Puisqu’on vous dit qu’internet est dangereux pour la santé !

Publié le 12 mai 2013 par H16

On ne rigole pas avec la santé. D’autant qu’en France, s’il est acquis qu’elle n’a pas de prix, elle a un coût largement supporté par la collectivité et les générations futures. Et c’est donc avec le sérieux qui s’impose pour un tel sujet qu’une Commission sénatoriale a récemment rendu un rapport dans lequel elle s’inquiète, notamment, du rôle trouble que peut jouer … Google dans le dévoiement des patients français face à la médecine scientifique.

Du sénateur, de la technologie de l’information à base de chats rigolos, un sujet de société : pas de doute, nous avons ici tous les ingrédients pour une solide rigolade que seule la haute assemblée républicaine du Bisounoursland est capable de nous fournir, avec cette précision et cette régularité qui la caractérise. On savait en effet (et de précédents billets mémorables, ici ou ailleurs, nous le rappellent) que nos sénateurs ont à la technologie le même rapport qu’une poule peut avoir avec un couteau, et que cela se traduit assez régulièrement par des tempêtes de facepalm à s’en décrocher la mâchoire.

Cette fois-ci, probablement pour le plaisir du LOL, nos sénateurs se sont donc penchés sur les sectes et leur impact dans le domaine de la santé. Le rapport s’étale langoureusement sur les évidences habituelles, les dérives thérapeutiques connues ou non de certains groupuscules qui entendent guérir du cancer par bains de pieds ou ses variantes. Jusque là, rien de vraiment palpitant : on est en terrain connu et les sénateurs sont dans leur zone de confort qui, si elle ne permet pas d’éviter complètement les grosses approximations baveuses, leur évite le ridicule propret qui déclenche hilarité et billet amusant chez les petits moqueurs.

Au détour de la page 113, cependant, les ventripotents élus tentent un doigt de pied dans le grand bain de la nouveauté : dans un paragraphe finement intitulé « LA DIFFUSION EN TOUTE LIBERTÉ D’UNE OFFRE DE SOINS NON MAÎTRISÉE SUR INTERNET » (oui, ces majuscules, ça braille, mais le sénateur est tribun et ne se satisfait pas d’un chuchotement pondéré), ils détaillent l’abominable situation de diffusion d’informations thérapeutiques de façon absolument non contrôlées par l’État (i.e. : eux-mêmes) , avec force captures d’écran dont on sait qu’elles ont été réalisées par un petit fils un peu doué pour ce genre de manipulation de haute technicité.

Tout part du constat que, zut et flûte, « un patient sur cinq environ consulte un site Internet pour rechercher de l’information médicale ou de santé. » Sang et tripe, où va le monde ? Le problème est que les résultats de recherche fournis par les moteurs (Google est cité, pourquoi le Sénateur refuse-t-il ainsi de taper aussi sur Bing ?) ne permettent pas de discriminer entre les réponses issues de publicités, de sectes, de particuliers, de forums douteux d’un côté, et les réponses validées par l’Académie, estampillées « Médecine Officielle » de l’autre.

Là où ça se corse d’un coup, c’est que nos sénateurs entendent illustrer leur trouvaille par une recherche finement calculée : en tapotant « cancer médecines naturelles », ils tombent sur plein de pages pas assez bisou selon leurs critères puisque l’une est un blog à résonance karmique colloïdal (cherchez pas, c’est complexe) et l’autre est un article de France Soir daté du 29 septembre 2010 (belle fraîcheur) intitulé « Cancer – les médecines douces font leurs preuves ».

Moui. Autrement dit, ils s’étonneraient de taper « explications alternatives 911 » et de tomber sur une palanquée de sites complotistes.

Pour autres exemples, les sénateurs constatent qu’en entrant fébrilement l’expression « biologie totale » dans Google, « la fiche du ministère de la santé n’apparaît qu’en milieu de deuxième page, soit en quinzième position, après d’autres sites ou vidéos faisant la promotion de cette pratique, dont le témoignage de la chanteuse Lara Fabian. »

C’est, on peut le dire, atroce.

Des internautes sont donc susceptibles d’écouter avidement, pour leur cure contre le cancer, le témoignage palpitant de Lara Fabian et de s’en remettre à son expertise pour se soigner. A contrario, ces mêmes internautes douteront donc de la parole médicale qui leur sera fournie par l’éventuel spécialiste qu’ils iront voir (avant ou après, peu importe). Les sénateurs semblent désolés de cet état de fait. Cependant, j’aurais tendance à voir l’autre côté de la pièce : selon toute vraisemblance, il est probable que si les couinements de Lara Fabian n’achèvent pas les malades, les méthodes proposées y parviendront au moins aussi efficacement. En définitive, des internautes à l’esprit manifestement affûté comme du beurre chaud vont périr. C’est fâcheux, mais, statistiquement, ce n’est pas si différent de ces personnes qui n’iront voir le médecin et ne s’inquiéteront de leur santé que bien trop tard, ou auront eu, toute leur vie, des comportements à risques en toute connaissance de cause.

Heureusement, comme le signale un article de Numérama consacré à ce rigolo rapport, les sénateurs n’entendent pas interdire ouvertement la publication de méthodes « thérapeutiques » aussi farfelues que dangereuses sur internet. Pour le moment, ils se contentent donc de demander à « renforcer la sécurité de l’information des internautes en garantissant que toute recherche ayant un lien avec les pratiques thérapeutiques non conventionnelles débouche en premier lieu sur les messages officiels provenant d’autorités telles que le ministère de la santé, la Haute Autorité de santé ou la Miviludes ». Autrement dit, et même si ce n’est pas demandé franchement ainsi, nos sénateurs aimeraient bien que Google et les autres moteurs affichent en premier les résultats officiels, adoubés par le gouvernement et les institutions officielles.

En attendant qu’une contrainte plus forte soit sortie d’un carton et tant que la liberté d’expression reste, malgré tout, une priorité sur internet (au grand dam de nos législateurs compulsifs), le rapport se rabat sur une demande d’amélioration du SEO des sites publics et reconnus, histoire d’éviter que les belles pages de Savoir Officiel soient reléguées après d’obscurs blogs douteux.

On comprend ici qu’encore une fois, un pan entier de la connaissance et de l’information commence à échapper largement aux contrôles de l’État et que ça enquiquine énormément ses thuriféraires. Malgré cela, on voit mal pourquoi les gens, en ce qui concerne leur santé, devraient être obligés de suivre telle ou telle technique médicale. Après tout, s’ils estiment qu’ingérer de grandes quantités de carottes bio va les sauver, qu’y faire ? C’est aussi le droit de chacun de se comporter de façon parfaitement irresponsable avec son corps, aussi rageant cela soit-il pour ceux qui sont autour ; c’est même, à bien y réfléchir, l’une des rares libertés que l’État et ses sbires ne pourront réellement pas restreindre, l’interdiction du suicide (fût-il à coup d’onguents bizarres) étant aussi stupide qu’improductive.

Et cette peur trouble de la perte du pouvoir qu’accompagne la perte du contrôle de l’information, on la retrouve aussi dans la bouche de certains médecins. L’un d’eux s’est ainsi fendu d’un petit texte sur l’une de ces pages du Monde mensongèrement intitulées « Idées » : pour lui, à n’en pas douter, « Internet est à la médecine ce que la pornographie est à l’érotisme » parce que comprenez-vous, ce médium déballe le diagnostic sans fard, sans pincettes et sans précautions et donnera toujours raison à l’hypocondriaque. S’en suit une brochette de paragraphes confus visant à rappeler que l’important est la relation patient – médecin, relation qu’internet ne parvient pas à remplacer (la belle découverte).

Décidément, si Internet ne permet pas d’assurer à tous ses intervenants une culture et un accès au savoir optimaux, il reste un puissant détecteur de pouvoir mal assis ou mal compris. Et pour une fois, le rapport n’aboutit pas tout de suite à une restriction de liberté. Souhaitons-lui de finir sa courte carrière sous une armoire : c’est là qu’il fera le moins de dégâts.