La grosse dame aux Crocs™ vertes, peut-être

Publié le 20 mars 2013 par Desfraises


Je passe le seuil de la blanchisserie sous un tonitruant carillon annonçant mon arrivée. La grosse dame aux Crocs™ vertes m'accueille, comme toujours, avec un sourire généreux. Lui tendant mon ballot, je me ravise. Je déboutonne les chemises sales. Elle rit : "Mais non, laissez." Je lui avais un jour demandé si elle préférait que le client dépose sa chemise boutonnée ou pas. Voyez comme je me pose des questions existentielles, et bêtes. Déboutonnées, évidemment, ça soulage le travail des repasseurs. D'humeur modestement utile, je m'inquiète du sort des cintres métalliques. "On les reprend, bien sûr," répond-elle, haussant une épaule.
La dame aux Crocs™ vertes et moi échangeons à propos de la neige qui a égayé et fichu la pagaille dans la capitale, de nos horaires respectifs. Des lubies de nos patrons. Mais le signal sonore annonce l'entrée d'un nouveau client, la fin de notre conversation.
Le lendemain je lui confie le linge sale d'un client de l'hôtel. Déballant le sac pour séparer les chaussettes des maillots de corps vieux comme Hérode, elle jette un œil amusé aux chaussettes. Sur chacune est cousue une étiquette. Un numéro pour chaque paire. Visiblement, elle a eu son lot de bizarreries. Et cela n'a pas l'air de la déranger. Avant de lui souhaiter la bonne journée, je commente ma toute nouvelle livraison de cintres métalliques, pas peu fier de mon ridicule geste pour l'environnement (car avant, je jetais) :
- Les gens m'étonnent. J'ai dit à mon patron que je recyclais vos cintres et il m'a toisé. M'a dit, bougon, bah pourquoi ? Faut les jeter.
Et la grosse dame aux Crocs™ vertes me donne la raison que je n'avais imaginée, tant elle est bête comme chou :
- C'est parce qu'il ne veut pas donner, confie-t-elle en écarquillant les yeux, une moue moqueuse sur les lèvres. S'il y avait moins de gens comme ça, de gens égoïstes, le monde irait peut-être un peu mieux. Peut-être.