Jacob Philipp Hackert (Prenzlau, 1737-San Pietro di Careggi, 1807),
Feu d'artifice au Château Saint-Ange à Rome, 1775
Gouache sur papier, 44,7 x 58,2 cm, Weimar, Klassik Stiftung
Le catalogue des œuvres écrites pour deux pianoforte par Mozart est très réduit, mais il contient quelques pièces tout à fait dignes d'intérêt qui ont d'ailleurs attiré de célèbres pianistes, au nombre desquels ont peut citer Martha Argerich, Christian Zacharias ou André Prévin. Sur instruments anciens, le choix est moins large, malgré les réalisations de Paul Badura-Skoda et Jörg Demus ou de Robert Levin et Malcolm Bilson, pas forcément abouties ou difficilement trouvables. Le disque qui réunit aujourd'hui Alexei Lubimov et Yury Martinov dans des pages plus ou moins connues composées pour cette configuration instrumentale est donc particulièrement bienvenu.
La Sonate KV 448 qui ouvre ce récital est une œuvre de parade, née de l'imagination conquérante d'un Mozart de 25 ans, fraîchement installé à Vienne comme musicien indépendant après sa rupture avec Salzbourg et le prince-archevêque Colloredo qu'il déclare « haïr (…) jusqu'à la frénésie » dans la lettre du 9 mai 1781 scellant définitivement le divorce entre les deux parties, et qui a besoin de se faire une place dans une cité où il ne manque pas de concurrents. Il est très probable que cette page ait créée lors d'un concert privé, le 23 novembre de cette année de la prise d’indépendance du compositeur et que ce dernier l'ait interprétée en compagnie de son élève Josepha Auernhammer, dont le fumet l'indisposait mais qui, selon ses propres termes, « jouait à ravir. » Tout au long de sa Sonate, Mozart, tout en restant totalement maître de son inspiration, ne va pas lésiner sur les effets pour susciter l'étonnement et l'admiration, qui s'installent dès les premières mesures de l'Allegro con spirito initial, théâtral en diable et d'une virtuosité ébouriffante et crânement assumée qui ne fait relâche dans l'Andante central au sol majeur tendre et chantant que pour repartir de plus belle dans un Allegro molto final pour le moins survolté. Solidement campée dans un ré majeur triomphant, cette œuvre plus subtilement construite qu'il y paraît dégage une énergie voire une euphorie communicatives, un élan né de l'enthousiasme qui saisit en imaginant les chemins potentiellement ouverts que l'on a hâte de parcourir. En jouant sur les capacités dynamiques et les couleurs des pianos de son époque, qu'il connaissait parfaitement, Mozart obtient une pâte sonore d'une richesse presque orchestrale qui séduit autant qu'elle en impose.
Mieux vaut être averti d'emblée : si vous aimez le Mozart plutôt policé qui a fait la gloire de décennies
d'enregistrements, certains presque mythiques aujourd'hui, ce disque risque fort de vous désarçonner, voire de vous irriter. En effet, dès les premières secondes, Alexei Lubimov et Yury
Martynov envoient valser bonnes manières, bonbonnières et perruques poudrées pour proposer un Wolfgang sanguin, sûr de de lui et de son talent, et livrer une Sonate KV 448
d'anthologie, à la sève puissante, jouant sans complexe la carte du brillant et d'une certaine forme d'extériorité dans les mouvements extrêmes, ce qui est absolument conforme à l'esprit de
l’œuvre. On aurait pu légitimement craindre, dans ces conditions, que les passages qui exigent plus d'intériorité soient abordés de façon superficielle
Il m'apparaît assez évident que l'appréciation que l'on pourra porter sur cet enregistrement aux partis-pris parfois tranchés variera grandement en fonction des habitudes d'écoute de chacun et de sa tolérance aux instruments employés, les mêmes, rappelons-le, que ceux que le compositeur avait à sa disposition. Je le considère, pour ma part, comme un excellent disque Mozart et de pianoforte, et le recommande chaleureusement à tous ceux qui ne se contentent pas de la routine, fût-elle luxueuse et adoubée par la critique officielle, mais goûtent une approche à la fois très directe et très pensée de la musique du parfois turbulent Wolfgang.
Alexei Lubimov et Yury Martynov, pianoforte (Vienne, c.1785 et c.1790)
1 CD [durée totale : 75'47"] Zig-Zag Territoires ZZT306. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Sonate KV 448 : [I] Allegro con spirito
2. Arrangement du Quatuor KV 493 : [II] Larghetto
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Wolfgang Amadeus Mozart : Pièces pour deux pianofortes (Pieces for two Fortepianos) par Alexei LubimovIllustrations complémentaires :
Hieronymus Löschenkohl (Elberfeld, 1753-Vienne, 1807), Silhouette de Mozart, 1785. Gravure sur cuivre, Vienne, Mozarthaus (© Wien Museum)
La photographie d'Alexei Lubimov et Yury Martynov est de Liza Katrich, utilisée avec autorisation.