Le 7e « continent » est en train de naître

Publié le 07 mai 2013 par Kafando @KAFANDORAPHAEL

Dans le Nord-Est du Pacifique, entre la Californie et Hawaï, les déchets produits par les activités humaines et déversés dans les océans sont acheminés par les courants marins vers un nouveau "continent" (1) boulimique dont la taille atteint près de 3,5 millions de km ! De nombreux déchets, principalement des microplastiques, s’y trouvent, emprisonnés pour très longtemps.

Les chiffres caractérisant la « grande plaque d’ordures du Pacifique » sont impressionnants. Elle s’étendrait sur 3,43 millions de km – cinq fois la surface de la France – avec une épaisseur maximale de 30 m et abriterait 3,5 millions de tonnes de plastique. Certains scientifiques parlent déjà d’un septième continent, une expression un peu excessive, puisqu’il n’est pas possible d’y poser le pied ni même de l’observer depuis le pont d’un bateau. Les microplastiques mesurent en effet, moins de 5 mm de diamètre.
Jusque-là, les débris flottants étaient détruits par les micro-organismes, mais cela n’est plus le cas avec l’arrivée du fameux plastique. En effet, les plastiques constituent 90% des déchets flottant sur les océans. Le Programme des Nations unies pour l’environnement mentionnait en juin 2006, qu’on trouve en moyenne 46 000 morceaux de plastiques par 2,5 km d’océan sur une profondeur d’environ 30 mètres ! Ce "continent" de déchets plastiques ressemble davantage à une soupe de plastique constitué de macro-déchets éparses mais surtout de petits éléments invisibles sans une fine observation. C’est en filtrant l’eau que l’on découvre une mixture composée de petits morceaux de plastique qui se sont fractionnés, mais aussi des granulés de plastique qui sont utilisés comme matière secondaire pour fabriquer les objets en plastique. En certains endroits, la quantité de plastiques dans l’eau de mer est jusqu’à 10 fois supérieure à celle du plancton, maillon élémentaire de la vie dans les océans (Charles Moore, Algalita Foundation) ! On parle alors de "plancton plastique". Selon Greenpeace, sur les 100 millions de tonnes de plastique produites chaque année, près de 10 % finissent dans les océans. Et 70 % des plastiques qui s’aventurent en mer coulent et le reste flotte, naviguant au grès des courants... Ce qui pose problème, c’est le temps nécessaire à la dégradation de ces plastiques (estimé entre 500 et 1000 ans) et la toxicité des éléments qui les composent. L’exemple le plus classique étant la tortue qui s’étouffe avec des sacs plastiques confondus avec des méduses.
Avec de telles concentrations de plastique, toute la chaîne alimentaire est affectée puisque les plus petits morceaux sont ingérés par des oiseaux, de petits poissons qui seront à leur tour, mangés par les plus gros... Ainsi, Greenpeace estime qu’à l’échelle de la Terre, environ 1 million d’oiseaux et 100 000 mammifères marins meurent chaque année, de l’ingestion des plastiques. Selon des scientifiques américains de l’Institut océanographique Scripps, 1 poisson sur 10 ingère du plastique dans le Pacifique Nord, soit 24 000 tonnes de plastiques boulotées par les poissons chaque année dans cette zone. Ce "continent" attire des animaux marins comme les pélicans et les tortues marines dont l’espérance de vie se trouve alors diminuée. Au total, plus de 267 espèces marines seraient affectées par cet amas colossal de déchets selon le rapport de Greenpeace.
Par ailleurs, ce nouvel environnement, situé entre Hawaï et la Californie, est propice à la vie. Il offre des substrats solides au sein de zones qui en sont généralement dépourvues. Un cousin de nos araignées d’eau, Halobates sericeus, a visiblement su tirer profit de ce nouveau milieu, selon une étude publiée par Miriam Goldstein (Université de Californie, UCSD) dans Biology Letters. L’augmentation du nombre de particules flottantes, et donc de sites de ponte, serait responsable d’une véritable explosion démographique de la population de cet insecte marin. Ils se nourrissent de plancton, la base de la chaîne alimentaire, et d’œufs de poisson. L’explosion démographique de Halobates sericeus pourrait donc profondément, et toujours de manière hypothétique à ce jour, perturber l’ensemble de l’écosystème marin concerné en fragilisant sa base. Les chercheurs ont étudié la croissance de la population de Halobates sericeus en dénombrant les œufs collés sur des déchets récoltés dans les années 1970, 1980 et en 2010. Un lien fort a été trouvé entre la croissance de la population de l’insecte et l’augmentation de la surface occupée par les microplastiques et leur densité au sein de la colonne d’eau. Or, les valeurs de ces deux paramètres ont été multipliées par 100 depuis 1972 ! Cette étude fournit un éclairage nouveau sur la pollution de nos océans et démontre surtout à quel point le manque de connaissance se fait sentir. Les oiseaux ou les poissons ingérant les particules et mourant étouffés ne sont pas les seules victimes connues de cette source de pollution…

Raphaël KAFANDO