Mongol, l'homme des hautes plaines

Par Julien Peltier


Genghis Khan, le plus grand héros de la nation mongole, a déjà fait couler des rivières d’encre après des flots de sang. Au XX° siècle, le cinéma s’empare maladroitement* de ce personnage nimbé des brumes du mythe, et en 2007, voici que le réalisateur russe Sergeï Bodrov entend replonger aux sources historiques de cette figure fascinante. Fort de moyens pharaoniques, et du soutien prestigieux des états Russe, Kazakh et naturellement Mongol, il relève le défi et signe le premier volet d’une fresque qui sait garder ses distances avec les poncifs de l’épopée guerrière attendue, tout en n’évitant pas quelques fautes de goût.




Choisir un japonais à la silhouette gracieuse, Asano Tadanobu, quand bien même il serait versé dans l’incontournable maniement des armes, pour incarner le farouche chef de guerre mongol, avait de quoi surprendre. C’est pourtant sur les yeux du samurai de « Tabou »** d’Oshima, et du « Zatoïchi » de Kitano que s’ouvre le film. Ils sourdent d’une colère froide, d’une détermination sans faille, plantés au milieu d’un visage contrefait par la crasse des geôles Tangut. Le temps d’un flash-back vers l’enfance de celui qui se nomme alors Temüjin, et le film prend son envol. Certes, les envoûtants plans larges sur la steppe eurasiatique, de même que la beauté fruste des costumes, servent bien le propos, et nul ne saurait rester indifférent à tant de splendeur. Ce remarquable travail ethnologique, entre autres qualités, a par ailleurs valu à « Mongol » de figurer dans la sélection officielle pour l’Oscar du meilleur film étranger. Mais Bodrov sait aussi prendre des risques, ne craignant pas de plonger au cœur de l’austère rudesse de la vie des nomades. Le cheval y est magnifié, comme il sied aux manières de ce peuple cavalier, mais aussi le silence, qui s’étale en longues plages. L’auteur conte ainsi la face cachée du conquérant sanguinaire, celle qui dessine un lent parcours, semé d’embûches, de souffrance et de solitude, avant de parvenir à l’unification des tribus mongoles.

Aux côtés d’Asano, Honglei Sun incarne à la perfection l’un des premiers compagnons d’armes du futur grand Khan : Jamukha. Véritable portrait en creux de Temüjin, doué d’un charisme certain, le coréen révélé par Zhang Yimou puis Tsui Hark se révèle parfait en chef de guerre tribal qui devine déjà, malgré leur rivalité, que son frère de sang tracera une route inédite et glorieuse pour son peuple. La sublime Khulan Chuluun, transcendée par son amour du héros, ramène le casting à son contexte mongol. Que les amateurs de moments de bravoure martiaux se détournent : « Mongol » ne leur en offrira pas. C’est peut-être le seul échec de l’auteur, qui semblait manifestement désireux de faire de l’ultime bataille entre Temüjin et Jamukha le point d’orgue de son œuvre. Las, en panachant plutôt gauchement les séquences épiques du « Seigneur des Anneaux » et Peter Jackson et l’« Alexandre » d’Olivier Stone, Bodrov ne produit qu’un brouet indigeste et confus. Comble du mauvais goût, le métal qui abasourdit soudain le spectateur n’est pas celui des sabres s’entrechoquant, mais au contraire rugi par des guitares saturées bien anachroniques. Dommage qu’un si beau voyage prenne fin sur cette chute navrante. Le film, une réussite à bien des égards, souvent d’une poignante et sauvage intensité, ne le méritait pas.
Ujisato

Réalisé par Sergei Bodrov
Avec Tadanobu Asano, Honglei Sun, Khulan Chuluun
Film Kazakh, allemand, russe, Mongol.
Durée : 2h 4min. – Année de production : 2007
*Omar Sharif s’était frotté au rôle dans un film éponyme d’Henry Levin en 1965.
**Découvrez ici la critique de ce film

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