Faut-il laisser le "devoir de mémoire" entre les mains des militaires ?

Par Mbertrand @MIKL_Bertrand

A la lecture d'une  proposition de loi déposée récemment à l'Assemblée nationale, nous avons découvert une nouvelle facette surprenante de la politique mémorielle nationale :

"la vocation de la réserve citoyenne est de contribuer, au titre d’un engagement volontaire et bénévole, au renforcement du lien entre la société civile et les forces armées, au développement de l’esprit de défense au sein de la communauté nationale, ainsi qu’au devoir de mémoire, et, le cas échéant, de fournir les renforts nécessaires à la réserve opérationnelle".

Selon le site du ministère de la Défense, la réserve citoyenne est constituée "de volontaires agréés auprès d'autorités militaires en raison de leurs compétences, de leur expérience, mais aussi de leur intérêt pour les questions relevant de la défense nationale". Elle "a pour mission principale de contribuer à la diffusion de l'esprit de défense et au renforcement du lien armées-Nation".

Visite du camp militaire de Suippes par un réserviste (source : ministère de la Défense)

Crédits : Christophe Fiard/DICoD - Christophe Fiard/DICoD

Vers une véritable politique mémorielle nationale

Cette information laisse songeur quant à la logique de la politique mémorielle nationale. 

D'abord, est-il raisonnable de parler encore aujourd'hui de "devoir de mémoire" dans le corpus législatif français ? Les innombrables travaux d'histoire sur cette question ont bien montré les limites d'une telle expression qui, si elle se justifie dans un contexte associatif, devrait faire l'objet d'une utilisation parcimonieuse par les autorités publiques, et a fortiori, par le législateur.

Nous avons trop souvent relevé  sur ce blog une utilisation regrettable de termes confus dans le domaine mémoriel qui relève d'une absence de réelle réflexion sur la question. Il serait peut-être temps pour l'Etat français de s'interroger sur les enjeux et les objectifs de sa politique mémorielle : s'agit-il uniquement d'apporter une réponse progressive aux différentes revendications mémorielles ? Ou bien est-il possible d'envisager l'élaboration d'un véritable projet national ?

Pour une mémoire nationale libérée de son passé militaire

L'évocation plus particulièrement du devoir de mémoire censé être entretenu par les volontaires de la réserve citoyenne est ensuite révélatrice d'une absence d'actualisation politique, scientifique et sociale dans ce domaine.

Depuis son apparition, la politique mémorielle a été traditionnellement rattachée au ministère de la Défense par l'intermédiaire des Anciens Combattants. Il s'agissait alors d'entretenir le souvenir des soldats Morts pour la France. Or, depuis quelques années, on observe un progressif détachement des questions mémorielles et militaires. Certes, les militaires tombés au combat continuent d'être honorés, mais de nombreuses autres mémoires, majoritairement civiles désormais, sont apparues et ont obtenu une reconnaissance officielle.

N'est-il donc pas possible d'envisager lors du prochain remaniement ministériel l'apparition d'un secrétariat d'Etat aux Mémoires nationales rattaché au ministère de la Culture plutôt qu'à celui de la Défense ?

Cette distinction a d'ores et déjà été mise en oeuvre par des grandes villes françaises qui se sont dotées d'adjoints ou de chargés de mission dédiés aux questions mémorielles. Elle permet d'élaborer  une politique mémorielle plus cohérente et capable de coaliser plus facilement une multiplicité d'acteurs concernés par la question mémorielle (administrations, associations, mais aussi enseignants, scientifiques, élus...).

Quoiqu'il en soit, il devient urgent pour l'Etat de réfléchir à la gestion rationnelle de cette inflation mémorielle qui s'exprime désormais dans tous les domaines et pour laquelle les autorités nationales n'ont pas encore adopté de stratégie cohérente.