Jazz sur la Croisette. Cannes 1958. Le film de Jean-Christophe Averty

Publié le 13 avril 2013 par Assurbanipal

Festival Jazz et cinémas

MK2 Grand Palais

Vendredi 12 avril 2013. 20h.

" Le festival de Jazz de Cannes. 1958 ".

Un film de Jean-Christophe Averty. 1958.

RTF/INA

Lectrices observatrices, lecteurs scrutateurs, vous avez déjà noté la chronique du double CD " Jazz sur la Croisette " qui relate le seul festival de Jazz à s'être déroulé à Cannes, Alpes Maritimes, Provence Alpes Côte d'Azur, France, du 8 au 13 juillet 1958.

Toujours grâce à l'Institut National de l'Audiovisuel et donc à nos impôts, taxes et contributions, heureux contribuables français, voici qu'est présenté restauré le premier festival et même le premier concert de Jazz filmé par la télévision française. C'était en 1958 et c'est l'oeuvre de Jean-Christophe Averty, évidemment. En France, nous devons le Jazz en concert à la radio à André Francis, à la télévision à  Jean-Christophe Averty (" Averty, c'est moi " comme l'a écrit Martial Solal en son hommage). Merci aux cinémas MK2 de l'avoir diffusé dans le cocon de sa salle du Grand Palais à un prix (7 €) et à une heure (20h) parfaitement raisonnables.

En 1958, le festival de Jazz de Cannes fut organisé conjointement avec celui d'une autre station balnéaire, Knokke-le-Zoute, en Belgique, sur la Mer du Nord. La conjonction des deux événements permit de constituer une affiche fabuleuse allant du New Orleans au Hard Bop et au Cool, de Sidney Bechet à Donald Byrd et Stan Getz en passant par Dizzy Gillespie et Ella Fitzgerald. Sans oublier deux saxophonistes ténors de légende réunis: Coleman Hawkins et Don Byas.

En séance d'ouverture, le soleil, la Mer Méditerranée, la plage, les jolies filles qui bronzent et Coleman Hawkins en fond sonore. Elle est pas belle, la vie? Les concerts avaient lieu au Palais des Festivals, celui du cinéma. Pour que des concerts de Jazz en France aient lieu en plein air, au bord de la mer, comme à Newport, il fallut attendre Antibes-Juan-les Pins et 1960, rejoint en 1974 par Nice.

Que voit-on d'autre dans ce film? Sidney Bechet, toujours ébouriffant de puissance et de swing, accompagné par de jeunes musiciens français qui sont plutôt ses fans que ses sidemen. Dès que Sidney prend un solo, il met tous ces blanc-becs à l'amende. Ella Fitzgerald arrive à l'aéroport de Nice où elle est accueillie comme une Reine. Logique. Si Louis Armstrong était le Roi du Swing (titre usurpé par Benny Goodman), Ella en était la Reine. Puis elle chante sur scène " How long has this been going on? " et c'est le grand frisson. 

Ensuite viennent Coleman Hawkins et Roy Elridge dit " Little Jazz " parce qu'il était petit et qu'il était le Jazz incarné, le lien, à la trompette, entre le jeu de Louis Armstrong et celui de Dizzy Gillespie. Si Adolphe Sax a inventé le saxophone ténor, c'est Coleman Hawkins dit " Hawk " ou " Bean " qui a inventé la façon de s'en servir. Voir et entendre Hawkins et Elridge jouer sur scène ensemble, quelle claque! Interviewés, les musiciens se réjouissent de l'accueil, de l'ambiance, d'avoir pris le bateau jusqu'à  l'île Sainte Marguerite, salué la mémoire de Nicola Paganini ( qu'Ella Fitzgerald chanta d'ailleurs) et dégusté de la bouillabaisse ce qui leur inspira un " Bouillabaisse Blues " d'anthologie sur l'île au milieu des vacanciers.

Ensuite apparaît Dizzy Gillespie en costume blanc et lunettes noires accompagné d'une rythmique où Martial Solal, au piano, est déjà en train de construire son univers lorsqu'il prend un solo tout en offrant un solide et stimulant soutien comme accompagnateur. Quant à Dizzy Gillespie, en 1958, il est dans une forme olympique, chaud bouillant, rythmique, pyrotechnique et nous tenant chaud à l'âme. 

La première émission se termine par un trumpet summit avec Dizzy Gillespie, Bill Coleman, Teddy Buckner, Roy Elridge aux trompettes. La rythmique est la même que pour Dizzy (Martial Solal, Arvell Shaw, JC Heard) et Dizzy reste le boss.

La deuxième émission commence par une jam session sur " Perdido " (Juan Tizol) mélangeant musiciens français et américains. Don Byas (sax ténor) et Teddy Buckner (trompette) mènent les débats avec classicisme et efficacité. Vient ensuite Albert Nicholas, clarinettiste New Orleans moins puissant que Sidney Bechet mais fort élégant et intéressant à écouter.

Sidney Bechet revient sur scène avec un groupe de musiciens de son niveau puisqu'il est accompagné de Vic Dickenson (trombone), Teddy Buckner (trompette), Sammy Price (piano), Arvell Shaw (contrebasse), JC Heard (batterie). Ils improvisent sur " Sweet Georgia Brown " et nous infligent une sévère leçon de Swing. Nom de Zeus, ça déménage! La première fois que John Coltrane écouta Sidney Bechet jouer du sax soprano, il demanda au critique qui lui avait fait écouter l'album: " Est-ce que ces vieux types swinguaient tous autant? ". Pas tous, juste Sidney que Duke Ellington considérait comme un soliste de valeur supérieure à Louis Armstrong.

Retour au calme avec une interview de Jean Cocteau, premier Président de l'Académie du Jazz en France. Cocteau explique qu'il fut le premier à considérer le Jazz comme une musique de chambre et non plus comme une musique de danse. Il reproche d'ailleurs aux spectateurs leurs débordements d'enthousiasme car ils tapent des mains et des pieds pendant que les musiciens jouent. Sauf que l'ami Jean ne tient pas compte du fait que les musiciens peuvent chercher cette réaction du public. Le Jazz est de la poésie qui soulève l'enthousiasme. Ce n'est plus une machine à rythme car les musiciens y ont ajouté de l'expression, de la sentimentalité (il ne dit pas sentimentalisme car il est évident que le sentimentalisme est propre à la musique de variété et étranger au Jazz). Le Jazz est le concert de chambre absolu avec des solistes incomparables. Bien parlé, Monsieur Cocteau. 

La preuve que le Jazz est cette alliance de virtuosité technique et de sentimentalité avec le quintet de Donald Byrd (trompette) et Bobby Jaspar (flûte) qui suit aussitôt l'interview de Jean Cocteau. Ensuite,Kenny Clarke interviewé nous explique sa joie de jouer avec Martial Solal à Paris et de retrouver Dizzy Gillespie sur scène à Cannes. Cela s'entend tout de suite quand Dizzy revient sur scène avec Martial Solal, Arvell Shaw et Kenny Clarke.

Pour finir, un tenor saxophone summit avec Stan Getz, Guy Laffitte, Barney Wilen, Don Byas, Coleman Hawkins par ordre d'apparition sur scène. La rythmique est composée de Martial Solal, Pierre Michelot et Kenny Clarke mais elle n'est là que pour faire briller les solistes. Il n'y a pas de discours cohérent. Chaque saxophoniste fait son numéro chacun son tour. C'est le jeu. Barney Wilen n'a que 21 ans mais c'est déjà un crack, sidérant d'aisance. Il n'y a pas de manchot là dedans même si Guy Laffitte, fidèle disciple du Hawk est le moins original ce qui ne signifie pas qu'il ne soit plaisant à entendre.

Bref, écouter comme voir ces enregistrements revient pour le spectateur à se livrer à une orgie de Swing en toute légalité, sans aucun risque pour la santé. Cure vivement recommandée. Elle n'est pas remboursée par la Sécurité Sociale bien que ses effets antidépresseurs soient éprouvés et garantis depuis maintenant 55 ans. Précision: lectrices observatrices, lecteurs scrutateurs, sachez que le double album contient beaucoup plus de musique que le film.

Voici Ella Fitzgerald chantant " Midnight sun " lors du festival de Jazz de Cannes 1958. Quelle robe! Quelle voix! Ella, elle l'a!