Les Bêtises de Jacques Laurent

Par Alain Bagnoud

On est de nouveau là dans ces livres que j’avais aimés voici dix, vingt ou trente ans, et que je relis pour me rendre compte si mes goûts ont changé. C’est un peu à chaque fois la madeleine de Proust, et l’occasion de constater un écart. Très intéressant.

J’avais apprécié Les Bêtises de Jacques Laurent à la fin des années 70. Le roman avait obtenu le Goncourt en 71. C’était peut-être ça qui m’avait attiré. A moins que ce ne soit la réputation de l’auteur.

Il avait été royaliste, puis membre de l’Action française, avait travaillé pour le régime de Vichy, attaqué Sartre, milité pour l’Algérie française, etc. Moi, j’étais de l’autre côté, idéologiquement, mais je n’étais pas contre l’altérité.

Le livre avait été pour moi un grand moment. On a des souvenirs toujours vagues, mais je pense que ce qui me plaisait, ce qu’il m’en reste en tout cas, ce sont des impressions de liberté, et comme un goût d’aventure. Qui persiste à la relecture.

Les Bêtises est composé de plusieurs parties. La première se présente comme un début de roman, Les bêtises de Cambrai (BDC). On est au début de la guerre. Le jeune héros garde la ligne de démarcation sous les ordres d’un capitaine imbécile et manipulable. Il vit toutes sortes d’aventures libres et souvent érotiques.

La deuxième partie, L’Examen des Bêtises de Cambrai, est le récit par l’auteur des BDC de l’écriture de son roman. Il y compare la réalité de sa biographie, qui constitue son matériel, avec ce qu’il en est devenu dans le texte. Il y a de l’Histoire aussi: l’occupation, la libération, les caves de St-Germain-des-prés, le début de l’existentialisme.

La troisième partie est un journal. L’auteur va faire la guerre d’Indochine, devient planteur dans ce pays, puis en Afrique, revient en Europe... On y trouve des aventures, des femmes...

Tout ça est sur le mode stendhalien, rapide, sans descriptions, mais avec toutes sortes de digressions et de morceaux d’écriture, de bravoure parfois.

Des questions reviennent: si on cède aux circonstances ou si on construit son destin, en quoi le hasard nous guide, quelles sont nos responsabilités par rapport à nos actes, qu’est-ce que l’action et qu’est-ce que l’écriture...

Bref, 572 pages serrées que je ne regrette pas d'avoir relues.