Laurent Obertone : entretien avec l'auteur de la France Orange Mécanique

Publié le 25 mars 2013 par Copeau @Contrepoints

Le journaliste Laurent Obertone, a suscité la polémique avec le succès de son livre La France orange mécanique. Encensé par les uns pour qui il serait le seul à oser dire la vérité sur la délinquance, il est accusé par les autres de présenter les chiffres de façon biaisée et d'être un sous-marin de l'extrême droite. Contrepoints l'a rencontré pour permettre à nos lecteurs de se faire leur propre avis.

Entretien mené par Pascal Avot.

Laurent Obertone

Contrepoints : vous considérez-vous comme un libéral, un conservateur, un réactionnaire ou un autoritaire ?

Laurent Obertone : je peux me reconnaître partiellement dans les trois premières, selon la manière dont on les définit. Le problème de ces catégorisations conceptuelles est que personne ne les définit de la même manière. Elles impliquent souvent un certain jusqu'au-boutisme théorique sans rapport avec la réalité.

Quelle est, selon vous, la racine de "l'ensauvagement" que vous dénoncez ? Est-elle politique, sociale, juridique, morale, religieuse, ethnique ?

Plusieurs racines : morale, par le refus de comprendre la nature humaine, politique, par la lâcheté de nos gouvernants ; juridique, par le rejet du principe de sanction ; sociale, par le refus de toute autorité, de toute structure, de toute responsabilité ; ethnique, parce que le communautarisme accélère cette désagrégation sociale.

Cet ensauvagement a-t-il partie liée avec l'étatisation massive de la société française ? Cette étatisation génère-t-elle naturellement de la délinquance ?

Je crois que c'est un point essentiel. La société civilise l'individu, l'étatisation massive le domestique. Les gens dépendent de tout, perdent toute notion de responsabilité. Ce qui satisfait notre volonté de puissance, c'est notre capacité d'adaptation. Elle n'est plus mise à l'épreuve, seule compte notre capacité d'acceptation. On accepte par exemple que, en refusant de faire preuve d'autorité, la société engendre des groupes sauvages, régis par une morale violente, incompatible avec la nôtre. Face à ce constat, les gens honnêtes restent passifs, habitués à accepter, habitués à ce que l'État agisse pour eux.

Considérez-vous que les délits contre les biens (vols, dégradations, etc.) sont la conséquence du peu de respect – pour ne pas dire de la méfiance, voire du dégoût – pour la propriété privée en France ?

En effet. Le principe d'égalité, qui repose sur l'envie, conduit à mépriser tout ce qui n'est pas collectif. Or, "ce qui n'est pas collectif" est la définition même de la propriété. Le possédant est toujours considéré comme un coupable, éventuellement un ennemi. Et cet état de fait dépasse même la seule propriété matérielle. Beaucoup de petits blancs se sentent coupables de posséder leur statut social, leur héritage, leur identité. Ils compensent cette honte en s'investissant à corps perdu dans la compétition morale.

Considérez-vous que la France, comme le dit un journaliste italien, "est aussi mafieuse que l'Italie, mais trop orgueilleuse pour le reconnaître" ?

Sans être un spécialiste, il est clair que la mafia existe en France, mais elle a beaucoup changé de visage. De nombreuses petites « familles » d'origines différentes cohabitent. Elles sont moins organisées, travaillent parfois sur des micro-territoires, se marchent souvent sur les pieds. Ce que la France refuse surtout de voir, c'est la montée générale de l'ultraviolence, l'aisance avec laquelle le petit délinquant devient un criminel. Tous les éléments favorisant cette situation sont en place : des territoires communautaires, une justice laxiste, la circulation d'armes de guerre, l'impossibilité pour le citoyen d'y faire face, l'aveuglement de nos responsables.

Face à l'ensauvagement, considérez-vous que la différence entre les mesures prises par la droite et celles prises par la gauche est fondamentale, ou marginale ? L'arrivée des socialistes au pouvoir change-t-elle la donne au-delà des déclarations de principe et de la langue de bois ?

Les chiffres nous montrent que les différences de fond sont marginales. Seules changent les postures. La droite n'a pas su mettre au pas l'administration judiciaire. Le voulait-elle ? Taubira a le mérite d'assumer son angélisme délirant. Avec sa conférence de consensus et ses mesures ultra-laxistes, la situation ne risque pas de s'améliorer.

Quel jugement portez-vous sur l'image "sécuritaire" de Nicolas Sarkozy ?

S'il est honnête, c'est soit le signe qu'un Président ne peut pas échapper à la compétition morale, soit le signe qu'il n'a plus aucun pouvoir réel. S'il est moins honnête, c'est simplement le signe qu'il pensait que ses discours suffiraient.

Pensez-vous que votre démarche dessert Manuel Vals parce qu'elle est de droite, ou qu'elle le sert parce qu'elle renforce sa stratégie d'un "sécuritarisme de gauche" ?

L'image de Valls est « bankable ». Il y a une telle absence d'autorité dans la société que sa seule posture suffit à la rendre populaire. Ma démarche le dessert parce que j'explique qu'il n'est que le chef de la police, et que les problèmes viennent de la Justice. La Justice, c'est Taubira – signe que la gauche est loin de s'intéresser à la réalité, sinon pour affiner ses stratégies de communication.

Beaucoup de membres de la police française apprécient votre démarche et votre propos. Estimez-vous que la police est exagérément censurée en France ? Pensez-vous qu'elle pourrait gagner en liberté d'expression sans mettre en danger l'ordre public ? Y a-t-il un "deux poids, deux mesures" entre l'amnistie sociale qui innocente des cégétistes et un Ministère de l'Intérieur qui intime le silence à ses fonctionnaires ? Le mutisme des policiers est-il nécessaire au fonctionnement de la République ?

La très forte pression qui pèse sur les policiers ne peut que conduire à des dérives. Les policiers sont par définition légalistes, ils respectent leur devoir de réserve, mais ils sont humains. On ne peut pas leur imposer toutes les pressions du monde en se disant qu'ils les encaisseront indéfiniment. J'ai récemment rencontré un haut-fonctionnaire impliqué dans les questions de police au Parlement Européen. Il anticipe l'émergence de groupes violents dans plusieurs pays d'Europe, comme la possible résurgence d'Honneur de la Police (un groupuscule violent de policiers anonymes, qui a sévi dans les années 70 - NDLR) en France. Le ras le bol des policiers ne peut plus être sous-estimé.

Dans la construction du Politiquement Correct, considérez-vous que la complicité entre médias et politique est consciente et préméditée, ou plutôt instinctive et improvisée ?

Je pense qu'elle est spontanée et circonstancielle. L'intérêt des politiques et celui des médias converge dans la refus de la même réalité, et dans la course à la même compétition morale. L'écart entre idéalisme et réalisme se creuse tous les jours. La pression politiquement correcte que s'infligent nos élites est proportionnelle à la demande d'incorrection populaire. La compétition morale mène à refuser toute outrance, toute franchise, toute opposition, toute différenciation, tout pragmatisme, toute analyse. Celui qui refuse d'adopter ce langage, d'où qu'il vienne, est considéré comme un dangereux populiste, immédiatement suspecté d'être animé par d'improbables instincts racistes. La pression antiraciste permet aux compétiteurs d'éviter toute remise en question, et de terroriser ceux qui oseraient le faire remarquer.

Marine Le Pen vous encense et la Droite Populaire vous drague. Dans le même temps, Mediapart vous court après avec une tronçonneuse et Aymeric Caron vous tire dessus au mortier. Qu'est-ce qui vous fait le plus plaisir ?

Ce qui m'intéresse, c'est l'absence totale de pouvoir des journalistes. Ils ont perdu le monopole de l'information, ils ont perdu la confiance des foules. Grâce à Internet et au bouche-à-oreille, le livre se vend très bien sans leur autorisation, ce qui explique leur hystérie. Nous sommes libres de décider qu'ils n'ont aucun intérêt. Nous sommes libres d'agir et de leur montrer qu'ils ne sont rien. Ils sont nus, c'est une excellente nouvelle.

Nous savons quelle perception Marine Le Pen a de votre livre. Mais quelle perception avez-vous du Front National ?

Celle que je détaille dans mon livre. Un discours réaliste sur l'insécurité, mais socialement néfaste. Le socialisme, d'où qu'il vienne, ne peut que générer des dépendances, des coûts et des ennuis.

Votre livre remporte un écho particulier auprès des activistes et groupuscules patriotes, nationalistes et d'extrême-droite. Quel regard portez-vous sur Alain Soral ? Et sur Génération Identitaire ?

Je ne m'étonne pas du tout que ces groupes rencontrent de l'audience. La situation actuelle ne peut que les favoriser : les gens sont méprisés, dépossédés de tout pouvoir, leurs inquiétudes sont criminalisées. Aux gouvernants de ne plus jouer les autistes.

N'avez-vous pas le sentiment qu'en mélangeant les statistiques et le ton pamphlétaire, vous avez nui à votre volonté d'objectivité ?

C'est un risque. Mais le risque était plus grand encore de garder un ton de guichetier social-démocrate : personne ne m'aurait lu. Je m'adresse au plus grand nombre. La colère populaire devient allergique au langage sociologique, si éloigné de sa réalité. Mon ton est très modéré par rapport à la situation, et à ce que les gens me disent sur le terrain.

Quels sont vos journalistes préférés ?

Jean-Louis Moncet.

Quels sont vos pamphlétaires préférés ?

A-t-on encore le droit de préférer des pamphlétaires ? Aymé, Saint-Simon ou Balzac ont écrit de bons pamphlets. Même si je ne parle que de la forme, ne comptez pas sur moi pour dire que Rochefort, Daudet ou Céline étaient eux aussi très talentueux.

Ring, votre maison d'éditions, annonce votre prochain livre avant la fin de l'année ? Sera-t-il dans la lignée de La France Orange Mécanique ?

Il n'est pas impossible que mon prochain livre, pourtant très différent du premier, fasse un certain bruit.

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