Deux textes extraits de l'oeuvre de Llewelyn Powys

Par Giraudet @dogiraudet

Soyez vigilants, ô jeunes païens! Que les libres agissements de votre esprit, de votre corps ne soient ni entravés ni réprimés par les psalmodies sonores de prêtres vêtus de dentelles déambulant en procession. Il est des ravissements autrement plus réels que ces béatitudes rentrées. Le vin de la vie est bon, il vient du fruit de la terre qui donne la vigne. Le pain de la vie est bon, il vient du fruit de la terre qui donne le blé. Qu'importe la décomposition inhérente à toutes choses existantes? Notre heure nous appartient. Tout passe. Toute chose va à sa fin. Soyez généreux, libres, passionnés, soyez compréhensifs, enfants des "herbes, des fruits et des abstinences."(1) Ne donnez pas créance à ces faux maîtres, mais d'un cœur libéré assurez votre fuite. Vos loyautés païennes seront plus profondes, plus vraies que leurs loyautés. Abandonnez aux infirmes et aux vieillards ces temples obscurs aux bougies mal mouchées. A cet instant même votre heure s'écoule. Avec une inéluctable jubilation, plongez profond vos mains dans la fraîche mer salée de la vie. Levez les yeux, voyez le soleil.

Llewelyn Powys, The Cradle of God, Jonathan Cape, 1929, p.306

(1) St. Jérôme, dans un moment de générosité inhabituelle, se réfère à Epicure comme à "un enfant d'herbes et de fruits et d'abstinences."

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C'est le culte de la gloire de la vie, de l'inexprimable sentiment de gloire d'avoir la chance d'exister, du hasard d'avoir été tiré de la poussière morte pour que se reflètent un moment dans le miroir de la rétine les mystères de la matière. Adorer la vie est notre religion. C'est un culte de l'instant, intact, désintéressé, passionné. A l'heure où les renards sortent de leur terrier, si l'on se tient au bord d'une haute falaise calcaire surplombant la mer, tout s'éclaire. La forme ronde de la terre se découpe sur l'infini et les herbes plumeuses ondulent librement sous les bannières en haillons des nuages sans maîtres. les vagues vieilles comme le monde se brisent sur les lits de galets, se brisent et se retirent comme elles l'ont fait sans jamais cesser depuis la nuit des temps. Tous les siècles de la géologie sont dans ce murmure, le bruit récurrent de la mer, tout ce qui a été et tout ce qui sera. D'un bout à l'autre des contours des continents, jour après jour, mois après mois, siècle après siècle, millénaire après millénaire, cet écho a résonné familièrement aux oreilles humaines. Il parle du temps qui n'est pas le temps, du temps qui est en soi une sorte d'absolu à part, comme le souffle suspendu et solitaire d'une touffe de salicornes silencieuses, illuminées par la lune sur une corniche inaperçue. Llewelyn Powys - 1934