Qui sont les figures de l'austérité en Europe ?

Publié le 27 avril 2013 par Labreche @labrecheblog

L’austérité commencerait-elle à vaciller en Europe ? Les évolutions récentes, l’effondrement des cautions intellectuelles, la défection de certains responsables politiques, fragilise le front de la rigueur, ce que certains affameurs regrettent déjà.

Le chemin restera cependant long avant de voir appliquée une politique de croissance digne de ce nom. Les responsables de la politique infligée au continent, eux, n'ont guère de souci à se faire. Ils ne sont d'ailleurs pas toujours très connus du grand public, et du moins leur véritable bilan est lui tenu sous silence y compris par la presse et par leurs opposants. Quant à leur avenir, la plupart d'entre eux le ménage et ont déjà modéré leurs discours en espérant échapper aux critiques et avoir pris à temps leurs distances avec le consensus austéritaire qu'ils ont tant soutenu.

Voici donc une petite galerie de portraits, pour mieux saisir le rôle de chacun dans la catastrophe actuelle, et dans ces choix politiques qui ont déjà condamné durablement des millions d’Européens à souffrir d’un chômage durable, de perspectives d’avenir définitivement réduites, et l’ensemble des pays du continent à voir leur potentiel de croissance réduit à long terme.

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Angela Merkel, seconde Dame de fer
Chancelière allemande (depuis 2005)

La disparition de Margaret Thatcher viendrait presque éveiller de l’affection pour celle qui mit le Royaume-Uni à genoux. Au sein de la zone euro et par le jeu de la monnaie unique, l’actuelle chancelière allemande a en effet réussi à appliquer les choix austéritaires bien au-delà de sa terre d’élection, réservant d’ailleurs les mesures les plus rudes aux partenaires de l’Allemagne. Et c’est là le principal trait politique d’Angela Merkel : élue en Allemagne, elle aura toujours estimé et continue de penser que sa responsabilité s’étend aux réformes d’autres nations. Sans jamais nier que ces réformes sont faites dans l’intérêt premier de l’Allemagne.


Angela Merkel n’a pourtant pas toujours été une référence politique. Chimiste de formation, est-allemande convertie des jeunesses libres de RDA à la démocratie chrétienne après 1989, Merkel fut longtemps une représentante d’un libéralisme débridé qui avait du mal à convaincre. Sous Schröder, elle se fit ainsi remarquer pour les réformes sauvages du marché du travail qu’elle prônait (et finirait par appliquer en grande partie), mais également pour son adhésion à l’invasion de l’Irak par les troupes américaines, ou encore lorsqu’elle montra son incapacité à distinguer revenu net et revenu brut lors d’un débat télévisé. Aujourd’hui, Angela Merkel affirme toujours ne pas comprendre ce que l’on peut reprocher à une politique visant simplement l’équilibre budgétaire. Et si le problème de Mme Merkel était un problème de compétence économique ?

« Nous avons besoin de l’Europe pour que l’Allemagne aille bien. Que [les autres pays] fassent leurs devoirs ! »
(Angela Merkel, 14 novembre 2011)

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José Manuel Barroso, l'homme qui n'aimait pas la démocratie
Président de la Commission européenne (depuis 2004)

Son discours du 22 avril est peut-être le principal signal d’un tournant amorcé des politiques d’austérité vers une politique de croissance, mais on en est encore loin. D’autant que les annonces effectuées sont assorties de précautions, Barroso affirmant que les politiques d’équilibre budgétaire sont « fondamentalement justes » mais ne bénéficient pas du « minimum de soutien politique et social » nécessaire pour leur réussite (ah, peuple ignare qui ne comprend pas l’importance de tes souffrances pour le bien commun !). Le plus étonnant demeurant que, par son timide rejet de l’austérité, Barroso fasse comme s’il découvrait tout juste la politique qu’il applique depuis des années, et n’a pas hésité à défendre avec véhémence par le passé.

Il faut dire que José Manuel Barroso a construit sa carrière en véritable skipper, sachant toujours tirer parti du vent : maoïste dans les années 1970, il devient membre du gouvernement socialiste portugais dans les années 1980. Premier ministre en 2002, il se fait contre tous ses engagements l’applicateur zélé de la politique de rigueur requise par l’UE. Sans espoir de réélection, Barroso quitte son poste avant terme, et poursuit sa carrière à Bruxelles où l’électeur n’existe pas. Non sans avoir auparavant joué un rôle moteur dans l’offensive irakienne en 2003, en invitant Bush, Blair et Aznar aux Açores pour finaliser le plan d’invasion. Mais pour un homme que l’on sait depuis 2010 préférer un système non démocratique en ce qu’il permet d’éviter de prendre des décisions trop influencées par les choix déraisonnables de la masse, on ne s’étonnera de rien.

« Les décisions prises par les institutions les plus démocratiques sont très souvent mauvaises. »
(José Manuel Barroso, 1er octobre 2010)

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Olli Rehn, chasseur d’économistes
Vice-président de la Commission européenne, Commissaire aux affaires économiques et monétaires (depuis 2010)

La politique européenne de l’austérité est avant tout une politique de l’ombre, et la critique de la politique économique de l’UE ne peut manquer de s’étendre à la critique du fonctionnement institutionnel de l’Union, gouvernée dans les faits par des personnes cooptées et échappant à tout contrôle démocratique. Les seules élections remportées par Olli Rehn durant sa carrière furent celles de conseiller municipal d’Helsinki et de parlementaire finlandais et européen, son dernier poste élu ayant été remporté en 1995. Commissaire à l’élargissement au sein de la commission Barroso dès 2004, il passe aux affaires économiques en 2010.

Là, Olli Rehn se présente très rapidement comme un tenant passionné de l’austérité. Une passion personnelle : conseiller spécial du premier ministre finlandais Esko Aho en 1992-1993, Rehn avait joué un rôle décisif, déjà dans l’ombre, pour l’application d’une politique de réduction spectaculaire des dépenses publiques en pleine crise économique. Une catastrophe, dont les dégâts n’avaient pu être réparés qu’après le changement de majorité aux élections de 1995 — une éventualité démocratique qui ne s’applique pas à l’UE. Affameur patenté, Olli Rehn a désigné son ennemi : les économistes. Sa lettre de février 2013 aura marqué l’histoire de la politique européenne. Rehn y accuse les études des économistes n’allant pas dans le sens de l’austérité de nuire à la confiance générale. La récession ne serait ainsi pas la conséquence de décisions politiques, mais d’articles scientifiques.

La tartufferie est un art qu’Olli Rehn sait pousser très loin. Ses dernières déclarations le prouvent : sentant le vent tourner, le Commissaire affirme désormais que la rigueur budgétaire peut être assouplie. N’hésitant pas à nier l’évidence (l’explosion des taux d’endettement dans presque tous les pays touchés par les mesures d’austérité), il affirme cependant que cette évolution est permise par les mesures appliquées dans les années récentes.

« Ce débat ne nous aide pas, et risque d’éroder la confiance que nous avons difficilement bâtie ces dernières années dans de nombreuses réunions nocturnes. »
(Olli Rehn, 13 février 2013)

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David Cameron & George Osborne, duo de choc
Premier ministre du Royaume-Uni / Chancelier de l’échiquier (depuis 2010)

C’est un véritable duo bien rodé qui arrive au pouvoir en 2010, Cameron et Osborne représentant alors l’équivalent conservateur du duo Blair-Brown en 1997. Leur ligne économique : l’austérité. Initié en 2010 le programme en cours affichait des intentions spectaculaires qui devaient selon la doctrine austéritaire rapidement amener une explosion de la croissance économique : suppression de 370 000 emplois publics depuis 2010, coupes budgétaires, notamment dans l’enseignement et les programmes sociaux… Une approche purement pré-keynésienne selon Martin Wolf du Financial Times, l’un des analystes les plus ouvertement incrédules face à cette politique menée d’une façon totale, sans alternative, et néanmoins vouée à un échec certain.

Le problème, c’est que les résultats de cette politique sont bel et bien ceux que l’on pouvait attendre : une courbe de croissance plate, une troisième période de récession en cinq ans évitée de peu sur les derniers mois, et malgré tout la perte du sacro-saint triple A. De quoi doucher toutes les prédictions optimistes qui soutenaient la politique de Cameron. La popularité de David Cameron et George Osborne est en chute libre, et il ne se trouve plus que 6% des britanniques pour accorder du crédit à leur politique économique.

Si l’avenir politique de Cameron est compromis, ce n’est rien à côté de George Osborne, devenu l’un des chanceliers de l’échiquier les plus impopulaires dans l’histoire récente. Riche héritier d’une vieille famille de l’aristocratie anglo-irlandaise, curieusement inexpérimenté à sa prise de fonctions, il est désormais ouvertement moqué comme un incompétent notoire, voire un quasi-idiot.

« Il est absolument clair que le plan de réduction des déficits n’est pas responsable [de la dépression]. En fait, c’est plutôt l’inverse. […] Il n’y a pas d’alternative. »
(David Cameron, 7 mars 2013)

« Nous avons apporté la stabilité dont le pays avait besoin, et suscité une confiance universelle à l’étranger »
(George Osborne, 11 mai 2011)

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Neelie Kroes, l'économie dans le marc de café
Vice-présidente de la Commission européenne, et Commissaire à l’économie numérique (depuis 2010)

Parmi les piliers de la Commission, commissaire à la concurrence entre 2004 et 2010, désormais chargée de l’économie numérique, Neelie Kroes fait partie des initiateurs de la politique d’austérité qui, depuis quelques semaines, tiennent des discours semi-schizophrènes contre leurs propres choix politiques. Son portefeuille ne l’occupant guère, Neelie Kroes joue bien plus souvent un rôle plus informel de représentation de la Commission, avec une franchise qui a le mérite de la clarté : ainsi n’hésite-t-elle pas à affirmer que la cure d’austérité impliquée à la Grèce est non seulement souhaitable, mais insuffisante…

Issue de la droite libérale hollandaise (ministre, elle y avait mené dans les années 1980 la privatisation de la poste et de la téléphonie), Neelie Kroes fut très critiquée à sa nomination au sein de la Commission, en 2004, en raison de risques de conflits d’intérêts du fait de son passé au sein de nombreuses grandes entreprises dont Volvo, Thales ou Lucent, ainsi que pour des soupçons de corruption et de liens mafieux, soupçons qui ne furent jamais vraiment clarifiés. Enfin, parmi les particularités de Mme Kroes, celle-ci a l’habitude de consulter des astrologues pour être conseillée, principalement dans ses décisions professionnelles. Le gouvernement grec aurait-il dû se tourner à son tour vers la Pythie ?

« [À propos de la dette grecque.] Trop peu de coupes budgétaires, trop peu de restructuration. »
(Neelie Kroes, 7 février 2012)

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Christine Lagarde, le triomphe de l’incompétence
Directrice générale du FMI (depuis 2011)

Comment une avocate et femme politique française est-elle devenue en quelques années directrice du FMI ? Ministre déléguée au commerce extérieur en 2005, puis ministre de l’agriculture en 2007, elle débarque à Bercy presque par hasard, suite à un jeu de chaises musicales post-électoral en juin 2007. Elle qui déclarait (entre autres éclairs de génie) à l’été 2007, alors que la crise des subprimes se préparait, « le gros de la crise est derrière nous », ou encore qui recommandait aux Français d’utiliser le vélo face à la hausse du prix de l’essence, est encore une fois favorisée par le sort lorsqu’elle succède à Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI, suite au scandale du Sofitel, officiellement nommée le 5 juillet 2011. Une nomination présentée comme le triomphe de la compétence pour celle dont on oublie le peu reluisant bilan (bouclier fiscal à 50%, loi TEPA, entre autres), et qui se vante presque de ne rien comprendre aux articles et interventions des économistes.

Elle qui prônait la rigueur en France la défend maintenant ailleurs, notamment en Grèce. Il faut dire que Mme Lagarde n’a pas de compassion pour les Grecs. Comme elle le déclare au Guardian en 2012, ceux-ci feraient mieux de payer leurs impôts (notons qu'en tant que diplomate, Christine Lagarde en est exemptée) : « Je préfère penser aux petits enfants du Niger, qui ont école deux heures par jour et partagent une chaise à trois […] parce que je crois qu’ils ont plus besoin d’aide que les gens à Athènes. ». Citoyens du monde, consolez-vous : il y a toujours plus malheureux que soi…

« Dans certaines réunions, j’interromps les intervenants et je leur dis : "Stop, vous m’avez perdue. Vous devez utiliser des termes simples que l’homme de la rue peut comprendre."»
(Christine Lagarde, Time daté du 8 avril 2012)

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On pourrait poursuivre pendant longtemps cette galerie. On pourrait y ajouter plusieurs responsables allemands comme Wolfgang Schaüble, ministre de l’économie qui voir les autres pays européens comme de mauvais élèves jaloux de premier de la classe (la comparaison scolaire a décidément du succès en Allemagne - voir plus haut, Angela Merkel), ou encore Jens Weidmann, président de la Bundesbank depuis 2011, favorable à des politiques monétaires restrictives pour contrôler l’inflation en Allemagne (les autres pays n’ayant qu’à s’aligner par le biais de politiques d’austérité), et, en grand démocrate, menaçant même de démissionner si les politiques appliquées par la BCE se montraient trop souples. On ne peut à vrai dire guère s'étonner que des responsables allemands, à la tête d'institutions allemandes, privilégient les intérêts allemands ; il est en revanche regrettable de confier à l'Allemagne un rôle de décideur au sein de l'UE. À l'inverse, il faudrait aussi citer les chefs de gouvernement, exécutants dévoués et diligents des décisions prises entre Bruxelles et Berlin : Mario Rajoy en Espagne, Mario Monti en Italie, Lucas Papademos en Grèce, Pedro Passos Coelho au Portugal… Les choix plus clairvoyants de certaines figures moins acquises aux visées austéritaires doivent aussi être mis à leur crédit, comme à celui de Mario Draghi par exemple, à la tête de la BCE, bien que les actions mises en œuvre (baisse des taux d’intérêt, rachats d’obligations) demeurent insuffisantes et que sa position vis-à-vis des politiques d’austérité ne soit pas des plus claires.

Quoiqu’il en soit, certains traits dominent cette galerie de portraits. Malgré leurs responsabilités décisives, plusieurs des responsables susnommés ont acquis leurs fonctions sans contrôle démocratique, et se sont même parfois montrés ouvertement critiques contre la démocratie, ainsi que contre les économistes et leurs recherches nuisibles (Rehn) ou incompréhensibles (Lagarde). Ennemis des libertés, ces hommes et femmes se font aussi remarquer pour leur cynisme vis-à-vis des peuples. Enfin, on ne peut qu’être atterré par l’incompétence notoire de la plupart de ces différents responsables, par leur bilan désastreux dans leurs postes précédents (c’en est presque une règle tant cela est général), voire à leur manque patent de qualification en matière économique (comme pour George Osborne ou Christine Lagarde).

Cette galerie n'empêchera pas ces quelques sombres personnages de poursuivre leur brillante carrière comme gouvernants, ou peut-être en tant dirigeants dans le secteur privé. Mais elle doit être avant tout une alerte. Aucun pays, aucun continent ne peut souhaiter être aussi mal gouverné, sans qu'aucun choix ne reflète la volonté des Nations souveraines. La gestion politique de la crise actuelle est aussi, et peut-être avant tout, un signe de l'échec démocratique de la construction européenne.


Crédits iconographiques : 1. © La Tribune/Patrick Chappatte | 2. © Reuters/Thomas Peter | 3. © Reuters | 4. D.R. | 5. D.R. | 6. © Sebastiaan ter Burg (via Flickr) | 7. D.R. | 8. © Johannes Simon/Getty