Non mais tout de même, sérieusement, Harlem. Je veux bien qu’on est en pleine campagne électorale et qu’il faut cogner tant qu’on peut, mais à un moment il faut penser à se reposer, plutôt que de dire des conneries. « Le message qu’elle a pu laisser », et puis quoi encore ? Un message comme « Boutons les Anglais hors de France », par exemple ? Elle l’a laissé où, ce message, Harlem ? Sur ton iPhone ? Surtout n’oublie-pas de le transmettre aux descendants des « Tommies » qui se sont fait déchiqueter les tripes sur la Somme, en 14-18…
Vous je ne sais pas mais moi, Jeanne d’Arc , au mieux, c’est un sujet quasi-inépuisable de plaisanteries (au goût parfois incertain, je le concède)… « Elle a frit, elle a tout compris » ou bien, s’adressant à l’évêque Cauchon, « vous ne m’avez pas crue, vous m’aurez cuite » voire, une fois canonisée : « Chouette, je suis en sainte ». J’écris « au mieux », car par ailleurs le personnage, au-delà de sa vérité historique charrie, dans ses représentations, la quintessence d’un phénomène détestable car mortifère : la propagande nationaliste, en l’occurrence française.
Jeanne, la pucelle. Pensez-donc, une femme en armure qui manie l’épée, pas question qu’elle soit sexuée d’aucune manière. Elle peut bien se faire accompagner de soudards voire d’un détraqué précurseur de Landru, le fameux Gilles de Rais, dit Barbe-Bleue (lire ou relire le fabuleux Gilles et Jeanne de l’espiègle Michel Tournier), rien n’y fait : elle n’est que pureté. D’ailleurs Dieu en personne se serait adressé à elle, via Sainte Catherine, Sainte Marguerite et l’Archange Saint-Michel. Jeanne, la bergère : pas de doute, elle est issue du peuple. Jeanne, la Lorraine : elle pousse l’élégance jusqu’à voir le jour aux confins des frontières de la « nation ». Jeanne, la martyre : trahie, bafouée, suppliciée mais elle a raison contre ses bourreaux, mélange de vils collabos et d’Anglais perfides. Elle a raison contre tout le monde, au final : les élites, le roi, l’église de son temps, voire l’ensemble de ses contemporains. Car deux passions l’habitent : Dieu et la France.
Bien sûr, je schématise. Mais pas étonnant qu’un personnage, un destin de ce calibre n’ait – notamment depuis le XIXème siècle – nourri les fantasmes de l’idéologie « hexagonaliste ». Tout y est, chacun sur l’échiquier politique français peut y trouver son compte: à ma droite, l’énergie guerrière, le salut de la Patrie, Dieu ; à ma gauche, la transgression des genres, l’intégrité du peuple face aux élites corrompues, la foi d’une femme de peu face aux nantis de l’Eglise.
« Dieu et la France », incantation magique pour ceux que l’on verra saluer "la pucelle" ce samedi 7 Janvier, en compagnie de Marine Le Pen.Nicolas Sarkozy s’attache à récupérer la récupération de Jeanne d’Arc par le Front National, grand bien lui fasse. Il faut le comprendre, Jean Jaurès et Guy Môquet lui ont claqué dans les doigts, à quoi bon s’épuiser à aller pêcher des symboles dans la maison d’en face, franchement, c’est bien la peine. Non, Jeanne d’Arc, c’est du solide, du franchement bleu-blanc-rouge et le mot d’ordre c’est : rien de ce qui est cocardier et volontiers xénophobe ne doit être laissé au Front National. Alors direction Domrémy, et au pas de charge.
Mais franchement, où est le problème ? Je n’ai personnellement que faire de la « mémoire » d’un personnage historique dont le destin a été trituré, malaxé, digéré à des fins de bourrage de crânes, un bourrage de crânes où la bigoterie la plus stupide le dispute au chauvinisme le plus crétin. Alors qu’ils se la gardent, Marine et Nicolas, leur « pucelle d’Orléans ».
« Elle est à tous les Français », nous dit Harlem Désir. Ah bon ? Puisque j’ai encore un passeport français, qu’on se le dise : je laisse mon bout à qui veut bien le prendre. Sers-toi, Nicolas, te gène pas. De toute façon, il est comme toi, mon morceau de Jeanne d’Arc : complètement cramé.
A bientôt