[Critique] SOUS SURVEILLANCE (The Company you keep) de Robert Redford

Par Celine_diane
[AVANT-PREMIERE]
A 77 ans, Robert Redford n’a rien perdu de son charme et de sa force tranquille. Dans The Company you keep, il incarne un avocat, rattrapé par son passé révolutionnaire et ses actions au sein d’un groupe militant, Weather Underground. L’occasion pour le cinéaste acteur, dont c’est d’ailleurs le neuvième film derrière la caméra, de se lover au cœur d’un rendu très seventies, dans la droite lignée du cinéma politico-engagé des années 70. Autour de lui, du beau monde: Stanley Tucci, Richard Jenkins ou encore Nick Nolte, pour ne citer qu’eux. Le film s’ouvre lentement sur le joli plan d’une Susan Sarandon de dos, le regard perdu par la fenêtre. Elle est Sharon Solarz, l’une des anciennes activistes du groupe de gauche radicale. Un moment suspendu dans l’air, un air de Cliff Martinez : bel instant de répit avant son arrestation par le FBI qui sert de point de départ à Redford. Le film se scinde alors à deux, d’un côté on trouve l’enquête journalistique d’un jeune reporter ambitieux (Shia LaBeouf), de l’autre, la chasse à l’homme initiée par le FBI, et la fuite du héros (Redford lui-même). Deux angles de vue qui se rendent parfaitement la réplique, questionnent les consciences, quelles soient idéologiques, humaines, politiques, et amènent sur la table d’intéressantes interrogations : qu’en est-il de l’engagement citoyen et politique aujourd’hui ? Que sont devenus les idéalismes d’hier dans la machine capitaliste ? Quelle frontière entre le radicalisme et le terrorisme ? Redford, via une mise en scène aussi classique que solide, ne fait pas que renvoyer les protagonistes à leur jeunesse pleine d’espoir, il les inscrit dans le monde d’aujourd’hui. Dans un sens, il capture les hippies de jadis, tous réfugiés près de la nature (la campagne, les banlieues tranquilles, l’océan ou la forêt) et les posent au cœur des villes et des réels sociaux contemporains (argent, ordre, ambition). 
Quelle est la valeur de l’engagement dans l’impitoyable monde moderne ? Peut-on encore posséder des principes moraux ? Même si le film de Redford a, parfois, des relents cyniques, un brin moralisateurs, ses réponses ne tombent jamais dans les pièges et poncifs habituels : pas de naïveté dans le discours ici, et peu d’embardées hollywoodiennes. Mieux : le ton (sage) et la forme (douce), adoptés par le cinéaste américain, s’imposent elles-mêmes en réponses. Le film se clôt d’ailleurs sur une autre belle, et lente, séquence de dos. Un père et sa fille. Redford nous pose face à la simplicité. La force du réalisateur est de ne pas se complaire dans une nostalgie du passé. Au contraire, on voit constamment son désir de faire du neuf « à l’ancienne », d’offrir une alternative aux blockbusters US, de retourner à un cinéma plus traditionnel, plus intelligent, qui prend son temps pour raconter une histoire. Constat identique dans le fond politique du film : nous ne sommes pas dans l’appel aux armes aveugle et engagé- même s’il est impossible de ne pas penser au mouvement Occupy Wall Street- mais plutôt dans une exhortation mesurée à la réflexion. Redford n’incite pas à abandonner le combat, mais il exprime une vérité certaine : l’engagement, individuel ou collectif, ne peut plus être le même qu’hier, il ne peut plus prendre les mêmes formes. Il y a une certaine tristesse qui émane de The Company you keep, peut-être parce que le film constate que l’avocat ne peut presque plus croire, au sens de « foi», à la véracité de ce que dit la loi; parce que le journalisme est devenu un business comme un autre; le cinéma une déferlante de bruits et de rapidité. Pour autant, cela n’empêche pas Redford de dérouler un élégant message d’espoir : le changement ne peut seulement venir que de l’intérieur de nous. Par nos propres choix. Par nos propres refus de subir les diktats des sociétés actuelles. « Etre intègre est une entreprise douloureuse», a déclaré l’actrice Julie Christie, au sujet de son personnage. Douloureuse, oui, confirme le film. Mais pas impossible.