Salle 5 - vitrine 5 : tepemânkh - 7. de la composition du plateau de sa table d'offrandes

Publié le 05 mars 2013 par Rl1948

   Offrandes à Osiris et à la corporation divine qui est dans la double Campagne des Félicités, pour qu'ils donnent les offrandes funéraires de pain-bière-viande-volailles-tissus et toutes bonnes choses chaque jour (...) afin de recevoir les pains, gâteaux, galettes, lait, vin et aliments. 

dans Paul  BARGUET

Le Livre des Morts des anciens Égyptiens 

Extrait du Chapitre 110

Paris, Éditions du Cerf, 1967

p. 143

 

   

   Le concept de l'offrande en Égypte antique, et plus spécifiquement celui de l'offrande alimentaire aux défunts, fut, dès les premiers temps de la création de l'écriture hiéroglyphique, matérialisé par le hiéroglyphe

référencé R 4 dans la liste de Gardiner, se lisant hétep, figurant en réalité deux signes distincts : une natte de roseaux ou de joncs, - semblable à celle qui pouvait recouvrir le sol des maisons -, et sur laquelle était déposé un pain.

   Il ne résulte évidemment pas du hasard que pour recevoir les offrandes de bouche dans les mastabas des premières dynasties, la table elle-même, soit comprit cette figuration au sein des éléments gravés sur sa partie supérieure - souvenez-vous de celle d'Akhethetep que je vous ai à nouveau présentée la semaine dernière au centre de laquelle vous distinguiez cette natte et ce pain -, soit reçut la forme générale du hiéroglyphe en question.

   Exceptionnellement ce matin, je ne vous suggérerai pas de monter à l'étage supérieur, dans la salle 23 pour y admirer, dans la Galerie d'étude n° 1, le superbe petit monument (AF 10226) d'un certain Nakht, datant du Moyen Empire.

   Si vous désirez vraiment constater que, vus du haut, la natte est figurée par la partie rectangulaire et le pain déposé dessus par le rectangle incisé qui s'en détache à l'avant-plan, symbolisant l'ensemble des aliments offerts, il vous faudra effectuer un petit voyage vers le Nord-Pas de Calais : en effet, cette pièce fait partie des quelque deux cents qui, d'ici, ont pris le chemin du tout nouvel espace muséal implanté sur l'ancien carreau de fosse des puits 9 et 9 bis des mines de Lens et vous attendent dans la grande Galerie du Temps

   C'est ce pain stylisé - cette brioche, comme l'appellent parfois certains égyptologues ; ces tranches de pain, comme préfèrent dire d'autres ; ou leur profil comme personnellement j'aime à le penser -, répété quatorze fois côte à côte, que vous retrouvez, amis visiteurs, sur la scène du repas funéraire de Tepemânkh gravée ici devant vous sur le bloc de calcaire E 25408 exposé au centre de la vitrine 5 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre parisien. 

   Mais peu me chaut en réalité la dénomination que chacun d'entre nous souhaite attribuer à ces formes verticales, l'essentiel étant le message que les artistes eux-mêmes ont voulu véhiculer en les représentant. 

   Examinons-les attentivement, voulez-vous, dans leur environnement.

   Leur taille, d'abord, car comme tout le reste, elle fit partie des critères stylistiques de détermination établis par l'égyptologue belge Nadine Cherpion - vous vous souvenez ? : j'ai tout récemment évoqué ses recherches -, aux fins de dater les mastabas qu'elle a étudiés, en ce compris celui de "notre" Tepemânkh.

     Si, dans les premiers temps, leur hauteur équivalait au nombre de centimètres séparant le genou du défunt de son coude, elle atteint ici, non pas son épaule, comme ce le sera plus tard, mais approximativement son aisselle.

   Leur disposition, ensuite, car elle connut au fil des ans plusieurs variantes : ici, vous notez l'alignement régulier de ces pains en deux séries de sept pièces, chaque groupe tourné face à l'autre. Il faut savoir que vous en trouverez ailleurs sur semblables scènes qui se présentent - pour autant que vous soyez évidemment attentifs à ce détail-là aussi ! -, soit tous face au personnage assis à la table, soit tous dos à lui, soit groupés deux par deux, soit en deux séries comme ici, mais dont la première fait face au défunt, alors que l'autre lui tourne le dos, etc., etc.

   Accompagnez-moi un instant à l'étage supérieur pour me permettre de corroborer mon dernier propos :

nous y rencontrerons bien, cette fois en salle 16, la fausse-porte de Chéchi (E 27133), exposée dans la vitrine 1.


   En scrutant attentivement la scène du repas funéraire du petit tableau central, vous remarquerez aisément que les deux séries de quatre figurations sont placées dos à dos, celle de gauche faisant face au défunt.

   Enfin, avec le temps, et parce que le motif s'y prête, les artistes donneront à ces profils de pains stylisés la forme de roseaux dressés - c'est le cas précisément sur la stèle de Chéchi ci-avant. Il faut par là comprendre que l'image rend un signe d'écriture. En effet, soit le hiéroglyphe seul M 17 de la liste de Gardiner, 

figurant un de ces roseaux si abondants au sein des marais égyptiens, gravé un certain nombre de fois sur la table d'offrandes ; soit le M 20 de cette même liste

qui constitue l'idéogramme des ces plantes palustres, signifient simplement qu'aux yeux des Égyptiens, ces lieux mythiques, idéalisations du monde agricole réel que sont les Champs des Roseaux, les Champs d'Ialou, les Campagnes de Félicités, selon certaines parmi d'autres acceptions que leur donnent les égyptologues, symbolisaient la source même de toute nourriture destinée aux défunts.

   C'est évidemment la raison pour laquelle, vous l'aurez deviné, qu'après celui de mardi dernier, j'ai choisi ce matin en guise d'exergue, ce nouvel extrait du chapitre 110 du Livre pour sortir au jour.

   Est-il vraiment nécessaire d'à nouveau "enfoncer le clou" ?

Vous savez tous, fidèles à nos rendez-vous hebdomadaires, combien je tiens à prouver que contrairement à des poncifs véhiculés ça et là, l'art égyptien ne pêche nullement par monotonie. Il suffit non pas de le voir, mais de le regarder. Vraiment. Attentivement.

     Une nouvelle fois avec ces autels portant offrandes, si récurrents de parois de mastabas en parois de mastabas, vous auriez pu croire que les artistes avaient immanquablement reproduit les mêmes scènes. Il n'en fut rien ! Et les détails qui, peu ou prou, distinguent les tables et leur environnement, ne peuvent que vous conforter dans l'opinion que je tente ici de faire admettre : malgré un certain nombre de consignes idéologiques quant aux finalités de leur art funéraire, les artistes égyptiens disposèrent d'un certain éventail de possibilités, d'une certaine marge d'autonomie créatrice.

     Heureusement, d'ailleurs, car ce sont précisément ces petites variantes qui, relevées avec patience, permettent aux égyptologues de dater avec le plus de précision possible les monuments exhumés des âges les plus anciens.

(Cherpion : 1989, 42-54 ; Ziegler : 1990, 258-61)