Alexandre Dumas, le roman de l'Histoire

Par Fkuss

Qui n’a lu (sinon vu, en diverses adaptations), « Le Comte de Monte Cristo » et ne s’est émerveillé devant l’histoire folle de la vengeance d’Edmond Dantès ? Qui ne connaît le faux d’Artagnan, celui des « Trois Mousquetaires », né de l’imagination fertile d’Alexandre Dumas quand seuls les historiens et les érudits sont capables de détailler par le menu la vie tout aussi trépidante du véritable capitaine de Louis XIV ?

Pour ne citer qu’eux, à qui l’on peut rajouter également « La Reine Margot », ces livres d’Alexandre Dumas font aujourd’hui tellement partie du patrimoine culturel commun qu’ils en viennent presque à réduire, dans l’imaginaire collectif, l’activité insatiable de l’écrivain au seul roman quand sa plume, si alerte, fut au service d’une œuvre encore plus dense et riche, une œuvre plurielle qui explora aussi le théâtre et de nombreux champs, à commencer par la grande passion du XIXème siècle : l’Histoire.

Alexandre Dumas, historien ?

Au sens strict du terme, tel que nous l’entendons aujourd’hui que les humanités se sont muées en « sciences sociales » en adoptant aux « sciences naturelles » la méthodologie d’Auguste Comte de l’objectivation des faits et la nécessité de Seignobos de se baser sur des sources et documents vérifiables, nous aurions du mal à dire qu’Alexandre Dumas fut un historien. Et même si Marc Bloch ou Lucien Febvre, avec les Annales, ont contribué à élargir le rôle de l’historien au-delà du cercle étroit de la description des faits passés, il n’en demeure pas moins que lire les écrits que consacre Alexandre Dumas aux évènements révolus, c’est lire bien plus que de l’Histoire, c’est lire la vie.

Autodidacte éduqué au temps des humanités, sa connaissance historique est incommensurable avec celle reçue aujourd’hui ne serait-ce que par un étudiant de première année de licence. Ainsi, il n’est pas étonnant qu’il se soit essayé à commettre non pas des monographies historiques, mais plutôt des écrits historiques comme ceux que nous invite à redécouvrir Claude Schopp, spécialiste de l’auteur, dans le dernier ouvrage paru aux éditions de la Librairie Vuibert, « Les Médicis »

Splendeurs et secrets d’une dynastie sans pareille

Comment de petits apothicaires, de simples commerçants, des roturiers, sont-ils devenus de nobles princes florentins, donnant deux reines à la France, deux papes à la Chrétienté et s’érigèrent durant le « Quattrocento » les plus grands mécènes du monde ? C’est la question à laquelle répond Alexandre Dumas qui, réfugié en Toscane en 1840 pour cause de faillite, gagea sa plume à la fin d’écrire le texte de la « Galerie de Florence », un ouvrage monumental renfermant des gravures et dont l’économie débutait par une histoire des Médicis, aujourd’hui rééditée après 150 ans d’oubli.

Cette histoire, Alexandre Dumas la raconte à la manière d’un récit centré sur les personnes, leurs caractères, leurs vertus, leurs vices, leurs ambitions, leurs faiblesses. Soldés, ses écrits ne sont pas hagiographes pour deux sous et, à plusieurs reprises, il ne manque pas d’égratigner la réputation d’illustres personnages tel le jugement qu’il porte sur Laurent le Magnifique, chef du gouvernement de la République florentine de 1478 à 1492. A son propos il dit « Laurent sentit la ville toute entière frissonner de désir, il comprit que Florence était à vendre comme une courtisane et qu’elle serait à lui s’il était assez riche pour l’acheter ».

De la sorte sa plume, tel un torrent, nous entraîne sur environ 180 pages à découvrir comment les Médicis ont assis leur domination sur la ville et sur toute la Toscane, comment les exils, les meurtres, les complots ou encore les adultères émaillèrent leurs existences au point que si l’histoire attribue aux Borgia une légende noire, il semble que les sulfureux Médicis n’ont rien à leur envier : preuve en est l’assassinat du Duc de Toscane Alexandre par son propre cousin, Lorenzaccio, en 1537, ou encore l’empoisonnement auquel succombèrent, cinquante ans plus tard, le Duc François 1er et sa maîtresse, Bianca Capello, pour voir le trône échoir opportunément au frère cadet du Duc, Ferdinand 1er.

Les Médicis, mécènes des arts

Mais si Alexandre Dumas relate avec force détails, au point que l’on croit suivre une caméra embarquée dans le temps, les faits et gestes des différents « chefs de famille », puis Princes, jusque dans leurs petits arrangements avec leur conscience, son récit conte également avec superbe comment les Médicis ont su reconnaître le génie de leurs contemporains en mettant leur fortune au service de la culture.

Patrons et bienfaiteurs des plus grands noms de la Renaissance : Galilée, Botticelli, Dante, Pétrarque, etc.. depuis l’avènement de Côme l’Ancien, le « Père de la patrie », au XVème siècle, jusqu’à l’extinction de la lignée avec la mort du Duc Jean-Gaston en 1723, ils ont fondé et réuni des collections exceptionnelles de manuscrits telle la « bibliothèque Laurenziana » que commença le pape Clément VII au XVIème siècle ou de peintures et sculptures à la Galerie des Offices établie par Ferdinand II au XVIIème siècle.

Romancier en devenir, historien de la vie, Alexandre Dumas écrit paradoxalement avec « Les Médicis » un de ses meilleurs romans qui n'en est pas un, puisque basée sur une matière première réelle qui le met en verve lorsqu’il s’agit de montrer comment le sang coula, comment les têtes tombèrent, de quelle façon les complots se tramèrent et pourquoi ces mêmes membres d’une famille portèrent haut leur ambition commune de voir leur nom briller, comme nobles mécènes, au firmament de l’Histoire. Un ouvrage à découvrir !