Miss Deeplane : Interview de Louis

Par Katchoo86

Lorsque l’on me demande ce que m’a apporté le TLGB depuis bientôt trois ans, je réponds toujours la même chose : ce sont les rencontres exceptionnelles(réelles ou virtuelles) que j’ai pu faire grâce à lui, par le biais des festivals et des conventions ou plus simplement par mail ou à travers les réseaux sociaux, du lecteur novice ou averti à l’artiste en herbe ou mondialement connu, nombreux sont ceux qui ont exprimé jusqu’ici un message de sympathie et de soutien envers ce blog un peu particulier et loin d’être parfait, mais dont la sève de la passion pour les comics coule dans chaque billet avec plus ou moins de réussite.

Lorsque Louis, l’auteur de Tessa Agent Intergalactique m’a contacté une première fois par mail en juillet dernier, c’était pour me dire « bravo » et me proposer de faire un cameo sur le blog dans sa prochaine création, Miss Deeplane, comme ça tranquille.
Après m’être fait pipi dessus, je lui ai avoué toutes mes lacunes en BD Franco Belge, puis j’ai découvert l’univers de cette héroïne aux multiples facettes, diablement sexy aux premiers abords mais surtout terriblement touchante. J’ai bien évidemment été conquise.
Ainsi pendant des semaines et de façon régulière, Louis m’a fait parvenir ses planches, me montrant les aventures de la Miss et moi les attendant comme on attend un nouvel épisode de Game of Thrones.

Parce que Miss Deeplane a un petit quelque chose en plus, ce que vous apprendrez en lisant cette interview, et parce que j’ai senti que son auteur était un artiste sincère et engagé comme j’ai rarement eu l’occasion de connaitre, l’occasion était trop belle pour vous livrer une interview qui je l’espère sincèrement saura vous inciter à acheter cet album.

Miss Deeplane sort le 18 avril prochain aux éditions Clair de Lune et c’est une très belle BD mélangeant science fiction, humour et sensualité, tout cela enrobé d’un message des plus sérieux, bref tout ce que l’on aime ici au TLGB.

Bonjour Louis, pour commencer je te remercie de m’accorder cette interview à l’occasion de la sortie de ton nouvel Album, Miss Deeplane qui il me semble est une héroïne que tu as créé il y a pas mal de temps déjà n’est-ce pas ?


Bonjour Miss K! Merci à toi de m’avoir proposé cette interview ! Alors, oui. Miss Deeplane existe depuis bientôt 14 ans! C’est un perso que j’avais créé pour feu, le magazine « Dixième Planète ». Un magazine sur les produits dérivés ciné, tv, bds etc. Toï, son side Kick bleu était arrivé quelques temps après.
Dans l’ours du magazine j’étais indiqué comme « papa de Miss Deeplane ». Du coup, j’ai intégré cela dans la bd, ou je suis son « papa ». Je suis moi même un perso récurrent de mes BD. Ha ha ha.
Pour revenir à la miss, à l’arrêt de magazine, j’ai gardé les droits visuels du perso, mais je n’avais pas le nom. J’ai pu le récupérer enfin quelques années après, et je suis enfin propriétaire à 100% des deux persos, et de l’univers créé, car j’ai tout déposé à l’INPI. Donc, c’est un cas un peu particulier dans le monde la bd, car contractuellement, l’éditeur ne détient les droits avec moi que de ce one shot. Pas des persos. C’était une condition sine qua non pour moi. C’est mon premier perso, je ne voulais pas le partager.;) C’est ma fille après tout, merde! ha ha ha. Sérieusement, toute ma carrière découle de Miss Deeplane, qui était la « pré Tessa ». Donc si certains trouvent que Miss Deeplane ressemble à Tessa, c’est en fait l’inverse ! Ha ha ha.

Je sais que tu es un autodidacte, mais comment as tu démarré ta carrière de dessinateur ?

Justement grâce à Miss Deeplane, qui a été mon tremplin. Mais j’avais fais quelques illustrations avant, comme dans le zine « Le Grimoire », ou quelques illus. C’est grâce aux débuts d’internet que j’ai pu avoir mes premières commandes, car toutes les portes étaient restées fermées, sinon. Et de file en aiguille, de fanzines, en prozines, puis en magazines, j’ai gravis très lentement tous les échelons, à force de travail et de remise en question.
ET puis j’ai fini par démissionner de mon travail de prof de physique appliquée et d’électrotechnique en 2000. Je salue mes anciens élèves ici, que je garde toujours quelque part au chaud. Super expérience de vie !

Les lecteurs de BD Franco Belge te connaissent bien grâce à Tessa Agent Intergalactique, tu sembles avoir un penchant pour les héroïnes sexy au caractère bien trempé… d’ailleurs as-tu un modèle où une héroïne de prédilection en tant que lecteur ? 

C’est vrai qu’on me dit souvent que je dessine des nanas aux attributs bien affichés, mais ca vient de ma culture comics, d’une part, et d’autre part, il est vrai que je prends moins de plaisir à dessiner des boudins. ha ha ha.
Je dis souvent qu’un dessinateur « caresse »ses premiers seins sous son crayon. C’est vrai. On ne peut pas dire « n’y voyez pas là le fantasme de l’auteur », car, à la base, c’est cela. Une version fantasmée de la femme. C’est vrai aussi pour les hommes que je dessine. D’ailleurs.
Mon modèle de prédilection pour l’héroïne  Je dirais Kitty Pride. C’est toujours la première qui me vient en tête. Même si ce modèle est celui que j’avais ado. Je dirais que c’est affectif, parce que maintenant je dirais plus Power Girl, ha ha ha;) C’est l’homme qui parle, plus l’adolescent qui trouvait en Kitty Pride la copine fantasmée, de son âge. Maintenant, ma Kitty Pride, c’est ma femme. C’est d’ailleurs, de facto, ma super héroïne de prédilection !

On te sent très influencé par la culture comics, d’où vient-elle et que lis-tu en ce moment ?

Ma culture comics me vient de mon grand frère. Il a 10 ans et demi de plus que moi( un demi de taille quand j’en avais 9 et demi, et qu’il est partit voler de ses propres ailes). Pendant que je lisais Pif, puis le journal de Spirou, lui lisait Strange et compagnie, et je suis tombé dedans comme cela. Je lisais les collections de mon frère. C’était un trésor à mes yeux.
En ce moment, je ne lis plus les X-Men, et depuis longtemps, alors que c’était mon groupe fétiche, mais principalement les New Avengers, et Avengers, alors que je détestais Captain America enfant. Je n’aimais que Iron Man, de ce groupe. Je lis aussi Spidey, toujours. En version terre 616 et Ultimate. La Bat Family, Green Lantern, Walking dead, Justice League, et j’en oublie. Plus les event Marvel. Et Captain America, depuis Brubaker.

Ce qui est frappant aussi lorsque l’on regarde tes planches c’est le nombre incalculable de caméos et de clins d’œil que tu as l’habitude de faire envers des lieux, des personnages, ou des artistes (et même des blogueuses !) et tu sembles beaucoup t’amuser à les insérer. Est-ce que tu as une idée précise de qui tu vas « poker » longtemps à l’avance ou tu joues la carte de la spontanéité ?

Les deux ! Certains sont prévus de longue date, comme la double page hommage aux super héros français, ou le costume de spidey dans la poubelle. D’autres, en fonction des rencontres, comme une célèbre blogueuse !

Sur cet album tu as travaillé avec ta femme Véronique, vous faites partie de ces couples dessinateur/coloriste que l’on retrouve parfois dans la bande dessinée, je pense à Mike et Laura Allred, ou Mitch et Elizabeth Breitweiser qui oeuvrent dans le milieu des comics, comment se déroule votre collaboration ? Est-ce plus évident de travailler avec la personne avec laquelle on vit, plutôt qu’un artiste avec qui on correspond par mail ou par téléphone ?

C’est forcément plus évident, au bout d’un moment. Ça a été compliqué quand elle s’est lancée, car étiquetée  »femme de ». Mais maintenant, son talent parle pour elle, et c’est plus facile, surtout pour elle !
Nous, on a trouvé nos marques, et ça roule tout seul. On se comprend, et je lui laisse carte blanche, sauf sur des détails, ou des points en rapport avec le scénario, la mise en scène, bien sûr. Mais on peut dire qu’on est dans des chaussons, façon Bidochons épanouis de la BD;) On aime la routine, dans le sens positif du terme. On est des marmottes  et on s’épanouis dans notre terrier.
Donc, c’est une façon de bosser idéale pour nous, mais on se rends souvent compte que ça effraie les gens. La première question est souvent: »ohhhh ce n’est pas trop difficile de bosser en couple?  » Ben non, pas pour nous. Ni pour pas mal de couple en BD, d’ailleurs.

Nous nous connaissons depuis peu mais j’ai pu découvrir à plusieurs reprises que tu faisais partie de ces artistes très impliqués pour la cause LGBT, ton héroïne est bisexuelle et ses paroles sur son identité sexuelle au début de l’album sonnent très juste. Ma question a deux euros est la suivante : pourquoi avoir choisi de faire de Miss Deeplane une représentante de la communauté LGBT  ?
Ce n’est pas du tout une question à deux euros, puisque c’est un des éléments de base de l’album, et du personnage principal. Le thème principal de cet album est de jouer avec les identités. Publique, secrète et sexuelle.
Les deux premières étant constitutives de la notion et du thème des super héros, la seconde étant plus sociétale. Le fait est que c’est tombé pendant l’actualité du mariage pour tous, et que ça a été un bon moyen pour moi de prendre position, comme la fin de l’album le montre.
Maintenant, ce sujet, est un sujet qui touche, et dans une plus large mesure, la tolérance, et l’acceptation des différences, est un de me thèmes récurrents à travers mes scénarios. (Certains disent scenarii, je préfèrent le pluriel de scénario). Si j’ai aussi choisi ce thème en particulier, de la bisexualité, c’est parce que j’avais envie d’aborder le thème de l’identité sexuelle dans un de mes albums. J’aurai pu opter pour l’homosexualité, mais la bisexualité permet de questionner à la fois les hétéros, et les gays et lesbiennes, parce qu’il est une chouille encore plus complexe. Pas question de tirer la couverture d’un côté ou de l’autre, mais quitte à parler de tolérance, autant essayer de parler au plus grand nombre.
D’un côté, il y a des homophobes, et c’est connu, mais de l’autre, bon nombre de gars et lesbiennes considèrent les bisexuels comme des gays/lesbiennes non pas refoulées, puisqu’ils/elles ont tester, mais non assumés. Tu vois ce que je veux dire? C’est aussi une forme d’intolérance qui refuse la fait qu’il n’y ai pas à trancher, d’un côté, ou d’un autre, puisque c’est la particularité de la bisexualité.
Un autre point que je voulais clarifier sur la bisexualité était la fidélité  Un bisexuel n’est pas plus infidèle qu’un hétéro, ou un gay/lesbienne. Il ou elle est amoureux, point. Le fait que j’aborde ce sujet est aussi dû au fait que même si les différences sexuelles sont mieux acceptées de nos jours, faire son coming out est toujours aussi compliqué dans certaines familles, certains milieux, et je trouve très courageux de pouvoir le faire. Certains ne le peuvent toujours pas, au risque de perdre leurs familles. Devoir choisir entre son identité sexuelle, et sa famille est un dilemme qui confine à la torture au quotidien. Je voulais parler cela aussi.
Et comme le dit Miss Deeplane, après tout, qu’est ce que cela peut bien faire ce que l’on fait dans lit, et avec qui ? On ne demande pas à un hétéro quels sont ses jeux, parce qu’il est hétéro. Alors qu’une fois au lit, il se fait peut être tacler les fesses, ou gifler en se faisant traiter de tous les noms, et j’en passe. Mais parce que l’étiquette est hétéro, on passe à autre chose. Alors que si on est lesbienne, Gay, Bi, ou trans, on a l’étiquette au dessus de la tête, et les gens ont des images qui vont avec. Je ne te fais pas de dessin, mais tu vois de quoi je parle.
Maintenant, pour conclure, je dirais qu’un auteur parle toujours un peu de lui et de ce qu’il connait, ou aimerait connaître, dans ses bds, par opposition, ou transcription. Si tu trouves que ce que je dis sonne juste, et j’en suis très touché, et bien… C’est sûrement que je connais le sujet, et je suis ravi d’avoir visé juste alors. Maintenant, certains vont du coup se dire: « Alors, ça veut dire quoi? Il en est le Louis ou pas? » Indice de réponse, je suis marié de 7 ans, et en couple avec la même femme depuis 11 ans. Ensuite, si des gens veulent imaginer sur moi ce qu’ils souhaitent pour les 31 années précédentes… Grand bien leur fasse, je ne trancherai pas, sinon je dénaturerais le propos de Miss Deeplane qui est de dire: Ce qui est de la sphère privée ne regarde que les protagonistes, et évitons les cases. Que je sois donc hétéro, ou Bisexuel ne regarde que moi. C’est donc l’un, ou l’autre, à chacun de choisir si ça lui fait plaisir. Je n’ai pas de problème avec mon image. il n’y a que deux solutions. Ou je suis hétéro, et si on me me pense Bi, je m’en fous. Ou je suis Bi, et je me fous aussi de ce qu’on pense.
Le but de ce message, de cet album, est que les gens s’acceptent comme ils sont, sans savoir ce qu’ils font au lit les uns les autres. Par contre, dans cet album, je fais un vrai coming out. Mais sur une autre facette de ce que je suis. Bi, oui, mais Bipolaire. J’avais envie de parler de ça, aussi. De dire que c’est un syndrome complexe, compliqué, et qui complique la vie au quotidien, de celui qui l’a, mais aussi de l’entourage. Mais qu’on peut apprendre à vivre avec, dans une certaine mesure. Pour le coup, ceux qui ont vus les deux derniers épisodes de la série Homeland, saison 1, peuvent se dire que c’est une très bonne illustration de ce qu’est un, ou une, Bipolaire. J’ai longtemps hésité à le dire, et à en parler, parce que c’est un peu le terme à la mode dans le showbizz en ce moment. On a l’impression que tout le monde est Bipolaire. Je ne sais pas pour les autres, mais l’étant moi même, j’avais envie, au delà du fait de le dire, de l’expliquer un peu. De le montrer. Et de le dire. C’est le conseil que je peux donner aux gens qui sont diagnostiqué Bipolaires. En parler avec son entourage, l’accepter. C’est le début pour vivre avec ce syndrome  On n’en guérit pas, on apprends à vivre avec, c’est tout. Mais c’est déjà beaucoup. Et en parler, c’est aussi, voire surtout, pour ménager ses proches.
Bref, quoiqu’on soit, la base, c’est de s’accepter, et c’est le message de Miss Deeplane. Bisexuel, Bipolaire, ou je ne sais quoi… Soyez vous mêmes, dans la mesure de vos possibilités, et que vous puissiez le crier sur les toits, ou pas, vivez heureux.
Quels sont tes projets à venir ? Une suite pour Miss Deeplane est-elle prévue ?

Des projets, j’en ai plein! En cours, ou à venir, et dans plusieurs styles différents!
Un peu plus réaliste et sombre avec Sylvain Runberg au scénario, chez Le Lombard, pour un diptyque qui s’appellera  »Drones ». Un gros one shot avec Jérôme Félix au scénario, chez Bamboo, qui est une fable romantique rurale, et plus semi réaliste graphiquement.
Bien sûr, le dernier tome de Tessa avec les amis Mitric et Lamirand, aussi. J’ai un album en fin d’écriture très dur, très sombre, très glauque, dans la collection 1800. Je finis aussi Khaal, avec Valentin Sécher, bien sûr, et la fin du spin off de Tessa, « Ultime étoile », avec Jull. J’ai d’autres choses dans les tuyaux, mais je ne peux pas encore en parler.
Et pour Miss Deeplane alors? Et bien le but était d’en faire un one shot. Une vraie histoire complète, hommage au genre du super Héros. Si le succès est au rendez-vous, on reverra surement la miss, tôt, ou tard. J’ai mis 13 ans, depuis sa « naissance », avant de pouvoir lui donner à nouveau vie en BD, je peux attendre 13 ans de plus.
Je le répète, je suis propriétaire du perso, puisque je l’ai déposé à l’inpi, et ce one shot est une cession ponctuelle à l’éditeur qui a fait ce one shot. Je peux en faire d’autres avec qui je veux, quand je veux;) Donc…