René Frégni : la pensée jaillissante de l’autodidacte (7/8)

Publié le 12 mars 2013 par Sheumas

Un écrivain, c’est un peu un clown triste qui s’accroche à la mélancolie joyeuse de la vie, qui fait tourner ses balles et qui souffle dans les petits instruments de hasard qu’il trouve dans ses poches. A une élève qui l’interroge sur « la mélancolie de ses livres », René raconte l’histoire de Charlie Chaplin... A huit ans, le petit Charlot suivait sa mère chanteuse sur les plateaux et, intimidé, furtif, se cachait dans les coulisses. Et puis un jour, sa mère a eu une extinction de voix. Plus rien ne sortait de l’organe... Un drame pour cette femme qui n’avait d’autres ressources que de chanter dans les cabarets. Alors le petit Charlot est sorti des coulisses, et il a entonné les mêmes chansons que sa mère (à force de l’entendre, il les connaissait par cœur). Il a chanté avec son petit costume serré et cet air emprunté que lui donnaient ses deux pieds écartés et ce début de fausse moustache... Et devant ce garçon clown avant l’heure, le public a cru assister à un sketch, et il a applaudi à tout rompre. Et le lendemain, le petit Charlot est venu sur la scène et a commencé sa carrière.

Ecrire, c’est,comme Charlie Chaplin, se souvenir d’avoir tremblé, d’avoir eu les mains moites ou d’avoir transpiré d’émotion. C’est sentir que la plume colle aux doigts et qu’elle sert d’ultime réceptacle à la sensibilité. Que la littérature c’est autre chose qu’un artifice de beau langage. Qu’un écrivain qui cherche seulement à enfiler des beaux mots et des belles phrases est aussi ridicule que ce personnage de la blague... Il était une fois un homme qui cherchait à plaire aux femmes et qui croyait trouver dans les livres la recette de la séduction... Il lut tous les poèmes, les romans d’amour, les tirades enflammées... Vient enfin l’issue de sa formation. Il tremble, vibre de désir. Il se fait beau, se parfume, invite de belles amies et, dans la boite de nuit où il en voit de nouvelles, se décide à en inviter une à danser le slow avec lui. Elle lui sourit, elle est belle dans son vêtement qui craque. Il la prend dans ses bras, rapproche sa bouche de son oreille, prépare sa voix la plus douce. Il la sent déjà trembler sous ses doigts... Enfin il se risque, un murmure sort de ses lèvres frémissantes : « Je vous aime murmura-t-il » !