L’illusion de l’invulnérabilité juridique

Publié le 03 mai 2013 par Alain Dubois

Le sentiment d’être invulnérable juridiquement est certainement une dimension centrale de la culture organisationnelle chez Loto-Québec ... du moins à l’égard des lois du Québec. Par contre, Loto-Québec ne peut pas avoir le même privilège à l’égard des lois fédérales. Récemment, une limite a clairement été franchie avec l’hébergement de l’Omnium universitaire de poker. C’est évident que cet hébergement outrepasse la lettre et l’esprit de l’article 207 du Code criminel canadien, une loi fédérale. Cela outrepasse aussi l’esprit de la Commission Prévost qui est la pierre angulaire de l’existence de Loto-Québec.

Comme bévue, c’est particulièrement catastrophique car le déroulement de l’omnium a été faussé par la participation de joueurs qui n’étaient pas supposés y participer. Par les mains remportées, l’action des intrus a été préjudiciable à plusieurs joueurs légitimes qui autrement auraient remporté ces mains. Mais, les informations données sur EspaceJeux prêtaient à confusion de sorte que des intrus pouvaient s’être glissés dans l’omnium en toute bonne foi. En contrepartie, dans d’autres cas, cela pouvait être par collusion afin de favoriser un joueur plutôt qu’un autre. Conséquemment, le problème d’intégrité de l’omnium est rapidement devenu constatable par tous.

À un joueur qui s’en étonnait sur la page Facebook d’EspaceJeux, un représentant a écrit : Une fois l’inscription complétée, nous procédons à la vérification du statut du joueur. Si un joueur gagne et que celui-ci n’est pas un étudiant, il n’a pas le droit au prix.

Le hic est qu’EspaceJeux n’a aucun moyen légal pour vérifier équitablement si un joueur est inscrit ou pas à une université, et surtout pas avant que les lots n'aient été automatiquement versés au compte des joueurs gagnants. Dans les faits, cela procédait par délation entre joueurs auprès de PrincePoker qui n’avait pas davantage de moyen légal pour tout vérifier. Il en résulte que, sur ordre de PrincePoker, des gestionnaires auraient prélevé (ou retenu) des montants dans les comptes de clients sans autre fondement qu’une délation invérifiable. Il aurait alors suffi d’un seul plaignant pour ouvrir une boîte de Pandore apte à décapiter plusieurs postes dans l’organisation.

Les problèmes d’intégrité sont particulièrement sensibles ces temps-ci puisque deux vice-présidents de Loto-Québec ont récemment dû quitter leurs fonctions. La Commission Charbonneau enquête présentement sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction parce qu’un réseau de corruption y est dénoncé. Le 15 octobre 2012, nous avons été étonnés qu’un témoin mentionne Loto-Québec via la participation alléguée du premier vice-président corporatif aux communications et affaires publiques. Deux jours plus tard, à la demande du gouvernement, Loto-Québec mute son vice-président à des fonctions moins importantes avant d’aboutir finalement en congé de maladie. Six mois plus tard, ce vice-président n’a toujours pas pu donner sa version à la Commission et à la population du Québec.

Le 20 octobre, le journal Le Devoir a publié qu’en prévision de la Commission Charbonneau, Loto-Québec avait déjà discrètement congédié son vice-président corporatif à la sécurité qui s’avère être un ami personnel d’un entrepreneur en construction au centre de la controverse. Que serait-il survenu si le déménagement du casino de Montréal (un projet de 1 milliard de dollars) avait été autorisé à la Pointe St-Charles?

Aussi, le 11 novembre, le Journal de Montréal a publié l’existence d’une enquête tenue secrète depuis janvier 2010 concernant un directeur des affaires immobilières qui a été congédié pour avoir obtenu gratuitement ou au rabais des services des fournisseurs auxquels il accordait d’importants contrats.

Par surcroît, peu avant l’élection, il y a eu l’étrange histoire d’un terrain exceptionnellement bien situé que le gouvernement du Québec était prêt à céder à Kahnawake afin d’y bâtir … un casino. Qui a fait ce lobby auprès du gouvernement, et comment en est-on arrivé à justifier un tel projet? Soyons réaliste, ce casino n’aurait pas pu faire beaucoup plus que de nuire au casino de Montréal. Puisque la politique québécoise est de concurrencer plutôt qu’interdire le jeu illégal, ce projet aurait-il servi de levier pour convaincre de la nécessité d’un casino encore plus gros, encore plus dispendieux, encore plus central à Montréal?

Avec l’omnium universitaire, on a assisté à un test de privatisation certainement moins anodin qu’il n’apparaît. Loin d’avoir endigué la dépense illégale au poker, EspaceJeux apparaît de plus en plus en être la vache à lait. Les joueurs récréatifs, les tournois déficitaires et les événements promotionnels d’EspaceJeux permettent à des joueurs professionnels, ou équipés de logiciels avantageux, de se construire un bankroll pouvant donner accès à des événements auxquels ils n’auraient pas accès autrement sur les sites offshores ou dans les tournois live de Kahnawake. Indirectement, l’argent récréatif sort de l’économie domestique ou légale sans aucune retombée fiscale pour la population québécoise. Apparaissant favoriser les intérêts des salons de poker de Kahnawake, EspaceJeux doit consolider sa crédibilité à canaliser la dépense au jeu des Québécois.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer le sacrifice de LadyLuck.

Sans équivoque, le diplôme en criminologie de Laurence Grondin a été un élément important de sa sélection à titre de professionnelle de poker en titre chez EspaceJeux. À cet égard, elle s’ajoutait à la liste des garanties visant à convaincre la population que le poker en ligne sur EspaceJeux est légal et intègre.

Mais, LadyLuck ne semble jamais avoir bien saisi cette clause implicite de son rôle chez EspaceJeux. Ses présences à Kahnawake, auprès d’un copain impliqué jusqu’au cou dans un salon de poker jugé illégal par le gouvernement du Québec, se faisaient ouvertement. L’argument voulant que LadyLuck s’y rendait en missionnaire pour prêcher EspaceJeux aux païens n’est pas crédible. Diplômée en criminologie, LadyLuck ne peut pas ignorer que la loi ne lui permettait pas ce rôle … justifié ou pas. Prétendre qu’aucune clause de son contrat ne l’interdisait est une insulte à l’intelligence. Aucune clause du genre n’était nécessaire ni même justifiable.

Certes, LadyLuck pouvait anticiper son sort. En contrepartie, n’oublions pas que Loto-Québec est doté d’un service juridique dirigé par une vice-présidente plus qu’expérimentée. Comment expliquer l’inaction manifeste de ce service face à des indices répétés de problème qui remontent à 2011? Si Radio-Canada n’avait pas botté le derrière de Loto-Québec, je ne crois pas que personne ne s’en inquièterait encore. Incidemment, non rendues publiques, les allégations concernant l’autre professionnel de poker (voir commentaire 26) semblent passer sous le tapis. Bref, LadyLuck aura fait l’erreur d’être trop visible sans avoir l’assise pour bénéficier d’un statut d’invulnérabilité juridique.
Photo des canards sur une glace mince : Brian Robert Marshall