué en 2012 à l’Union européenne, est amplement mérité.

La création de la monnaie unique et sa stabilisation face à l’inflation a rendu possible la baisse des taux d’intérêt ; désormais, les citoyens modestes peuvent acheter leurs logements et créer des entreprises. Protégés de l’inflation, les salaires des citoyens ne se déprécient plus et ils peuvent épargner et conserver leur pouvoir d’achat. Mais l’Union européenne n’étant pas réellement unie sur le plan budgétaire et fiscal, les États trop dépensiers n’empruntent plus aux mêmes taux d’intérêt que les États qui maîtrisent leurs dépenses publiques. L’Euro ne risque pas de disparaître, mais il n’apporte plus les mêmes avantages à tous ; ces avantages sont désormais obtenus au mérite.

Comme l’a prédit Lester Thurow, l’Union finira sans doute par harmoniser les budgets de ses États membres et il y aura même un SMIC commun. Seulement, cette harmonisation nous apportera bien des surprises.

Lorsque les Français s’estiment mal payés, leur premier réflexe est de contacter leur syndicat et organiser une grève. Lorsque les Allemands s’estiment mal payés, ils démissionnent de leur emploi et en retrouvent un autre. Lorsque les Européens de l’Est s’estiment mal payés, ils retrouvent un deuxième voire un troisième emploi. On y retrouve des professeurs du lycée qui vendent des vêtements sur les marchés aux puces, les chirurgiens qui travaillent dans les hôpitaux publics pendant la journée et dans les cliniques privées le soir, les journalistes qui se convertissent aux esthéticiennes le week-end pour arrondir leurs fins du mois.

Dans les pays de l’Est, l’impôt sur les sociétés est de seulement 10% et les citoyens paient la « flat tax », un impôt à taux unique qui est très bas. Les gouvernements privatisent les entreprises publiques et tentent de maintenir la fiscalité intéressante pour attirer les investissements directs étrangers (IDE), créateurs de richesse et d’emplois. Plus le taux d’imposition est élevé dans un pays, moins il attire les IDE – en comparant les chiffres de l’OCDE, on voit clairement qu’ils sont inversement proportionnels [3].

Ceux qui voudraient instaurer un SMIC européen, éliminer la concurrence fiscale et empêcher les délocalisations des entreprises vers les pays de l’Est où le coût du travail est moins cher, souhaitent imposer le modèle français au reste de l’Europe. Mais après un demi siècle de communisme, les pays de l’Est préfèrent la croissance à l’État providence et leurs citoyens cherchent à améliorer leur niveau de vie. Ils seront très heureux d’accueillir les entreprises trop imposées qui accepteront de s’installer chez eux. Il ne faut pas compter sur eux pour généraliser le modèle de l’État providence – ils l’avaient déjà sous le communisme et ne voudraient pas y revenir. La France n’est pas seule en Europe et doit prendre en compte les intérêts de ses autres États membres. Parmi eux, il y a un consensus sur la nécessité de maîtriser la dette publique et les mesures d’austérité.

L’harmonisation budgétaire et fiscale se fera peut-être selon le modèle des fonds structurels : on prend les PIB européens pour établir la moyenne, puis on verse les fonds structurels aux régions dont le PIB se situe à 75% de cette moyenne. Le marché fera le reste : les salaires évolueront en fonction des besoins des entreprises, des qualifications des salariés et l’attractivité de la région où l’entreprise est implantée. Ce qui est certain, c’est que les impôts sur les sociétés devront baisser en France et que le SMIC européen sera au niveau du salaire moyen tchèque, si on a de la chance.

Mon ami Apostolos, ingénieur financier d’origine grecque qui travaille dans une banque française, m’a dit une fois que cette crise économique était salutaire pour son pays d’origine car elle allait le purger de ses fonctionnaires, selon lui trop nombreux. Et si cette crise était la bonne occasion pour supprimer la moitié des emplois dans la fonction publique française, forte de ses cinq millions de salariés, qui pourraient se réorienter vers le secteur privé ? Chaque année, il y a des millions d’emplois non pourvus en Europe et personne n’empêche les chômeurs grecs, espagnols ou français de déménager plus au nord pour retrouver un poste. Ou encore de créer leur propre entreprise, concevoir un nouveau produit ou reprendre une activité, chez eux ou ailleurs en Europe…

Suite à l’irresponsabilité de nos dirigeants politiques, l’État providence est agonisant et pourrait bel et bien disparaître s’ils ne décident pas de faire des arbitrages douloureux mais justes, afin d’assainir nos comptes publics. S’ils continuent de surtaxer les salariés du secteur privé, une économie parallèle se développera et privera l’État des recettes, en marquant le premier pas vers le changement des mentalités et la flexibilité générale de l’emploi.

Devrions-nous renoncer à l’assurance chômage, les allocations familiales, la sécurité sociale et la retraite par répartition ? Sans doute que oui, du moins partiellement, car nos dirigeants politiques manquent de courage pour moderniser l’État et maîtriser les dépenses. L’harmonisation budgétaire et fiscale est le prochain pas logique et inéluctable dans l’unification de l’Europe, mais elle ne sera pas réalisée selon le modèle français. En Europe de l’Est, où l’État providence est rudimentaire, la croissance n’est pas nulle ; elle était en moyenne de 4,6% en 2011 et de 2,6% en 2012 [4]. Nous ne sommes peut-être pas obligés de choisir entre l’État providence et la croissance ; un juste dosage des deux serait optimal, mais il faut savoir où placer le curseur.

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Notes :

  1. Lester Thurow, Head to Head: The Coming Economic Battle Among Japan, Europe and America, William Morrow and Co., 1993. Publié en France sous le titre La Maison Europe : superpuissance du XXIe siècle, chez Calmann-Lévy.
  2. Immanuel Kant, Perpetual Peace, 1795.
  3. OCDE, FDI in figures, January 2013.
  4. EBRD, Regional Economic Prospects in EBRD Countries of Operations: January 2013, EBRD Office of the Chief Economist.