Pino Cacucci, Poussières mexicaines

Par Jsbg @JSBGblog

Il y a quelques temps, un ami m’a offert Poussières mexicaines en me disant : « Si, comme à moi, il te donne l’envie d’acheter un cactus et de visiter le Mexique, promets-moi que nous y irons ensemble». Avec Pino Cacucci cependant, oubliez Cancún et Acapulco, le sable, les cocotiers et les sombreros. L’auteur italien nous emmène en effet, avec ses récits de voyage, à la découverte d’un Mexique profond et authentique, très loin des circuits touristiques ordinaires.

Notre initiation commence dès le premier chapitre, où le narrateur, lui-même escorté par un autochtone, effectue la tournée des cantinas de Mexico, des débits de boisson peuplés d’hommes un peu bourrus et où il fait bon boire, jouer et manger. Dans cette atmosphère gaillarde et embrumée de vapeurs d’alcool, Cacucci perçoit tout d’abord une certaine méfiance à son encontre de la part des habitués des lieux. Ce n’est qu’après avoir prouvé une volonté d’intégration dénuée de préjugés que sa compagnie sera acceptée. Ce schéma se reproduira à l’identique lors des traditionnels et très confidentiels combats de coqs auxquels il aura le privilège d’être introduit ; idem lors de concerts sauvages où, à force de naturel et d’humilité, il finit par s’attirer la sympathie des aficionados de musique énergique qui « rient et hurlent à pleins poumons en se libérant de toutes les frustrations et des peurs accumulées pendant des semaines de guerre des rues, de vols et de fuites dans les venelles, de rage impuissante et de violence insensée ». Le Mexique, le vrai, est un pays qui se conquiert, par la sincérité et la persévérance.

Mais l’écrivain ne se borne pas à nous faire découvrir l’ambiente propre au Mexique. Il nous emmène aussi à la découverte de sa riche histoire. L’ouvrage est ainsi ponctué de chroniques historiques, relatant l’une les avancées du conquistador Cortés, l’autre la vie quotidienne de los muchachos, comme leurs voisins d’alors appelaient Fidel, Albertico, Miguel et Ernesto, dit El Che, sans oublier naturellement les récits liés aux peuples indigènes qui constituent l’âme de l’Amérique centrale : Aztèques, Mayas et autres Yaquis. Le Mexique actuel repose sur un socle complexe et son histoire se fond parfois avec la mythologie, ce qui explique son visage si particulier.

Or, c’est cette dimension mythique, et bien souvent mystique, qui est responsable de la fascination que le Mexique a exercé sur des générations de voyageurs, personnages non plus à la recherche de réponses mais désormais résignés face aux énigmes du monde, à l’image des autochtones eux- mêmes. Ce qui nous semble absurde constitue le quotidien de ces derniers, comme l’exprime Breton qui qualifie le Mexique de « seul pays au monde instinctivement surréaliste ». L’illustration la plus flagrante en est la Zone du silence. Il s’agit d’un territoire de plusieurs kilomètres carrés, sur lequel ne se développe aucune espèce végétale ou animale et où même la roche est particulière à ce lieu. Phénomène encore plus marquant, aucun signal radio ne peut y pénétrer ni en sortir. La Zone du silence, bien que ratissée et examinée par des kyrielles de scientifiques, n’a toujours pas livré ses secrets et lorsque Cacucci manifeste le même étonnement que tout un chacun, la réplique de Don Churro, son guide pour l’occasion, est sans appel : « Au milieu du désert, il y en a qui considèrent une radio allumée comme quelque chose de plus normal que le silence… ». Ce à quoi il ajoute : « L’ennui avec les güeros [« visage pâle »], c’est qu’ils veulent toujours tout expliquer ». Et c’est ce qui semble différencier la société occidentale du peuple mexicain, lequel accepte les phénomènes naturels tels qu’ils se produisent et sans les remettre en question. Cette symbiose avec la nature est par ailleurs, pour certains indigènes, renforcée par la prise « thérapeutique » de substances hallucinogènes telles que les champignons, qui permettent de «rétablir le contact perdu après des millénaires d’apprentissage de l’insensibilité » car « entre le monde des sons et notre ouïe, il y a un voile de silence ». Une manière de renouer, au plus proche des éléments, avec l’essentiel et le fondamental.

Pino Cacucci a beaucoup voyagé au Mexique et est allé à la rencontre de ses habitants, auxquels il donne volontiers la parole dans son récit. Armé d’une expérience approfondie et intense, il nous entraîne dans une exploration du pays, du Nord en Sud en passant par Mexico la mégapole et l’époustouflant Yucatàn. Tantôt historique, tantôt pittoresque, tantôt existentiel, Poussières mexicaines est un livre qui ne laisse pas indifférent. C’est pourquoi le Mexique figure désormais en bonne place dans la liste de mes prochaines destinations de vacances, histoire de vérifier qu’il est bien aussi mystérieux, riche et passionnant que le promet cette lecture.

Olivia Huguenin

Pino Cacucci, Poussières mexicaines (Petite Bibliothèque Payot, 2008)