Coin de rue, aujourd'hui disparu

Publié le 23 février 2013 par Petistspavs

On peut se poser la question, non ? Moi, je me pose la question, alors que j'avoue l'avoir fait. Mais qu'est-ce qui peut bien pousser les gens à photographier leur nourriture ? C'est un article du site des inrocks qui m'a incité à m'interroger ("Et si on prenait en photos ceux qui prennent leur nourriture en photos?"), invoquant une page de Tumblr ("Pictures of hipsters taking pictures of food"). On sait que les enfants s'intéressent de près à leurs productions ventrales, mais 1. Ils ne les prennent pas en photo, 2. Ces productions ont un caractère éminemment créatif, ce qui n'est le cas ni des bagels ni des pizzas immortalisés à table par des passionnés de l'ingurgitation. Quel Lévi-Strauss de social network saura approcher l'antropologie de ces phénomènes étranges illustrant la fuite des cerveaux au risque du narcissisme stomacal, et nous restituera la pensée sauvage de (certains de) nos contemporains ? Tristes topiques qui se sont pris les pieds dans l'ancéphalogramme plat.


Cependant, Twitter peut être autre chose qu'un outil de promotion via instagram pour Moi, Ma crème de jour, Mon gloss, Mon huile régénératrice : la preuve, il y bruisse depuis quelque temps les échos d'un débat que je trouve assez passionnant, disons aussi passionnant que vain : en substance, quiel est le propriétaire légitime d'une oeuvre d'art, ou encore, qui, étant propriétaire d'une oeuvre, est juridiquement (moralement ?) fondé à l'aliéner. Oui, vous avez deviné, finauds lecteurs, je vais à mon tour vous bassiner avec l'affaire Banksy (voir le hashtag #saveourbanksy). Je cite, pour faire rapide. "Un enfant penché sur une machine à coudre, en train de fabriquer des fanions aux couleurs du drapeau anglais : l'œuvre de Banksy, qui dénonce clairement le travail des enfants mais aussi la commercialisation du Jubilé de la Reine, avait fait grand bruit à sa création en mai dernier. Connue sous le nom de Slave Labor, elle a disparu la semaine dernière du mur du magasin londonien sur lequel elle avait été réalisée".

Selon la maxime attribuée à Lavoisier, "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ", l'oeuvre, pas perdue pour tout le monde, se retrouve sur le site de vente aux enchères Fine Art Auctions Miami (FAAM) -- voir le site, pas pour la pub mais pour l'info. La vente est prévue pour ce 23 février, l'œuvre étant estimée entre 500 000 et 700 000 dollars (soit entre 375 000 et 525 000 euros). Rien de neuf sous le soleil, de Londres à Miami, Basquiat, en son temps, lui qui a beaucoup essaimé dans les rues de New-York, s'est beaucoup fait détrousser. Et l'ironie d'un art par définition parasite finissant par se faire parasiter ne déclenche pas un rire très original. Quant au débat juridique, j'avoue m'en battre les, heuh, les choses, là. Étant moi-même payé pour faire le juriste, je le fais plutôt au bureau, où je m'emmerde, qu'ici, où je m'amuse.
Le plus gênant dans cette affaire de vol pour revente d'un mur comportant une oeuvre par nature volatile, en fait, c'est la valorisation monétaire, parfois vertigineuse, d'un art dit et issu de la rue. Et les artistes n'en sont pas forcément responsables. Là où Miss Toc (pardon, Tic) vend sa griffe moyennement talentueuse à des maroquiniers, des fournisseurs scolaires, voire à une entreprise de location de voiture en rétrocédant au Diable, contre une poignée d'euros, la'in liénable liberté du créateur (UCAR, dont on se rappelle peut-être la pub d'il y a quelques années, qui spéculait sur le dos des pauvres pour louer ses bagnoles de merde, avec le slogan "Les pauvres sont dégueulasses, ils polluent"), là où certain(e)s se vendent,  Banksy refuse systématiquement d'authentifier ses oeuvres négociées sur internet ou ailleurs (voir son site de vente Pest Control, seul habilité à le représenter, où il n'y a rien à vendre).
Mais l'habitant du quartier Bastille que je suis sait très bien que la menace d'une marchandisation sournoise de l'art de la rue est terriblement présente. Une promenade dans le quartier peut être en cela édifiante, compte-tenu du nombre de boutiquiers qui ont demandé à des manipulateurs de bombes peinturlurantes de leur refaire la façade façon tag chic.
Dans l'affaire Banksy/FAAM, je retiens les mots de l'élu conservateur et membre du gouvernement anglais Alan Strickland, qui me vont droit au coeur dans leur style "cessez de jouer avec nous, nous ne sommes pas des marionnettes people : "La communauté sent que Banksy lui a donné cette œuvre d'art gratuitement. Il se trouve qu'elle est réalisée sur ce mur en particulier mais elle aurait pu l'être autre part. Les habitants ont le sentiment que c'est leur œuvre d'art, qu'elle appartient au public. Ils sont en colère que cette œuvre soit vendue pour des profits privés. Même si elle n'a pas été volée, elle a été retirée à une communauté qui y est très attachée".

Oui, au-delà des formules de Marcel Duchamp ou Yves Klein, parlons de temps en temps d'oeuvres d'art qui appartiendraient aux gens, aux gens qui passent, qui regardent ou pas, qui peuvent avoir autre chose en tête, d'autres soucis, mais qui, d'une manière ou d'une autre, reconnaissent l'oeuvre comme la leur. Une utopie comme un art de la rue, qui appartiendrait à la rue, pas aux spéculateurs.

A proximité de ce sujet, j'avais aimé ce billet, sur un site proche. Et puis celui-là. Enfin, histoire de me citer moi-même, je me souviens de ce billet là, et même, je me souviens de ce coin de rue, aujourd'hui disparu.

Pour aller beaucoup plus loin, le Site de Banksy.