Berlin : le capitalisme emporte tout, même un symbole des libertés contre l'anticapitalisme

Publié le 27 mars 2013 par Sylvainrakotoarison

C’est la mémoire qui est en train d’être assassinée par des promoteurs immobiliers voraces et irrespectueux. Ce 27 mars 2013, six mètres du mur ont été détruits pour construire un immeuble d’habitation de soixante-trois mètres de haut.

C’était le samedi 26 janvier 2013, dans la soirée. J’étais à Berlin, le temps était au froid. La neige avait envahi depuis plusieurs jours la ville et un vent froid secouait la chair laissée à l’air libre. J’avais voulu quand même le voir. Cela faisait plus de vingt ans que j’avais voulu le voir, et l’émotion m’a pris à la gorge dès les premiers mètres.

J’ai longé très lentement les mille trois cents mètres de ce qu'il restait du mur de Berlin, à East Side Gallery, dans l’est de la ville, le long de la rivière Spree (d’autres morceaux restent encore, en particulier dans le nord de la ville). Il y avait très peu de monde. Quelques touristes, des jeunes, qui se prenaient en photo devant les œuvres peintes par des artistes internationaux sur ces résidus de mur. À l’occasion du vingtième anniversaire de la chute du mur, les mêmes artistes étaient revenus restaurer leurs œuvres (en particulier le Français Thierry Noir).


Le 13 août 1963, le gouvernement communiste est-allemand avait décidé de construire cent cinquante-cinq kilomètres de mur de près de quatre mètres de hauteur avec barbelés et miradors en plein centre de la capitale allemande. Il a fallu attendre la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, pour envisager un nouveau monde (ainsi que la réunification).


Une génération est passée depuis lors et les jeunes Berlinois ont l’esprit très éloigné de ce qui apparaît, pour eux, nés après 1989, comme un simple épisode de leur histoire. Pourtant, des dizaines d’Allemands ont été tués en tentant de traverser le mur (d’est en ouest), peut-être leurs parents, leurs grands-parents.


En regardant la situation des lieux, je pouvais vite comprendre que les lieux auraient du mal à être sauvegardés en l’état, pour préserver la mémoire d’une idéologie qui a entraîné l’érection d’une telle horreur. En effet, une zone très étendue de terrains vagues reste encore en friches entre le mur et la rivière, et cela suscite des appétits chez les promoteurs immobiliers. Et si l’on veut bâtir sur cette zone, il faudra bien y avoir accès par le mur.


Je ne pensais pas, en janvier dernier, que la volatilité de la mémoire serait si rapide. En deux mois, six mètres du mur, en quatre blocs, ont été détruits. Ou plutôt, pas en deux mois, en quelques heures, ce mercredi 27 mars 2013, tôt dans la matinée, sous la surveillance de deux cent cinquante policiers venus protéger le déroulement des travaux. La municipalité de Berlin veut en effet faire d’ici 2015 une brèche d’une trentaine de mètres pour aménager les rives de la rivière en construisant également un pont et une piste cyclable.


Le 1er mars 2013, les pelleteuses n’avaient pas réussi à réaliser ces démolitions en raison de deux cents manifestants venus spontanément sur les lieux protester contre cette atteinte à la mémoire collective. Très populaire en Allemagne, l’acteur américain David Hasselhoff, très connu pour ses prestations dans "Alerte à Malibu" et "K2000" et qui était allé chanter devant le mur le 31 décembre 1989, avait lui aussi fait le déplacement il y a quelques jours pour protester.


C’est peut-être cela que je pourrais reprocher à l’Allemagne : de s’être définitivement apolitisée (Hitler et Staline lui ont suffi !) et de ne se focaliser que sur l’aspect économique de son développement, au prix de quelques leçons d’histoire. Sous la République de Weimar, les livres scolaires avaient stoppé à l’empereur Guillaume II l’histoire récente de l’Allemagne. Si son dynamisme économique permet à l’Europe de mieux amortir le choc des dernières crises financières, l’Allemagne ne protège pas son avenir en réduisant sa vigilance contre les démons du passé, et c’est cela qui est angoissant.


En plus de ce vandalisme officiel contre cet épisode terrible de l’histoire allemande, la destruction du peu qu’il reste du mur est une insulte aux nombreux artistes venu du monde entier qui ont passé de l’énergie et de la passion à décrire sur chaque mètre mural leurs impressions et leurs émotions. Remember !

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 mars 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Un nouveau monde.
La chute du mur de Berlin.
La réunification allemande.
L’Allemagne, gage de stabilité européenne.
L’Europe et la paix.
Néfertiti.
Hitler.
Staline.

 
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/berlin-le-capitalisme-emporte-tout-133150