L’espion qui m’aimait (de battre mon cœur s’est arrêté ou la mue de The Artist)

Par Borokoff

A propos de Möbius d’Eric Rochant 

Jean Dujardin et Cécile de France

Gregory Lioubov (Jean Dujardin), un officier de la FSB (les services secrets russes), est envoyé à Monaco pour espionner Rostovski (Tim Roth), un oligarque dont on se méfie bien évidemment au pays de Poutine. Pour l’aider dans sa mission, Lioubov et son équipe engagent Alice (Cécile de France), une crack de la finance à qui ils proposent, en échange de « menus » services de renseignements, de pouvoir retourner en Amérique du Nord dont elle rêve mais où elle est en disgrâce depuis qu’elle y a causé la faillite de Lehman Brothers. Pressentant qu’Alice va être « grillée », Lioubov brise une règle d’or au FSB et rentre en contact avec la jeune et belle tradeuse, se faisant passer pour un biographe. Mais lorsqu’Alice et Lioubov tombent amoureux l’un de l’autre, la machine s’emballe. Tandis que Lioubov s’enferme dans des faux-semblants et des mensonges de plus en plus gros pour protéger Alice, cette dernière se retrouve directement menacée de mort. Sans s’en douter….

Voilà bien longtemps que l’on n’avait pas vu Eric Rochant aux manettes d’un polar. La dernière fois, c’était en 1993, avec Les Patriotes, interprété entre autres par Yvan Attal, mû cette fois et pour les besoins de Möbius en producteur.

Cécile de France

Rochant avait ce projet en tête depuis des années. Original, le scénario, a été entièrement écrit par lui. Si Rochant avait disparu (pas totalement puisqu’il a réalisé une comédie, L’école pour tous, en 2005) de la circulation, c’est parce que Les Patriotes a été un échec commercial dont il a eu du mal à se remettre comme il a eu du mal à regagner la confiance de producteurs.

Alors que retenir de ce Möbius ? D’abord, et c’est là son atout principal, qu’il est joué par un Jean Dujardin bluffant et excellent dans la peau d’un officier russe (il parle très bien la langue au passage) que l’on croit endurci au début du film mais qui se révèle comme un personnage sensible, à la fragilité touchante. Il faut dire qu’en face de lui, il a Cécile de France, gracieuse et un brin romantique en Alice, sublime et comme souvent irréprochable. Les deux acteurs s’entendent à merveille et forment un très couple de cinéma.

Ce n’est pas tellement dans le jeu de acteurs (froid et nonchalant comme à son habitude, Tim Roth, en sosie d’Abramovich, est également très convaincant) que le polar pèche mais dans la faiblesse de l’intrigue, le manque d’enjeux du scénario.

Jean Dujardin

Certes, Möbius est une histoire d’amour nichée dans un thriller, mais les orgasmes d’Alice tirent en longueur (pardon pour la métaphore déplacée) et finissent par diluer l’intrigue d’un film dont la mise en scène n’est pas privée d’un certain charme désuet mais, tout en privilégiant les gros-plans sur les visages, s’avère très lente et manquant cruellement de rythme, de tension malgré la bonne idée des Chœurs de l’Armée Rouge…

De là à dire que Möbius est un mélo à l’histoire mince comme un ruban de Möbius (rien à voir avec feu le dessinateur de B.D.)…

Non, plus sérieusement, là où le bât blesse, c’est dans plusieurs aspects du scénario qui ne tiennent pas la route. Par exemple, lorsque Gregory Lioubov se fait passer pour Moïse, le biographe d’une maison internationale d’édition, on trouve cela étrange qu’Alice (qui est quand même une génie de la finance) ne soit pas allée vérifier une seule fois sur Internet qui il était vraiment. Certes, elle lui fait confiance mais cela n’empêche pas la curiosité…

Tim Roth

La naïveté dont Alice, encore elle, fait part aussi en acceptant d’espionner Rostovski (transformé malgré lui en Calimero et en dissident à la Boris Berezovsky) n’est pas très crédible. Ne se doute-elle pas du danger mortel qu’elle encoure en acceptant de porter un micro? Comment se fait-il qu’elle n’ait pas plus peur que cela ? On a du mal à croire qu’Alice accepte de faire tout cela juste pour retourner travailler aux États-Unis. Et encore, les agents du FSB lui ont simplement promis qu’ « ils l’aideraient »…

Dommage aussi qu’il n’y ait pas plus d’ambiguïté, de  soupçons dans les rapports entre Alice et Gregory/Moïse, qui se résument à des coïts et des (trop longues) parties de jambes en l’air. Même si on ne doute pas que ces deux-là sont tombés amoureux, on aurait aimé plus de subtilité dans leurs échanges intimes, plus d’ambivalence dans leur relation…

En somme, on retiendra surtout la vraie bonne surprise nommée Dujardin, qui à l’instar de son comparse Gilles Lellouche, a entamé une mue remarquable dans son jeu depuis Le bruit des glaçons et The Artist (on le pardonne pour le triste, beauf et macho film à sketches Les Infidèles). Dujardin campe ici un personnage au passé pour le moins trouble. Ancien voleur (« vori » en russe) et criminel ayant travaillé pour la mafia et fait de la prison avant de rejoindre le FSB, Lioubov (un nom prédestiné en russe) semble avoir été inspiré par la figure de Limonov. Dujardin a en tout cas réussi à donner à ce Russe une épaisseur psychologique (et musculaire) de bonne augure pour la suite. Bien loin d’OSS 117

http://www.youtube.com/watch?v=4-Vayo5Bmnw

Film français d’Eric Rochant avec Jean Dujardin, Cécile de France, Tim Roth (01 h 43).   

Scénario d’Eric Rochant :  

Mise en scène :  

Acteurs : 

Dialogues :  

Compositions de Jonathan Morali :