La femme digitale n'est qu'une bonne ménagère

Publié le 14 mars 2013 par Tetue @tetue

J'ai hésité à participer à la « Journée de la femme digitale », organisée ce 8 mars, à l'occasion de la journée internationale des femmes. Étant femme et depuis plus de dix ans sur Internet, l'événement m'interpellait. D'autant plus que je suis aussi éditrice d'un petit site web dédié à l'histoire de cette journée de luttes émancipatrices. Cet événement serait-il un rendez-vous au carrefour de mes engagements ?

Pardonnez mon ignorance, mais après des années de métier, je n'ai toujours pas compris la signification du qualificatif « digital », qui ne m'évoque que des fleurs ou des doigts. Pis alors qu'est-ce qu'une « femme digitale » ? Ça résonne soudain avec « clitoridienne » ou « vaginale », ce vieux faux débat… Autour de moi, dans la profession, ce n'est guerre mieux et aucune ne se reconnaît digitale.

C'est ce mot seul qui m'a fait hésiter. « Digital » est le terme anglais pour « numérique ». La manie de s'exprimer par anglicismes me fait fuir, parce qu'elle révèle moins souvent la compétence et l'expertise que l'enfumage et le marketing. Effectivement, avec des partenaires dignes de la presse féminine, tels que les collants Dim, les thés Kusmi Tea, les fringues Courrèges ou encore les champagnes Tsarine — quel rapport avec le numérique ? —, cet événement s'apparentait plutôt à une opération de récupération de la journée à des fins marqueteuses.

J'ai bien fait de ne pas venir, car c'était encore pire.

Aux conférences informatiques auxquelles je participe habituellement, comme oratrice ou auditrice, l'on gagne des livres sur les sujets abordés, pour continuer de progresser, des produits dérivés sympathiques et même des smartphones dernier cri ou des licences logicielles. Que gagne-t-on à la « Journée de la Femme Digitale » ? Devinez ? des friteuses et des fers à repasser ! Non, ce n'est pas une blague.

Friteuses et fers à repasser
Cadeaux offert lors de la « journée de la femme digitale », dans une ambiance rose girly (photo de MryEmery)

Bref, la femme digitale est avant tout une bonne ménagère. Ils ont osé. Et ça marche. Plus la mystification est grosse, plus ça passe. Car en y repensant, le plus étonnant est encore qu'aucune n'ai refusé son « cadeau » : ils et elles sont tous partis avec ! encombrés mais ravis ! témoigne @sosoabalino. Trop dociles, les digitales !

Pour le groupe SEB, l'événement n'est que placement de produits, sans crainte de la caricature : parce que les femmes nous ont depuis des générations comme partenaires de leur cuisine, leur intérieur, leur beauté. Vive la ménagère digitale !

L'événement, officiellement organisé par « deux papesses du 2.0 », Catherine Barba et Delphine Remy-Boutang, sert même de couverture pour cet autre partenaire, Carrefour, qui, plutôt que de s'interroger sur le traitement inégal des femmes qu'il emploie, se rachète une bonne image en supportant la « Journée de la femme digitale » :

Spécialiste des temps partiels imposés, l'enseigne de grande distribution [Carrefour] se donne bonne conscience en finançant des manifestations prétendument féministes. […] Pour Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, ce soutien flirte avec la provocation  : Cette propagande constitue un dévoiement total du mouvement de revendications des femmes dans le monde du travail, dénonce-t-il.
Carrefour aime la « femme digitale », par Joseph Korda, Observatoire des inégalités, L'Humanité, 8/03/2013

Je viens de comprendre : « digitale », c'est pour évoquer le doigt… qu'ils nous mettent profond, c'est ça ?

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