Pincées de désenchantement, par-ci, par-là

Par Pseudo

Ça m'avait bien fait marrer à l'époque, du temps que je tenais un blog sur la plateforme Sud-Ouest. Le Grand Evénement, ils disaient. L'Election du Prince des Mondes, du Conducteur des Peuples (voir ici, ou )... Ils agitaient tous leurs petits bras : « Give us love Jesus ! Give us peace ! Give us Money ! » Un black à la Maison-Blanche ! « Wahoo ! » Le ciel ouvrirait pour mille ans ses fontaines de miel, et nous jouirions continûment dans ce fleuve d'Eden, tous, les jeunes les vieux les gouines les pédés les impuissants... Les culs-de jatte aussi, tous.

L'élection d'Obama les avait laissés babas. « Alleluhia ! » ils braillaient dans les rues, Stars & Stripes au vent, à tous les balcons, pin's à la boutonnière. Moi je savais bien comment ça se terminerait — c'est toujours comme ça que ça se termine, même aux States. La même gueule de bois. Bien sûr que ça se terminerait par Guantánamo — il l'avait peut-être pas inventé mais s'en était bien accommodé —, et les tortures de la CIA, dans l'ombre, l'underground poisseux, massives et aveugles, sadiques comme toutes les tortures. Toutes, même celles faites aux vieux nazis de 90, 95 piges, soixante-dix ans après leurs saloperies : fallait s'en préoccuper plus tôt, les enkyster à temps dans des geôles-mouroirs ces rognures de l'Histoire, au lieu de les trimballer tout gâteux, se pissant dessus, d'interrogatoires de flics en procès de Kafka — « Abject sénile, chiure des mondes, lève-toi ! Montre-nous comment tu as découpé les oreilles du prisonnier Avram Djordjevic, matricule 22 838, le 7 novembre 1942 à 8 heures 24, à la baïonnette Mauser 84-98 réglementairement en dotation dans ton unité. Refais le geste sur ce mannequin. Tu es sourd ! Comprends-tu ce que je te dis au moins ? Prends ce poignard et reconstitue ton geste sur ce mannequin de celluloïd, le témoin Lanzmann va te tenir la main. Vas-tu l'empoigner ce poignard, vieux serpent ! Et cesse de trembloter ! Témoin Klarsfeld venez aider Lanzmann. Et reste droit quand je te parle ! Qu'on le redresse bon sang ! Le voilà qui s'écroule. Gardes, accrochez-le aux patères ! »  — À 90 piges, toi qui me lis peut-être, tu seras le même qu'à 25 ? Dans ta tête, dans ton corps ?... Regarde ton vieux père, regarde-le ce déchet...
On s'égare, on parlait de Guantánamo. De la gueule de bois. Ces drones assassins, « ciblés » sur qui sur quoi, pourquoi ? — ferme ta bouche ça ne te regarde pas. Ces enfumades faites aux Palestiniens — tu peux dire enculades, ça s'en rapproche aussi —, tous ces emmerdeurs qui s'obstinent à vouloir être chez eux chez eux, après bien des beaux discours pourtant. Ce retour de « l'axe du mal », le si brillant concept georgebushien, l'Iran dans le viseur, et puis la Syrie maintenant, et qui et quoi demain ?
C'est bien ça Barack ? Après avoir pété l'Irak, tout le Moyen-Orient ; ces lieux aussi étaient sacrés pour qui a un peu de mémoire... Ou le goût des antiquités. Et toujours Israël, le petit protégé, à la place de choix, celle de gâchette folle — par la grâce de son Netanyahou, qui finira au 8ème cercle de l'Enfer celui-là, dans la fosse aux menteurs. J'arrête ici, le fou-rire me reprendrait.
Même les plus forts s'y laissent prendre. Barack comme les autres, c'était bien la peine de s'amouracher comme ça. Toutes ces groupies chez nous... De quoi ça avait l'air ? Cette Europe de petites femelles, sur le dos, attendant de se faire renifler par le mâle dominant. Il est allé renifler ailleurs, le dominant. L'Asie, le Pacifique... L'Afrique tant qu'on y est. La vieille Europe pouvait bien faire sa coquette — de la vieille peau, c'est tout, et pas très propre en plus. Ça sentait les cagouinces, il est allé respirer l'air du large le Barack. Oh ! pas que ça y sente meilleur, mais la chair était plus ferme, plus nerveuse, avec du jus, de la vie, toutes ces choses. Ça sentait le fraichin pas le cadavre. On s'est retrouvés tout cons dans nos cimetières, nos épades, à se pleurer dessus. Comme des vieux, des orphelins.
On tournicote dans tous les sens, on pleurnichote « La crise ! La crise ! Et toute cette austérité mon pauvre monsieur ! Voyez comme ça nous tombe dessus... Si c'est pas malheureux, après toute une vie de labeur...» Elles s'attendaient à quoi, les pleureuses ? Qu'on nous en fasse cadeau de nos milliards de découverts ? Mais où elles ont vu ça ? Supposons un instant : les pleureuses,
un jour, elles auraient refilé un coup de pouce au neveu dans la dèche — esprit de famille, égarement, va savoir : du sonnant trébuchant pris dans le bas de laine, pas des fifrelins, et la reconnaissance de dette qui va avec —, elles lui en feraient cadeau tout d'un coup, elles ? Qu'il oublie de rembourser, le neveu ! Les huissiers au cul, oui ! et plus vite que ça. Et les Chinois pendant ce temps qui se crèvent les sangs dix heures la journée pour 7 euros... Elles n'ont pas honte de pleurer, les pleureuses? Faudra les rendre les sous, quand on emprunte il faut rendre. Où serait donc la morale ? On les rendra qu'on le veuille ou non, quoi qu'il en dise le Mélenchon. Avec quel fric on l'a payé celui-là, pendant vingt-cinq ans et pas chichement, et bien fait vivre comme une oie grasse ? Avec le fric qu'on empruntait, le fric des autres ! Et il aurait le culot de leur mettre un doigt ? Qu'est-ce qu'il croit avoir été ? Un salarié des fonds de pension américains voilà tout ! — et c'est la vérité, comme nos paysans, des salariés de la Commission de Bruxelles... Et ça gueule contre l'Europe, ça gesticule, ça s'enfle, ça vous prend de ces poses...
L'Europe, parlons-en. Comment on serait sans l'Europe ? Le bon goût du jour c'est de taper sur l'Allemagne. « Sales Boches, va ! » En 14 déjà ils bouffaient les enfants — il y en avait pour dire ça à l'époque, et pas qu'un peu. En 40 ils pourchassaient les juifs — là c'était pas du bluff faut pas prétendre le contraire, ça allait même se gâter. Aujourd'hui ils garrottent les peuples ! Toujours des histoires de génocides finalement... Les Grecs, les Espagnols, les Portugais, nous peut-être un beau matin, ils nous foutront sur la paille, c'est dans leurs gènes qu'est-ce que vous voulez... Donc nous, blancs comme linge ? Nos chers politiques — de Mitterrand à Sarkozy, intermédiaires compris et sans exceptions —, nos intellos, nos experts, nous-mêmes le populo ? Blancs de blancs ? Jusqu'à quand ces balivernes ? Comme si les Grecs avaient eu besoin des Allemands pour tricher sur leurs comptes ! Se rincer la dalle aux frais de la princesse, planquer hors sol les sous de leurs riches, laisser pourrir leurs administrations, fuir leurs responsabilités. Personne n'est le débiteur de leur gabegie, personne sauf eux. L'Europe a été une chance pour eux, leur confort, leur prospérité, comme pour les Espagnols, les Portugais, les Irlandais. Pour les Français aussi. Qu'est-ce que l'Allemagne nous devrait ? Quel effort exiger d'elle pour éviter d'en faire, nous ? Aide-toi, le Ciel t'aidera mon vieux...
J'étais parti du Messie US, me voilà sur l'Europe...
Ces deux chimères ! C'est qu'il faut les voir ensemble, deux désenchantements à savourer bien mixés. Entrez, entrez braves gens ! Venez voir le spectacle du monde. Atlantique rive occidentale (tambours) : Barack l'illusionniste, le métis escamoteur chu des étoiles où l'avait suspendu Europa l'Innamorata — l'aura-t-il snobée en retour la vieille énamourée, c'était bien la peine qu'elle lui épingle si vite le Nobel de la Paix (voir ici)... Atlantique rive orientale (re-tambours) : une certaine idée de l'Europe justement, un machin imaginé il y a six décennies par quelques pionniers fous — un idéal plutôt —, aplati dans le caniveau en ces jours gris, snobé par ses propres enfants cette fois... Bon Dieu quel destin ! Ça valait le coup qu'il se décarcasse le vieux Zeus ! Où tout ça va bien pouvoir nous mener ?

Ce 9 mai, c'était la journée de l'Europe, paraît-il. Signe des dieux, c'était aussi bien le jour de l'Ascension. La preuve qu'on peut toujours ressusciter. Si Christ l'a fait... L'Espoir est dans nos cœurs « Alleluhia ! Alleluhia ! Yoh ! »


(Illustrations, de haut en bas : Barack Obama, mars 2013, © Reuters ; affiche pour "Cine Slam Session", mars 2011, cinéma l'Univers, Lille ; pochette de l'album "Extrait d'amertume", Sidi Omar.)