Lucian Blaga – Mémoire (Amintire, 1924)

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Où es-tu aujourd’hui, je l’ignore.
Autrefois les vautours volaient plus haut que Dieu au-dessus de nous.
Je sombre dans la mémoire, tout cela est si loin !
Sur les vieux sommets où le soleil sort de terre,
tes regards d’azur montaient jusqu’aux dernières altitudes.
Une rumeur de légende s’élevait par-dessus les sapins.
Le lac sacré était l’œil souverain.
Au fond de moi jusqu’à ce jour on parle encore de toi.
Des eaux mortes s’écoulent de mes cils.
Je devrais faire place nette,
oui, je devrais faucher l’herbe là où tu as passé.
Sur mon épaule pèse la faux du négateur
et la dernière tristesse me ceint les reins.

Lucian Blaga (1895-1961)Dans la grande traversée (În marea trecere, 1924) – Traduit du roumain par Sanda Stolojan