"Conquistador" de Florence Grivel

Publié le 11 mars 2013 par Francisrichard @francisrichard

Le canton de Vaud comporte au moins une particularité étatiste, qui le distingue des autres cantons helvétiques.

La curatelle, pour les personnes majeures, et la tutelle, pour les mineurs, y peuvent être confiées à des personnes au casier judiciaire vierge, choisies par l'Etat dans la population (on se demande comment), alors qu'elles ne sont ni professionnelles ni volontaires.

En principe il s'agit de cas de protection légers. Aussi, pas question de refuser. Les cas d'exemption sont rares.

Cet abus de pouvoir perdure et les heureux élus cherchent à y échapper comme ils peuvent et à ne pas prendre en main cette patate chaude.

Florence Grivel fait le récit fictionnel d'une quadra sur laquelle cette responsabilité échoit et qui ne refuse pas la patate chaude. Cela tombe bien, se dit celle-ci:

"L'humain me passionne, et, au-delà des contraintes administratives, je vais sûrement y trouver mon compte."

Pas de chance, on la douche tout de suite:

"Restez du côté administratif."

Son client, Justin Dufour, un grand escogriffe (2m 02), endetté jusqu'au cou, a demandé une curatelle volontaire. Il est "antisocial, mal éduqué, peu concerné par la conscience de ses propres limites", mais la quadra éprouve de l'empathie pour lui. Elle ne sait pas encore ce qui l'attend, un vrai cauchemar.

Justin est originaire d'Argentine. Il ne faut pas confondre:

"J'suis pas un Andin moi, j'suis d'origine conquistador."

Il a été adopté par des cadres suisses, mais sa famille d'adoption a renoncé. Son père ne veut bien plus que lui payer ses assurances sociales. La psy qui s'en occupe dit de lui:

"Il est considéré comme anti-social, et puis, quand il est décompensé il présente des traits clairement schizophréniques."

La quadragénaire curatrice va donc très vite essayer de prendre les choses avec humour et croit avoir trouvé la bonne façon "d'expulser la tension, d'élaborer un sens [qu'elle] ne trouve pas", en riant tout simplement.

Après neuf mois de curatelle, elle va cependant jeter l'éponge:

"Ma résistance flanche, mon respect pour Justin s'effrite. J'en veux à ce canton et à ses coutumes obsolètes qui obligent le citoyen d'assumer une situation qui dépasse souvent ses compétences."

Ce récit vaut surtout par le menu de ce à quoi la curatrice doit faire face: les courriers recommandés qui l'inondent; les demandes d'argent incessantes de son pupille - au "désespoir généreux. Et insistant" - (elle a la responsabilité de son compte en banque), qui use et abuse du téléphone mobile et qui s'en sort toujours par des mensonges ou des subterfuges.

Au milieu de cette obscurité permanente brillera tout de même une infime lueur. La curatrice pourra alors penser qu'elle n'a pas été complètement inutile.

Le récit vaut également par la transcription phonétique du parler djeune de Justin qui s'avère être un sacré client, sa morphologie et sa grande voix lui permettant de terroriser les autres pour obtenir ce qu'il veut...

Cet échec annoncé, au travers d'une fiction qui ne doit pas être très éloignée de la réalité, devrait faire réfléchir les autorités du pays de Vaud sur la pertinence du maintien de rapports citoyens non consentis.

Francis Richard

Conquistador, Florence Grivel, 64 pages, bsn press