Scanner 3D : modéliser en 3D sans 3Diste

Publié le 10 mai 2013 par Modandwa @modandwa

On pourrait facilement avoir le sentiment que chez Mod&Wa, nous tendons le bâton pour nous faire battre, puisque nous sommes nous-mêmes infographiste 3D et sommes régulièrement appelés à modéliser des objets en 3D.

Au risque de vous contrarier et bien non, l’infographiste 3D n’est pas une espèce en voie de disparition… La cohabitation entre modélisation par scanner 3D et digital sculpting/modélisation 3D (au sens artisanal), n’est ni nouvelle, ni même spécialement faite pour nous déplaire.

Dans le cinéma et le jeu vidéo, elle tend même à devenir une des bases de création fondamentale, permettant d’ajouter non seulement du réalisme mais aussi une dimension humaine, une émotion, à des personnages virtuels.

A la faveur du boom de l’impression 3D (auquel nous avions consacré une série d’articles) et étant donné que tout le monde  n’a pas les compétences d’un graphiste CAO, d’un 3Diste ou d’un digital sculpter, le marché du scanner 3D est en plein développement : miniaturisation, baisse des prix, modélisation en temps réel, les industriels déploient des trésors d’imagination afin de répondre à la demande croissante de modèles pour les utilisateurs d’imprimante 3D. Le Photon3D qui sort en juin 2013, à grand renfort de communication, devrait se situer dans cette mouvance, et comme de par hasard, le magasine 3D World prépare un dossier sur le sujet dans son édition de juin.

Nous vous proposons donc plus modestement un état des lieux complètement subjectif et aucunement exhaustif des technologies en jeu, ainsi que des bizarreries dans le domaine.

La numérisation 3D

Le scan 3D, une première étape

Afin de numériser notre objet en 3D, il faut récolter un maximum de données sur la forme de l’objet. Un scanner 3D mesure le positionnement d’un certain nombre de points à la surface de l’objet dans un système de coordonnées.

Dans le cas de la photogrammétrie, ces données sont récoltées directement à partir des clichés ou vidéos prises sous plusieurs angles de l’objet. En analysant les différences et corrélation entre les images, il est possible par triangulation de déterminer la distance de chaque point. Des scanners comme ceux-ci sont dits « passifs« , puisqu’ils n’émettent aucun type de rayonnement.

On peut les distinguer des scanners actifs, qui émettent un rayonnement (lumière, infrarouge, ou son) et détectent leur réflexion. Un sonar par exemple fonctionne sur ce principe, il détecte un relief en émettant un son et utilisant les propriétés particulières de propoagation du son dans l’eau.

Sur la terre fermes, la plupart des scanners actuels n’utilisent cependant pas le son mais un laser et effectuent leurs relevés par lasergrammétrie. Plus rapides et précis qu’en photogrammétrie, il existe différentes méthodes de calcul et technologies,  afin d’acquérir les données de positionnement de nos points, chacunes présentent leurs atouts et leurs faiblesses, ainsi que leur applications spécifiques : un scanner « par temps de vol » capable de modéliser des objets lointains, mais assez peu précis se prêtera mieux à la modélisation d’un bâtiment, qu’un scanner « par triangulation » qui ne peut avoir que quelques mètres de portée, alors qu’un scanner par décalage de phase ne se prêtera qu’à la numérisation d’un objet rapproché.

Quelque soit la méthode employée, c’est le nombre de points relevés qui fera la qualité de la numérisation.

Du nuage de points à l’objet 3D

Nuage de points d’un rat

Une fois scannés, nos objets numérisés apparaissent sous la forme d’un nuage de points ; plus on a de points plus la résolution de l’objet est poussée. Afin d’utiliser notre objet ainsi numérisé dans une scène 3D ou tout simplement afin de l’imprimer, il faut extrapoler le nuage de point, afin d’obtenir une représentation 3D.

B-Rep du rat

Les différents points sont reliés entre eux à l’aide d’algorithmes afin de reconstituer la surface de l’objet. On ne parvient néanmoins pas à une surface lisse, puisque la surface de l’objet est limitée par des formes géométriques 2D, en général des triangles, composées à partir de l’intersection des ces points ; c’est ce qu’on appelle le maillage ou le mesh. Ce type de modélisation surfacique est appelé une  Boundary Representation (B-Rep) ou modélisation de frontières.

Limites des scanners 3D

Le résultat n’est pas toujours parfait et le modèle 3D nécessite la plupart du temps d’être retravaillé. L’intérieur des objets ne peut en effet pas être modélisé directement à partir du scan.

Scanner de la sculpture du lion, avec beaucoup trop de faces

Une des autres difficultés réside dans le maillage de l’objet : celui-ci créé automatiquement à partir de notre nuage de points peut avoir quelques imperfections. Si certaines zones n’ont pas assez de points, il peut y avoir des vides, ou des dégradations du volume de notre surface, il s’agira donc de recréer ces volumes défaillants. Au contraire, dans les zones où il y’a trop de points peuvent créer des imperfections à la surface de notre objet.

Une des difficultés majeures liées à l’utilisation de scanners 3D, c’est que notre objet a trop de facettes. Ils sont souvent trop complexes et lourds pour être intégrés à une scène 3D et calculés par notre moteur de rendus. Dans le cas d’un scan de bâtiment, on dépasse par exemple le milliard de points : aucun ordinateur, ou logiciel, ne peut traiter une telle masse d’information, si bien que les 3Distes doivent tronçonner ces données pour les travailler.

Même lorsqu’on parvient à utiliser un logiciel réduire le nombre de facettes, bien souvent, subsistent un certain nombre d’erreurs, d’incohérences et d’imperfections. Dans certains cas, le scan 3D est alors considéré comme une base pour l’infographiste 3D qui doit remodéliser intégralement l’objet ; c’est ce que l’on appelle une retopologie.

Retopologie sur la face du lion

Modèle final lowpoly

C’est notamment ce qu’on a fait avec notre sculpture de lion, dont le scan était inanimable. Le scan nous a néanmoins donné une trame, pour le remodéliser avec moins de faces tout en étant juste au niveau des formes et dimensions ; si l’on avait dû reproduire la sculpture « à l’œil »  on aurait risqué de le dénaturer.

Une crinière plus complexe grâce à ZBrush

Pour les détails les plus complexes comme la crinière et les ailes, qui auraient alourdis notre modèle et complexifiés l’animation, nous avons travaillé sur un logiciel de digital sculpting. Vous pouvez visionner la vidéo sur notre site : http://www.modandwa.com/moving-design/video-holographique/motion-design.html .

La plupart des scanners ne relèvent ni les couleurs, ni les textures, des objets numérisés. Bien souvent, il s’agira donc de les traiter en post production. On peut manuellement créer notre texture ou encore, en passant notre objet dans Z-Brush, on peut dans un système coordonnée appliquer la texture photographiée de notre objet.

Vers le grand public

Ces techniques ne sont pas nouvelles mais elles étaient jusque là réservés à des usages professionnels, par des géomètres ou encore dans le cadre d’opérations de sauvegarde du patrimoine. Pourtant à la faveur du développement de l’impression 3D, celles-ci semblent se démocratiser.

Les scans 3D rencontrent leur public

Les amateurs d’hyperpersonnalisation ou narcissiques assumés peuvent désormais se faire tirer le portrait en 3D et repartir avec leur buste imprimé en 3D. Le concept qui avait rencontré un certain succès au Japon autour des prestations de la société Omote3D a fait des émules en France. Le premier photomaton 3D « permanent » et entièrement automatisé a été installé en janvier au Fashion Village de Toulouse proposant de réaliser de petites figurines de 4 à 8 cm allant de 15 à 30 euros.

EasyTwin pour Haircoif, présenté au Laval Virtual 2013

Outre ces considérations hautement nombrilistes, ce type de scanner pourrait ainsi permettre de développer de nouveaux services aux consommateurs et de nombreuses sociétés travaillent déjà sur ces idées. Les salons Haircoif se sont déjà équipés de la technologie Digiteyezer  afin de proposer à leurs clients d’essayer leur futur coupe de cheveu. La création d’une doublure numérique fidèle à l’avenir pourrait permettre d’essayer ses vêtements en ligne, ou encore pour les amateurs de jeux vidéo de créer un avatar à son image.

Un scanner 3D chez soi : baisse des prix et miniaturisation

Signe des temps, Autodesk, le plus gros éditeur de logiciels 3D, a bien compris cet engouement, en mettant gratuitement à la disposition du grand public une petite application de photogrammétrie, 123D Catch. Certes, les modèles ainsi créés ne sont pas d’une précision fascinante, et le travail en post production est encore nécessaire, mais la gratuité, la facilité d’utilisation, l’acquisition simultanée de couleurs, restent néanmoins séduisantes. Il existe même depuis quelques années un petit programme permettant de transformer sa webcam en scan.

Du côté de la lasergrammétrie, la technologie s’est également considérablement développé ces dernières années. Désormais portables, plus maniables et précis, beaucoup moins chers, l’offre de scanners 3D est en croissance exponentielle.

Photon 3D, un scanner dans une valise

Les sociétés d’impression 3D contribuent naturellement à cet essor avec une offre complémentaire à celle de leurs imprimantes 3D. Ils développement ainsi leurs propres périphériques de scan 3D, à l’instar de MakerBot qui sortira à l’automne son Digitizer ou encore Matterform avec son Photon3D, financé en un temps record sur la plateforme de crowdfunding Indiegogo qui devrait être vendu à 399 dollars cet été.

Une des vraies révolutions, de fond, on la doit néanmoins à Microsoft avec sa Kinect qui met dans tous les foyers un vrai scanner 3D à prix abordable. Initialement conçue comme une interface d’interaction sans manette avec sa console XBox, ce sont des hackers qui les premiers ont eu l’idée de détourner la caméra de profondeur de la Kinect de son utilisation initiale et de récupérer les données collectés par le capteur de profondeur (un émetteur d’infrarouge et une caméra monochrome). Grâce à ces logiciels, on a désormais accès à une caméra scanner 3D en temps réel, peu précise certes, mais accessible. On a vu récemment l’utilisation judicieuse et sensible de cette technologie pour la vidéo Unnamed Sound Sculpture.

Des scans qui révolutionnent le motion capture

Autre vidéo esthétisante utilisant un scanner 3D avec ce clip de Radiohead, réalisé sans caméra, ni lumière, et jouant sur nos nuages de points, données brutes récupérés par les scans 3D.

Ce système de scan GeoVideo développé par Geometric Informatics pour scanner les visages, offre un résultat assez saisissant, mais peut aller encore plus loin, avec l’acquisition d’un très grand nombre de points la restitution de textures. Cette technologie par « lumière structurée » capture 600 000 triangles par image à raison de 180 images/secondes. En somme, on a projeté sur le visage de Tom York des motifs lumineux dont le scanner analyse la déformation.

Motion capture pour Beyond: Two Souls

Il est vrai que dans le cas de l’animation d’un visage en 3D, la justesse des expressions, la fluidité des mouvements restent difficiles à travailler. Pour les jeux vidéos, on utilisait pour ce faire des technologies de motion capture. Pour le très beau Heavy Rain et le très attendu Beyond: Two souls de Quantic Dream, on place des capteurs à des points clés sur les visages des acteurs, les données ainsi récoltées sont utilisés par les animateurs pour être adaptés aux visages générés par ordinateur et les mettre en mouvement. Malgré les évolutions de ces techniques, il reste impossible de capter un mouvement de papuières, un pli du front…

Motion Scan

Une technologie de « motion scan », se concentrant sur le visage, a néanmoins vu le jour avec des résultats spectaculaires pour le jeu L.A. Noire. On filme le visage d’un acteur à 360° avec 32 caméras afin de reconstituer en 3D et en temps réel, la forme mais aussi les couleurs et textures du visage, la moindre expression – c’est en somme un système de vidéogrammétrie. Les corps ne sont néanmoins pas capturés simultanément.

Conclusion

Les technologies scanners sont bien en pleine évolution, permettant de reproduire fidèlement des modèles réels (notamment utilisée dans une démarche de sauvegarde du patrimoine), voir de copier numériquement des mouvements et expressions faciales.

On ne peut comprendre le développement technologique rapide et cette baisse des coûts des scanners en dehors du développement de l’impression 3D, considérée comme la troisième révolution industrielle.  Cette démocratisation pose encore avec plus d’acuité certaines questions déjà soulevées autour des imprimantes 3D, puisqu’on peut imaginer qu’on pourra reproduire n’importe quel objet chez soi dans un futur proche. Ces scanners peuvent déjà parasiter la vente de modèles 3D pour l’impression, comme sur Thingiverse ou Sculpteo, et invitent à repenser notre modèle économique.

L’infographiste 3D serait-il absent de ce nouveau modèle? Nous ne sommes pas si inquiets que cela. Nous avons déjà utilisés ce type de technologie bien pratique, et l’on est d’autant plus au fait de la complexité du traitement en postprod que celle-ci nécessite pour l’heure. Mais nous ne comptons pas seulement sur le temps et la faiblesse technologique de ces engins.

Durant des années, les infographistes 3D (ou artistes VFX) cherchaient à atteindre un niveau de réalisme absolue ; nous sommes maintenant en train d’atteindre cette limite. Les faillites spectaculaires des grands studios de VFX, la concurrence des pays émergents, ne peut se comprendre que dans ce cadre. Les infographistes 3D (3Distes dirons certains) doivent désormais pleinement investir le terrain de l’imaginaire, de la représentation, plus qu’être concentrés sur l’hyperréalisme, où la concurrence va être de plus en plus rude.