Ce qui m’intéresse dans le shôjo ? C’est une bonne question ça !

Publié le 28 avril 2013 par Paoru

Cette semaine je participe avec quelques autres blogueurs à la Semaine du shôjo, lancée par le site le Club Shôjo. Ce projet d’écriture repose sur une question tout bête : « Quelles sont les caractéristiques d’un bon shôjo selon toi ? Qu’est ce qui t’intéresse dans les shôjos ? »

Je me suis rapidement souvenu, en réfléchissant à cet article, que j’ai toujours préféré parler de thématiques que de lectorat. Car, rappelons le, le shôjo manga cible les adolescentes. Seulement, à 34 ans révolu et avec ma tête de viking pas fraiche du dimanche matin, je ne me sens que très moyennement dans la peau d’une jeune fille en fleur voyez-vous…

Pour découvrir comment ces œuvres transcendent cette catégorie et ce qui séduit bien au delà de la demoiselle en découverte de ses premiers émois, je suis parti dans un petit voyage dans le temps, à la recherche de mes premières rencontres avec le genre, pour comprendre pourquoi j’en lis et ainsi répondre aux questions posées.

C’est parti, bonne lecture !

Acte 1 : tout a commencé par un hors-sujet…

Quitte à en faire crier quelques uns, allons y franchement : j’ai commencé le shôjo par les adaptations animés de Maison Ikkoku, Touch, Cat’s Eyes et Kimagure Orange Road avant, quelques années plus tard, d’en venir au format papier avec Video Girl Ai. Et oui, mon histoire avec le shôjo a commencé par un vaste hors-sujet puisque ces titres n’appartiennent pas à cette catégorie : Maison Ikkoku est catalogué seinen et les  autres sont rangés dans la catégorie shônen. Mais c’est bien grâce à eux que je lis aujourd’hui du shôjo, car c’est à travers ces histoires que mon esprit s’est ouvert à la thématique shôjo reine : l’amour !

Ces différents titres m’ont évité d’ériger des barrières et ont rendu abscons ces notions de normes dans mes choix d’anime de l’époque et, quelques années plus tard, dans mes choix de lectures de manga. Si les animes que je citais plus haut m’ont profondément marqué, j’ai également apprécié des shôjos purs et durs : Georgie, Aishite Night, Candy, ou d’autres. Mais l’adolescent que j’étais ne s’est jamais complétement amouraché de ses jeunes filles aux boucles d’or ou d’autres héroïnes comme Sailor Moon qui faisait vibrer ma petite sœur tandis que je restais, dans ce cas précis, de glace.

Cet amour naissant et lycéen, je l’ai toujours apprécié lorsqu’il était secret et porté par des personnages timides et / ou complexes. Il a donc fallu attendre quelques années et une offre shôjo beaucoup plus diversifiée pour que je m’aventure – officiellement cette fois-ci – sur ce terrain. Mais ce que la japanimation des années Dorothée m’a appris, c’est que j’aimais les personnages introvertis, qui enfouissent leurs sentiments et qui aiment en secret, qui ont toujours du mal à rester maître de leurs émotions et dont les mots sont parfois aux antipodes de leurs pensées profondes.

Que dire également de ces quiproquos légendaires où la jeune fille extravertie de la série sautait au cou ou aux lèvres d’un jeune homme trop couillon pour voir le coup venir, et encore plus maladroit lorsqu’il s’apercevait que l’amour de sa vie venait de tourner au coin de la rue et restait là, stupéfaite, retenant ses larmes… et décidant, meurtrie, de ne plus jamais ouvrir ce coffre-fort qui lui sert de cœur.

Le sentiment intériorisé, celui avec lequel on se bat sans trop savoir comment et qu’on laisse sortir sans le vouloir – ou avec une maladresse dévastatrice – voici la première clé qui m’a amené aux portes de cet univers. Et qui m’a permis de découvrir qu’il avait encore d’autres choses à offrir…

Acte 2 : des deux cotés de la barrière

Après une adolescence bercée par la japanimation, la découverte du format papier m’a permis de poursuivre un genre que la télévision éteignait progressivement. Comme je le disais plus haut c’est Video Girl Ai aux éditions Tonkam qui va ranimer la flamme. C’est aussi grâce à cet éditeur que je vais m’éloigner de ces shônens amoureux pour rentrer en territoire shôjo. Mais même si je traverse la frontière, je ne vais pas m’en éloigner outre-mesure…

L’incursion va se faire avec trois auteurs : CLAMP, Yuu Watase et Saki Hiwatari. Même si la légende des CLAMP à de plus en plus tendance à s’écrire au passé, trois de leurs titres sortis dans les années 90 ont marqué une génération : Tokyo Babylon, RG Veda et X. De l’aventure, du fantastique, de la science fiction ou de la fantasy, voilà ce qui m’a plu dans les thématiques traitées par ces 3 auteurs. Même son de cloche avec l’épopée de Fushigi Yugi ou la science-fiction de Please Save My Earth.

Ces titres m’ont donc permis de me rendre à l’évidence : le shôjo va bien au delà de l’amour des bancs d’écoles et des triangles amoureux. Les femmes peuvent devenir des guerrières tandis que les hommes peuvent s’entretuer avec poésie. Car le shôjo a aussi l’avantage, dans son besoin de dramaturgie,  d’offrir une belle couronne mortuaire à la majorité de ses protagonistes, qu’ils soient de premier plan ou pas, après avoir insufflé à leur scène finale une passion qui se rapproche de l’orgasme inversée et qui plongera la lectrice dans le plus profond des tourments.

Cela dit, pour le lecteur masculin, il s’agit plus d’un moment jouissif, par rejet de la sacro-sainte immortalité des personnages de shônen qui ne cessent de revenir d’entre les morts. Je conseille à quiconque qui est lassé par cet état de fait de lire au moins une fois RG Veda, pour se délecter de la boucherie sans vergogne des derniers volumes, c’est un vrai régal !

Intermède et digression : ces fichues catégories…

Après les shônens amoureux dans les années 80 et au début de la décennie 90 j’ai donc pu apprécier un univers qui allait beaucoup plus loin que l’amalgame qui a pris corps durant ces années et qui veut que shôjo =  histoires d’amour au lycée, une image d’ailleurs montée de toute pièce par les aprioris du lectorat masculin et des simplifications marketing. Si on prend le temps de s’intéresser et de s’adresser au lectorat de cette branche des catalogues mangas, il vous dira de lui-même qu’il n’est pas aussi simpliste que l’entend cette catégorie et que l’universalité du manga n’est pas seulement dévolue au shônen…

Shônen où la gente féminine représente d’ailleurs un lectorat conséquent, preuve au final de la vacuité de cette catégorisation et de toutes les annotations qu’il faut lui épingler pour éviter les clichés. Sans compter les différences culturelles entre France et Japon et l’évolution des mœurs qui donnent un caractère rétrograde à cette classification nippone de plusieurs décennies… En ces périodes de débat sur le mariage gay on pourrait parler également de l’idée qu’un homme qui lit du yaoï est forcément gay et que par peur de l’amalgame, certains préfèrent cracher sur cette catégorie pour indiquer ostensiblement leur haut taux de testostérone, plutôt que d’assumer une part de féminité. Et pour revenir à la question posée sur mon intérêt pour le shôjo je dirais que, tout comme une bonne comédie romantique, il cultive et répond à une part de ma personnalité que je ne me vois pas, pour une quelconque raison obscure, refouler.

Ça fait un peu coming-out tout ça dis donc… Et pourtant. En même temps le thème du jour n’est pas Pourquoi j’aime la guerre, les gros nichons et le football. Bref, fin de l’aparté, terminons sur mes lectures actuelles.

Acte 3 : lire du shôjo à mon âge… Et si josei ?

Ce qui me plait aujourd’hui dans le shôjo est toujours ce qui m’avait initié à ce type de lecture : des personnages compliqués et introvertis, mais en vieillissant, les complications sont devenues différentes et forcément plus adultes et plus subtiles aussi. C’est pour cette raison que, depuis quelques années, une autre catégorie a pris le pas sur mes lectures shôjos : le josei, ce seinen au féminin. Ma rencontre avec le josei, je crois que je la doit à Kurokawa avec Kimi Wa Pet, de Yayoi Ogawa. Adieu le lycée et ces rencontres quotidiennes, bonjour le boulot, l’indépendance, mais aussi le vide de la vie de célibataire ou le nid douillet du jeune couple dans son appartement. Bonjour aussi aux choix de vie – les décisions d’adultes comme ils disent – mais aussi à une sexualité plus explicite et moins sacralisée et, parfois, à la paternité ou à la maternité.

L’entrée dans l’âge adulte et ce qui s’ensuit offre en fait un tel foisonnement de possibilités et de périodes de vie que le josei est par nature plus riche. Comment voulez-vous que les 6 années de l’adolescence rivalisent au final avec les 60 années qui vont suivre après tout ?

Dans ces shôjos plus mûrs, cette candeur ou pureté qui a parfois le dont de m’exaspérer fait place à la prise de conscience de démons intérieurs, qui sont nés justement à une époque plus shôjo, ou lors de drames plus soudains. Même si je ne suis pas forcément un énorme fan d’Ai Yazawa, j’avoue apprécier les aspérités de certains de ses personnages qui se construisent avec le temps et des vies cabossées, qui leur confèrent cette originalité éloignée de l’image nippone de la gentille fille destinée à être une gentille mère, une gentille épouse, une gentille femme au foyer et j’en passe. Encore que ces cas de figures amènent justement des questions de société et des réflexions intérieures très enrichissantes, comme dans le récent From Five to Nine chez Panini, qui représente bien le choc des cultures entre la working girl très occidentale et le bonze nippon ancré dans ses traditions… qui sont censés se marier.

Même si je ne suis pas forcément un énorme fan d’Ai Yazawa, j’avoue apprécier les aspérités et l’originalité de ses personnages éloignée de l’image nippone de la gentille fille destinée à être une gentille mère, une gentille épouse, une gentille femme au foyer et j’en passe.

Le shôjo et le josei amènent aussi donc la vaste question de la condition de la femme et de sa place dans la société. N’oublions pas que le Japon a des décennies de misogynie derrière lui et peut-être encore autant devant lui. Dernier exemple en date : Mes petits plats faciles by Hana, peut-être vu comme une série de recettes que réalise une gentille femme qui peine à s’occuper en attendant le retour de son mari qui a été muté dans une autre région. Une situation impossible dans une BD Franco-belge ou dans un comics !

Bonus : feeling first…

C’est d’ailleurs ce quotidien qui m’intéresse dans le shôjo comme dans le josei. Très peu de shônen arrivent à nous parler de l’ordinaire sans y ajouter de l’extraordinaire : on parle de science fiction, de fantastique, de ninja, de fantômes…. Le seinen parvient à se contenter plus facilement du quotidien, même s’il préfère souvent faire un bon dans le temps, en avant ou en arrière, pour évoquer une autre époque et d’autres règles de vie (Vinland Saga, Wolfsmund, Suicide Island, Ikigami). Le shôjo et le josei parviennent, à l’image du cliché qu’on a souvent des femmes, à faire une montagne à partir de rien ou de pas grand chose (je vous entend râler mesdames ^^). Et même lorsqu’il s’embarque pour d’autres époques comme Emma ou la Rose de Versailles, il revient toujours aux êtres humains et à leurs forteresses intérieures.

Les sentiments intérieurs, ces fameux feelings, gardent donc une place prépondérante dans le shôjo, qui les mets en valeur par un dessin souvent plus doux, plus subtil, pour parler de ce qu’on ne voit pas : Vamos là chez Doki-doki ou les recueils d’Ayako chez Glénat sont deux excellents exemples du genre.

Enfin, je terminerais avec deux points qui mériteraient à eux seuls un autre article : les héroïnes de shôjo sont souvent tordantes et toutes les mangakas ne manquent pas d’humour : je dois à Lovely Complex, Princess Jellyfish, Kare Kanno ou Host Club quelques bonnes tranches de rire.

Pourquoi j’aime le shôjo donc ? Parce qu’il parle d’amour mais qu’il peut aussi parler de complètement autre chose tout en gardant la dramaturgie qui le caractérise, parce qu’il aborde tous ces sentiments et ses émotions qui ne sont traités nulle part ailleurs, parce qu’il peut grandir et devenir josei pour aller fouiner dans nos âmes tordues d’adultes et leurs quotidiens pas si banals que ça, parce qu’il sait me faire rire ET qu’il peut me faire pleurer comme tous les genres de manga. Ce que j’attends du shôjo dans les prochaines années ? Qu’à l’image des mangakas femmes qui font des shônens d’exception, les hommes viennent eux aussi sur leur plate-bande pour renouveler le genre et dresser, enfin, de nouvelles frontières !


Vous pouvez retrouver ci-dessous tous ceux qui participent à cette semaine spéciale :

Ma petite médiathèque
La petit médiathèque d’Ivan Isaac
Le chapelier fou
Yaoi Cast