Elle connecte de point à point. «Ça change tout, affirme notre interlocuteur. Car il s’agit d’une métamorphose absolue de nos réflexes intellectuels. C’est fini l’ère des citoyens actifs qui prenaient le temps du ressenti ; ils ont été remplacés par des individus qui préfèrent l’expéditif et le zapping. Lire la presse, c’est un réflexe totalement contraire à cette évolution… alors qui gagnera ce bras de fer?»
Journalistes. Jamais les journalistes n’ont eu à subir de tels bouleversements, techniques et anthropologiques. La presse écrite affronte en effet une mutation d’ampleur venue de l’ensemble du système médiatique, à commencer par la disponibilité de technologies elles-mêmes très évolutives: informatique, microélectronique, télécommunications, spatial, etc. Les conditions d’utilisation de ces technologies se simplifient, se démocratisent et changent en profondeur toutes les formes d’informations et de communications (pardon pour le gros mot). Comment prévoir et anticiper la manière dont les usages trancheront? Et où lira-t-on encore? Et sur quel support? Et à quelle périodicité? Et, surtout, quel type d’informations et autres analyses dépassant le seuil des simples faits? Autant de questions existentielles auxquelles il est pour l’heure impossible de répondre, croyez-nous. D’autant que, du strict point de vue éditorial – ce qui nous importe beaucoup à l’Humanité –, l’offre est à la fois proliférante, de plus en plus spécialisée et de plus en plus segmentée, conformément à la tendance (désolante) dite de la «personnalisation» des biens de consommation. Notons une conséquence économique lourde: la tendance nette à la concentration, à la financiarisation et à l’internationalisation de l’information – donc à la globalisation et son corollaire, l’uniformisation.
Écrit. Penser qu’Internet pourrait, grâce à la profusion d’informations googleisées, jouer le rôle d’un journal comme l’Humanité n’est qu’illusion, voire vision cauchemardesque d’un futur qu’on voudrait nous imposer, avatar, parmi les autres, du capitalisme globalisé… Cela n’exclut pas une vérité incontournable : aucun journal, à commencer par l’Humanité, ne survivra s’il ne recrée pas un puissant désir chez son lecteur – un désir citoyen, un désir de civilisation, un désir de transformation de la société. Être à la fois auteurs et acteurs, pour cultiver ce qui nous rend irremplaçables, donc indispensables aux yeux des lecteurs. Disons une évolution, une progression, une refondation, une révolution… qu’importent les mots. Mais attention à un écueil majeur. Ne confondons pas «crise de la presse écrite» (réelle) et «crise de l’écrit» (en grande partie fantasmée). L’écrit existera toujours – la presse écrite aussi, par définition. Seul le support continuera d’évoluer. Et un jour, sans doute, le papier journal aura été en grande partie remplacé par toutes sortes de «liseuses», aux matériaux et aux composants de plus en plus perfectionnés. Alors nous ne dirons plus «presse papier» ; mais nous dirons toujours « presse écrite ».
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 22 mars 2013.]