Histoire du clown Chocolat par Noirel

Par Juval @valerieCG

Je vous propose ici le résumé du livre de Gérard Noiriel, Chocolat clown nègre.

Dans son préambule, Gérard Noiriel nous apporte une précision tout à fait intéressante. Les sources autour de son sujet d’étude étaient très réduites et la majeure partie consistait en des articles ou des entrefilets de la presse quotidienne. Il aurait été totalement impossible d’écrire ce livre sans l’immense travail de numérisation accompli par la Bibliothèque Nationale de France (gallica)  puisqu’il aurait fallu parcourir manuellement les archives de tous les journaux sur plusieurs années. Je ne m’en étais pas rendue compte mais la numérisation va permettre d’ouvrir un peu plus les champs de recherche en Histoire.

Chocolat par Toulouse-Lautrec, 1896

Le clown Chocolat a été une véritable star, si on me permet cet anachronisme, au début du 20eme siècle. Tout ce qu’il a pu accomplir et faire aurait du faire qu’il reste dans notre mémoire collective comme par exemple Josephine Baker. Pourtant il est aujourd’hui quasi inconnu.

En 1830, le comédien Thomas D. Rice crée le personnage de Jim Crow, caricature du « nègre » qu’il incarne en se noircissant le visage. Il imite la gestuelle des esclaves observés à New-York. Ainsi le « genou fléchi » devient le symbole de l’esclave noir fuyant vers sa liberté. Il inclut également des chants et danses inventés par les esclaves. On appelle ceci le minstrel show. Ce genre de spectacle commence à avoir du succès vers 1860 et a un véritable succès vers 1876. En 1877, on commence à cette époque à voir également arriver des artistes noirs être sur scène.

Le clown Chocolat dont le vrai prénom était Rafael, né à La Havane vers 1868. On ignore son nom de famille, celui qui s’est imposé fut Padilla. Il aurait été vendu à un négociant espagnol et arrive à Bilbao vers l’âge de 8 ou 10 ans. Après avoir fui son maître, il aurait  rencontré un célèbre clown Tony Grice qui l’embauche comme domestique, puis comme aide sans ses différents tours. En 1886, lors de la tournée européenne de Grice, il arrive à Paris.

En 1870 la France a perdu la guerre face à la Prusse ce qui la pousse à se lancer dans l’aventure coloniale en Afrique et en Asie. Le public commence à se désintéresser du théâtre pour s’intéresser au music-hall, aux cafés concert, aux foires, aux fêtes foraines et aux cirques. Ainsi entre 1870 et 1914 toutes les plus grandes villes de France ont un cirque permanent.

Noiriel estime que lorsque Rafael arrive à Paris, il y a seulement quelques centaines de noirs qui y vivent qui travaillent dans l’artisanat, le petit commerce et la domesticité. Ils y sont appelés des « nègres », Bamboula ou Chocolat. Bamboula renvoie à leur physique prétendument simiesque et le second rappelle l’esclave apportant des boissons exotiques à son maître.  Chocolat fait aussi référence à un autre préjugé ; le noir serait mal-lavé, mal blanchi.

Vers 1888, Rafael quitte Grice et se lance au Nouveau-Crique une pantomime « La noce de Chocolat« . L’immense succès de ce spectacle le consacre comme l’un des principaux clowns de Paris. Lorsque Grice a recruté Rafael il l’a maquillé en noir. Il est donc décrit comme un pierrot noir non pas à cause de sa « race » mais à cause de sa couleur de peau que le spectateurs voient comme un déguisement. L’idée du mariage mixte ne pose donc pas de problème et la question raciale ne sera jamais évoqué dans les journaux évoquant le spectacle.


Comme le dit Noiriel « à cette époque, les préjugés sur les « nègres » ne sont pas encore constitués en stéréotypes« . Si l’on observe l’affiche, on voit que les traits de Chocolat ne sont pas caricaturaux. Il faut comprendre que lit Noiriel.  Rafael est perçu comme constamment grimé et donc toujours en représentation.

Vers 1894-1895, son duo avec Foottit se met en place ; on les voit partout et font des numéros pour des sociétés savantes, des banquets, des assemblées générales. Ils seront filmés par les frères Lumière, Toulouse-Lautrec les prend pour modèles. ils sont mis en scène dans des publicités et des jeux pour enfants.

A partir de 1880, la question coloniale avait  pris une place de plus en plus importante dans la vie politique française ; les préjugés deviennent des stéréotypes servant à justifier la position colonisatrice de la France. le rôle de Rafael va donc évoluer.

Dans le duo Foottit et Chocolat, le leitmotiv des spectacles est le suivant ; le noir est humilié est frappé par le blanc ce qui sert au fond à justifier la violence blanche coloniale face au noir passif et soumis qu’on éduque à coups de claques. Le genou plié qui représentait quelques années plus tôt le noir fuyant vers sa liberté représente désormais la crainte du nègre face à la force menaçante du blanc.

En 1905, le contrat de Foottit et Chocolat n’est pas renouvelé et Rafael ne trouve pas tout de suite de nouvel engagement. Le cirque connait de toutes façons une certaine désaffection avec l’apparition du cinéma et des sports comme le cyclisme et la boxe.

Le duo avec Foottit sera brièvement reformé en 1908 où ils deviennent des clowns pour enfants ce qui est une idée nouvelle du début du 20eme ; le clown étant auparavant un spectacle pour adulte.
Rafael deviendra ensuite surtout un clown pour enfants et travaillera beaucoup dans les hôpitaux où il inventera la fonction de clown-thérapeute.

En 1911, il s’essaie au théâtre et on lui propose d’incarner  un homme noir sportif et séducteur. Le stéréotype du noir battu lui collant à la peau, cette pièce sera un échec. En effet la France avait vu apparaître les spectacles de danse de « cake-walk ». Auparavant il était inconcevable d’imaginer qu’un noir savait danser et les minstrels ne rappelaient jamais leurs origines afro-américaines. Les premières fois où l’on avait vu Rafale danser, on avait d’ailleurs qualifier ses gestes de « simiesque ». Le cake-walk eut un énorme succès mais fit émerger de nouvau stsréotypes ; celui de l’homme noir doué pour la danse et le sport.

On perdra ensuite la trace de Rafael et il mourra à Bordeaux en 1917 où il sera enterré à la fosse commune.

La « naissance » du racisme

Avant la fin du 19eme siècle, Noiriel nous explique que le mot « race » désigne surtout une nation ou un peuple. La politisation de la question raciale apparait avec deux discours diamétralement opposés, le discours antisémite de Drumont et celui de quelques intellectuels haïtiens comme Beniton Sylvain.

C’est au moment de l’affaire Dreyfus, en 1898, que des mots comme xénophobie et racisme vont apparaître pour être utilisés de façon plus usuelle. Pour Barrès par exemple, le racisme est un atavisme contre lequel on ne peut rien, qui sert par exemple à défendre la « race française » comme ceux qui la menacent.

Ainsi on peut lire en 1903 dans un journal  » : « Le « racisme » qu’est ce que cela ? Voilà n’est il pas vrai, un mot singulier, un mot nouveau ? Ne vous effrayez pas. Ce mot singulier est très exact. Il vient d’un mot que vous connaissez fort bien, le mot race« .

Le racisme est donc à la base synonyme de nationalisme. L’affaire Dreyfus est le moment d’exalter les valeurs françaises face aux autres pays ; on dénonce ainsi les lynchages ou la ségrégation aux Etats-Unis. Mais ces dénonciations permettent aussi de montrer au public français deux personnages antagonistes, le blanc et le noir. La question raciale s’empare encore davantage de la presse avec l’élection en 1898 de Hegesippe Legitimus, un noir élu député de la guadeloupe. Son arrivée à Paris est saluée par une presse extrêmement hostile qui multiplie les articles racistes où se pose la question d’une guerre raciale. Legitimus incarne le noir désirant mettre à terre la race blanche.

Dans sa conclusion, Noiriel propose une hypothèse intéressante. Il postule qu’il n’est pas étonnant que nous n’ayons conservé de Rafael que l’image proposé par Toulouse-Lautrec, celle d’un nègre humilié par un blanc ; c’est encore une manière de priver le dominé de capacité de résistance et d’action.