DEB | La chouette et l'asphodèle par Danièle Dubroux

Publié le 20 mars 2013 par Dominique-Emmanuel Blanchard @DEBEMMANUEL

« Gloria Swanson fit encore une apparition, il y a quelques années de cela, au festival de Deauville où un hommage lui était consacré [1979].

Chacun fut saisi par son apparence spectrale : elle était recouverte d'une ample cape blanche qui lui tombait jusqu'aux pieds comme un suaire, les mains dissimulées dans de petits gants blancs immaculés, le cou enveloppé jusqu'au menton d'une longue écharpe blanche qui flottait derrière elle.

Sa tête semblait comme suspendue sur cet amas de tissu blanc car rien n'apparaissait d'un corps matériel susceptible de la soutenir.

Elle prit place à la tribune, ses yeux immenses d'un vert transparent surprenaient par leur éclat, de même sa voix, étonnamment claire, mélodieuse, plongea l'assistance dans une sorte de torpeur fascinée. Le traducteur n'osant interrompre le fil céleste de cette voix descendue jusqu'à nous, resta muet, médusé à ses côtés. Bien sûr elle évoquait un temps mythique, les débuts héroïques d'un cinéma conquérant. En somme, du haut de cette tribune, un siècle de cinématographie nous contemplait.

Puis, soudainement, elle s'affaissa sur la table de la tribune, faisant entendre le son mat et trivial de sa tête rebondissant sur le bois. Elle resta ainsi couchée sur sa joue, yeux fermés. En une seconde la blanche asphodèle s'était métamorphosée en marionnette de chiffon abandonnée par son manipulateur sur le rebord d'un guignol.

Un étrange malaise s'était communiquée à la salle. Puis Gloria Swanson se redressa, raccrocha le fil de son monologue. Elle évoquait maintenant sa vie privée ; elle n'avait pas été une bonne mère, elle avait sacrifié sa fille à sa carrière de star. Elle finit sur cette prière : “Ô jeunes gens, soignez toujours votre corps, c'est votre plus beau trésor.” »

Danièle Dubroux | in Hors série Cahiers du cinéma, N°2

Je n'ai pas retrouvé la photo qui illustre cet article de Danièle Dubroux. Les sources diffèrent : soit le n° 2 ou 5 des hors série des Cahiers (sans doute dans le n° "Monstresses". Je serais ravi de revoir cette photo.