❛Disque❜ "Piazzolla Monteverdi", Leonardo García Alarcón, Mariana Flores, William Sabatier, Cappella Mediterranea • Intercontinental - et intemporel - Incontro Improvviso !

Publié le 30 avril 2013 par Appoggiature @App0gg1ature

Un disque Ambronay Éditions pouvant être acheté ICI

Betweeen two worlds ! Nous savions Leonardo Garcìa Alarcón (photo plus bas) concepteur et finisseur doué, intuitif, défricheur infatigable de partitions oubliées (Falvetti, Zamponi...), voici que nous le découvrons un brin allumé, à l'image de la Balada para un loco (Piazzolla). Allumé, c'est à dire audacieux bâtisseur de passerelles originales ; relier l'atemporel Monteverdi à notre quasi contemporain Piazzolla , abolir les frontières du temps, il fallait y songer... La devise de Leonardo : memento audere semper (1).
Être iconoclaste, c'est un art réservé aux gentilshommes. Un tel parti pris, d'abord dérangeant (et conçu pour cela, sans doute), s'avère en seconde lecture,   cohérent, si peu exotique !  Il s'agit , de fait, de deux figures mythiques, musiciens pionniers, révolutionnaires, dont l'empreinte a marqué durablement, chacun en ce qui le concerne, l'histoire et l'écriture musicale. Le Crémonais (1567-1643) est manifestement à l'origine de l'opéra moderne, avec un style et une science inimitables, visionnaires : le recitar cantando, mélodie continue ou immense récitatif accompagné avant la lettre, le madrigal à l'origine du sprechgesang. À notre sens d'ailleurs, Il ritorno d'Ulisse in patria s'avère tout simplement un condensé homérique ... wagnérien avant l'heure.

William Sabatier, bandonéoniste, © son compte Facebook

Astor Piazzolla (1921-1992) a donné ses lettres de noblesse à un instrument consubstantiel à la bouillonnante culture sud-américaine, le bandonéon, aux inflexions tripales accaparantes, à l'instar du cymbalum hongrois. Référence absolue du tango, l'Argentin sait aussi réinventer complètement "notre" drame lyrique : Maria de Buenos Aires (livret d'Horacio Ferrer, 1968), fable fantasque et expressionniste, est un opéra particulier à l'atmosphère  ensorcelante - disons un Street Scene à la sauce argentine - si peu couru, hélas, sous nos latitudes européennes !

Mariana Flores

Nous lévitons de l'Italie du XVII° siècle à l'Argentine du XX° avec un naturel déconcertante et un bonheur égal : sans que ce supposé grand écart paraisse un seul instant plaqué, artificiel, ni même savant exercice de style du type "pastiche". Les deux esthétiques, hautement complémentaires, se confondent, se juxtaposent, se déhanchent ensemble avec une unité insoupçonnée. La démarche, d'une logique implacable finalement, est un double hommage à deux foisonnants Argentins de notre temps (Alberto Ginastera, 1916-1983 & Osvaldo Golijov, né en 1960) n'envahissant pas davantage les salles de concert du Vieux Monde.

Leonardo G. Alarcón

Un "genre mineur", le tango ? Allons donc ! Bien au contraire, cette noble danse a inspiré de très grands compositeurs, tels Alfred Schnittke (1934-1998) ou Thierry Escaich (né en 1965). Un illustre chef d'orchestre, Michel Plasson, n'a pas cru déchoir en  enregistrant Carlos Gardel (1890-1935). À quoi il convient d'ajouter Tangos Argentinos des légendaires I Salonisti.
Les solistes embarqués dans cette drôle d'équipée sauvage sont littéralement bouleversants. D'abord, Mariana Flores (ci-contrel'une de nos deux chanteuses de l'année 2012) : aussi lumineuse dans le lamento baroque... (2) que dans l'incantation insinuante, la déploration à fleur de lèvre si propre à l'univers de Piazzolla. Après un Diluvio Universale assez miraculeux (disque de l'année 2011, récemment offert à l'Opéra Comique de Paris), la soprano au timbre capiteux et suave, s''empare avec fraicheur des mélodies enfiévrées aux mélismes bariolés. Elle en dévoile l'incroyable poésie primitive, mélancolique - parfois même désespérée - le tout nimbé d'une profondeur insondable (plages 4, 8, 15 & 16). Sans doute moins ensorcelant de timbre, mais tout aussi enjôleur et entraînant, se révèle le baryton Diego Valentín... Flores.

Buenos Aires de nuit, © non communiqué

Transcendants : virtuosissimes et bouleversants, tels ceux d'un violoniste hors pair sur son Stradivarius, sont les épanchements du bandéoniste William Sabatier(photo tout en haut) - omniprésent, obsédant. Près de lui, et comme lui arrangeur de plusieurs pièces, Quito Gato (photo ci-dessous) - bien connu au sein du continuo relevé de la Cappella Mediterranea - faisant flèche de trois bois (théorbe, guitares baroque... et électrique !) mérite de pareils éloges. Tout aussi investis, d'autres familiers de la formation genevoise : Marie Bournisien (harpe), Gustavo Gargiulo (cornet), François Joubert-Caillet (viole de gambe)... Alarcón, incomparable ordonnateur de ce singulier et rayonnant ballet- road movie musical, n'est pas en reste, lui qui s'emploie à rien moins qu'au clavecin, à l'épinette, à l'orgue et au piano.
Tout ceci, servi par une séduisante prise de son, tient du voyage festif, de l'exploration nostalgique, introspective. Dès lors, en si joyeuse compagnie, nous foulons à la fois les immenses boulevards périphériques de Buenos Aires, la turbulente exubérance de ses quartiers populaires chamarrés, et ses terrains vagues, repaires de possibles Cachafaz. Deux moments en sont hypnotiques. D'abord la Romance del Diablo, interlude lancinant et mystérieux, proche romance sans parole (plage 3, extrait musical n° 1 à l'écoute ci-dessous).

Quito Gato, théorbe, guitare baroque... et guitare électrique, © son compte MySpace

Ensuite, le contigu Chiquilín de Bachín, un lien entre les cultures plus éloquent que les Monteverdi eux-mêmes (dont l'incontournable Pur ti mirò). En effet, tant son début - aux cordes pincées - que surtout sa fin - à l'orgue - citent, en imperceptible clin d'œil, la courbe mélodique du... Che si può fare de Barbara Strozzi, naguère enregistré par Flores et Alarcòn eux-mêmes, en un album admirable, Strozzi virtuosissima compositrice. La cantatrice s'y paie même le luxe fugace d'une déclamation alla Kurt Weill (Je ne t'aime pas) : vertigineux Pont des Arts (plage 4, extrait musical n° 2 à l'écoute ci-dessous) !
Mais soyons franc : il est presque impossible de mettre en avant un extrait particulier plutôt qu'un autre dans cette sidérante cantate-symphonie,  marginale, et osons le mot : underground. Utopia Argentina, c'est son nom, ou plutôt son sous-titre. Une utopie délicieuse, alliant rigueur et divertissement, un défi au temps et à l'espace. Passionnant et incontournable.

Un extrait du spectacle Monteverdi-Piazzolla, © Flâneries Musicales de Reims


(1) Littéralement, "souviens toi d'oser toujours". Une règle, si ce n'est une hygiène de vie, plus explicite et plus ambitieuse que "la fortune sourit aux audacieux"...
(2) À propos de baroque - et quitte à attendre un enregistrement aussi transversal pour l'écrire enfin - il ne fait aucun doute que cette artiste aux sobres moirures d'or et d'ébène, toujours perlantes de nostalgique rosée... s'impose peu à peu à nous comme l'héritière naturelle de la si regrettée Montserrat Figueras.
‣ Pièces à l'écoute simple, en bas d'article  ① Astor Piazzolla, Romance del Diablo, 1965  ② Astor Piazzolla, Chiquilín de Bachín, 1968 ‣ ③ Claudio Monteverdi, Lamento della ninfa, 1638 ‣ © Ambronay Éditions 2012.

 Étienne Müller

 Piazzolla - Monteverdi, Una Utopia Argentina.

Un programme "en miroir", conçu par Leonardo Garcìa Alarcòn pour la Cappella Mediterranea.
 La Cappella Mediterranea : Mariana Flores, soprano - Diego Valentín Flores, baryton -
William Sabatier, bandonéon - Quito Gato, théorbe, guitares baroque et électrique -
Girolama Bottiglieri & Juan Roqué Alsina, violons - François Joubert-Caillet, viole de gambe -
Romain Lecuyer, contrebasse - Gustavo Gargiulo, cornet à bouquin & cornet muet - Marie Bournisien, harpe -
Leonardo García Alarcón, clavecin, orgue, épinette, piano & direction.
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